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Symphonie atomique - Les secrets d'écriture d'Etienne Cunge
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Symphonie atomique - Les secrets d'écriture d'Etienne Cunge

Symphonie atomique, le nouveau roman d'Etienne Cunge doit paraître le 1er octobre prochain aux éditions Critic. Et en attendant de pouvoir le découvrir, nous avons posé quelques questions à son auteur.

Actusf : Symphonie atomique, votre nouveau roman, sort prochainement aux éditions Critic. Comment celui-ci est-il né ?

Etienne Cunge : Ce roman est né du constat implacable de la dégradation environnementale globale et de ses conséquences pour ceux qui l’affronteront (l’affrontent déjà), en particulier les générations nées récemment et celles à venir.
Je souhaitais explorer la psychologie des personnages confrontés à la disparition de notre environnement en m’appuyant sur mon expérience personnelle ; mais aussi faire toucher du doigt la nature des évolutions probables de notre milieu de vie (via Radio collapse) ainsi que leurs impacts sur les relations entre grandes puissances. Enfin, je voulais imaginer des réponses sociétales innovantes envisageables pour y faire face (Europe en transition).
Le tout plante le décor d’un thriller compact, sur fond d’intrigues géopolitiques qui découlent des modifications des rapports de force internationaux dus au changement climatique.
Mon objectif est d’offrir un moment de lecture immersive et intense mais qui apporte aussi des éléments de réflexion pertinents sur notre futur commun probable et nos réactions possibles. Plutôt que d’ennuyer le lecteur avec de longues dissertations philosophiques, je préfère le savoir absorbé dans une intrigue palpitante et rendre les conséquences palpables à travers l’univers et les personnages.
C’est ambitieux. Quant à savoir si j’y suis parvenu, je serai bientôt fixé puisque le livre sort le 1er octobre ! J’espère avoir réussi grâce à l’expérience acquise grâce à mes publications antérieures (« Légendes d’agrégats » et « Antarcticas ») et mes travaux encore plus anciens non publiés.

Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur son intrigue ?

Etienne Cunge : L’intrigue est construite comme un 48h chrono, autour d’une attaque qui vise à déstabiliser le fragile équilibre géopolitique régnant en 2075.
En 2016, un riche industriel collapsologue a initié la construction de la cité de Ziusudra, en Alaska. Ce refuge de luxe doit permettre à ses riches hôtes de traverser l’effondrement à venir pour redonner naissance à une civilisation technologique une fois le pire passé.
Mais voilà, 60 ans plus tard, la civilisation thermo-industrielle résiste mieux que prévu et continue de polluer. L’effondrement ne s’est pas produit comme escompté, même si les sociétés sont au bord du gouffre.
Rob Callway, qui a pris la relève de son père Irvin à la tête de Ziusudra, élabore donc le projet Icare, une stratégie particulièrement tordue visant à engendrer une guerre mondiale et provoquer ainsi le collapse final supposé préserver l'avenir radieux promis aux habitants de Ziusudra.
Une base classique donc, avec des personnages, une intrigue et un univers qui, je l’espère, le sont beaucoup moins et restent hyper-réalistes bien que fictifs.

Actusf : On va suivre les parcours de plusieurs protagonistes, Juan et Agathe mais également Ashkat et Ulan Moltov. Qui sont-ils ? Quelles sont leurs motivations ? Comment les avez-vous créés ?

Etienne Cunge : Il y a aussi Rob Callway, qui dirige Ziusudra. Fortement influencé par l’idéologie et le rêve de son père, il cherche à accomplir ce dernier à tout prix.
Rob est ardemment convaincu que le seul espoir de survie digne de l’humanité repose sur la mise à l'abri de la civilisation scientifique pour lui permettre de renaître des cendres du changement climatique à partir d’une population triée sur le volet. Sans la chute totale et rapide des sociétés thermo-industrielles, il est certain que des seuils irréversibles empêcheront même les résidents de Ziusudra de survivre aux conséquences du chaos en cours. Il est donc prêt à de grands sacrifices, la fin justifiant les moyens.

Juan, un trentenaire déprimé qui essaie de positiver malgré tout, est sous-commandant d’Esperanza, la minuscule station spatiale nucléarisée de l’Europe en Transition.
Orphelin, élevé par les pupilles de la nation, il croit aux valeurs humanistes et écologistes affichées par l’Europe en transition ; en même temps, il est père d’une petite fille handicapée restée sur terre, et son but premier est d’assurer le meilleur avenir possible à son enfant. Face au conflit émergeant, il va se retrouver dans une situation délicate et ses convictions vont être mises à rude épreuve tandis qu’il tente d’éviter le pire pour rejoindre sa famille.

Agathe est une femme mûre qui a perdu ses parents alors qu’elle était encore jeune et a dû survivre dans l’illégalité au début de sa vie d’adulte grâce à ses talents de hacker. À l’inverse de Juan, elle doute des valeurs et du système socioéconomique et politique porté par l’Europe en transition. Pourtant, une vingtaine d’années plus tôt, elle a accepté de rejoindre les services de renseignements européens.
Depuis, elle surveille les Nouvelles Routes de la Soie, artère économique vitale entre la Chine et l’Europe. Elle cherche un sens à ce monde et à sa vie et espère le trouver dans son travail mais en doute fortement, en particulier car son profil atypique l’empêche de progresser.
Individualiste, désabusée et assez cynique, elle aspire malgré tout à un monde meilleur sans trop y croire ou, tout au moins, à éviter de jeter de l'huile sur le feu. Elle va tenter de comprendre les tenants et les aboutissants des événements survenant en Asie centrale pour mettre en lumière les véritables responsables et leurs buts.

Ashkat, à peine trentenaire, est un chef de clan Kazakh en quête d’un espoir d’avenir pour son peuple, réduit au rôle de milice chargée d’empêcher les migrants climatiques en provenance d’Asie du Sud et d’Inde de parvenir en Russie. Las de ce rôle de boucher, il aspire à offrir un futur aux nations d’Asie centrale, dont les terres se désertifient. À cette fin, il rejoint très tôt la Confédération d’insurgés levée par Ulan Moltov l’Oksakan, qui veut conquérir la Sibérie et ses terres encore plus ou moins accueillantes. Ashkat devient ainsi un des piliers militaires de ce soulèvement. Mais cette guerre juste en apparence cache peut-être des motifs plus inavouables.

Ulan Moltov, est un personnage charismatique mais obscur, un acteur de l’ombre au passé trouble et aux motivations ambiguës qui a réussi à fédérer des peuples exsangues et disparates pour les entraîner à sa suite. Toutefois, ses ambitions affichées pourraient bien dissimuler une réalité tout autre.

Il y a aussi de nombreux personnages secondaires importants comme les dirigeant·e·s des différents blocs spationucléaires (Europe, États-Unis, Russie et Chine) ; Umberto Fili, le chef d’Agathe ; Gabriel, le mentor et ex amant d’Agathe ; Olga Retchenko, qui est Major dans la station orbitale Russe ; les membres d’équipage d’Esperanza, la station européenne…

Il m’est difficile d’expliquer comment je les ai créés car je suis très jardinier dans ma façon d’écrire, et je fais peu de plan. Ainsi, les personnages se co-construisent avec l’intrigue au fil de l’évolution du roman ; mais mon but général visait à confronter des gens plutôt « bien » à une situation infernale, de manière à explorer leur capacité à trouver une réponse en adéquation avec leurs valeurs dans un tel contexte. Ceci afin de voir dans quelle mesure ils y parviennent… ou non. Or cette question me paraît constituer l’enjeu majeur de l’humanité à moyen terme face aux bouleversements de la biosphère, désormais inévitables et irréversibles à notre échelle de temps: comment rester humain - ou à tout le moins digne - (individuellement et collectivement) dans ces conditions ?

Actusf : Symphonie atomique est un roman d’anticipation. Est-ce ainsi que vous imaginez notre futur au vu de la situation planétaire actuelle ?

Etienne Cunge : Oui, je crains fortement que l'on s'oriente vers un futur de ce type même si, en l'espèce, tout est imaginaire. Au début, j’envisageais le pire scénario possible. En 2019, lorsque j’écrivais l’essentiel, je pensais que mes hypothèses seraient décriées et vues comme particulièrement extrêmes… Depuis, je crois que les années 2020 et 2021 les rendent presque un peu optimistes pour 2075, hélas.

Actusf : « ultra-capitalisme américain, écologisme européen, nationalisme russe et totalitarisme social chinois », les peuples ou plutôt leurs dirigeants sont tous sur le point de déclencher un véritable cataclysme. Était-ce quelque-chose que vous aviez envie d’aborder depuis longtemps ? Écrire de la SF vous permet-il de dénoncer certaines choses ? Ou tout simplement est-ce pour divertir ?

Etienne Cunge : J’écris par plaisir de construire et raconter des histoires en premier lieu mais aussi, en ce qui concerne l’anticipation, pour exorciser ma vision de l’avenir et l'inévitable angoisse qui en découle. La solastalgie – l’éco-anxiété, si vous préférez – est d'ailleurs très présente dans le roman.
Contrairement à ce que suppose votre question, les gouvernements ne sont pas vraiment responsables de la crise en cours, dans Symphonie atomique. Celle-ci est double : environnementale et sociale d’une part, aggravée par une attaque subtile d'origine indéterminée et dont l'objet est confus.
Les gouvernements la subissent, l’utilisent et essaient d’éviter les conséquences fâcheuses pour eux. Ce que je dénonce, c’est plus leur manière de traiter la crise, de la déformer en fonction de leurs intérêts propres et au détriment de la vérité. Il s'agit de mettre en évidence la nature parfois mensongère ou très orientée de la communication officielle, qui permet au doute d'alimenter le complotisme.
Dans le roman, je ne cherche pas de coupable à accabler, je vise plutôt à mettre en lumière des mécanismes, des modes de raisonnement et de fonctionnement individuels et collectifs qui conduisent au drame sans qu’il y ait nécessairement volonté de nuire (même si c’est le cas de certains personnages aussi bien dans le roman que dans la réalité, mais je reste convaincu que c’est minoritaire).
Ces sujets sont évidemment mes thèmes de prédilection du fait qu’ils me préoccupent et constituent une part essentielle de ma vie depuis 30 ans.
Je ne vise pas à dénoncer certains (quoique, bon, parfois…), ce qui est facile et déjà fait par d’autres ; je souhaite plutôt donner des clés de compréhension tirées de mon expérience de vie autour des enjeux environnementaux et sociaux actuels, de leur complexité, de la difficulté à prendre des décisions incertaines, de l’énorme effort et du coût (pas seulement financier) à assumer pour conduire tout changement individuel et collectif.
Je pense que cette approche qui délaisse au maximum la dénonciation au profit de l’exercice difficile d’éclairer la conscience de chacun en abordant les sujets de fond (fussent-ils difficiles comme l’enfantement ou la dépression) et en donnant des clés de compréhension est ma marque de fabrique et fait l’originalité de mon travail et son intérêt.

Actusf : Comment avez-vous créé votre univers ? Avez-vous dû faire beaucoup de recherches ?

Etienne Cunge : Étant expert dans le domaine depuis longtemps, je n’ai pas eu de difficultés à définir l’univers, car c’est celui que je vois se dessiner jour après jour depuis mon adolescence. C’est un exercice de prospective appuyé sur les données scientifiques environnementales, mon expérience de la capacité des organisations humaines à aborder efficacement ces problèmes et les conséquences psychologiques sur moi-même qu’implique ce futur probable. Je n’ai quasiment pas fait de recherches, de ce fait. J’ai mis à profit mes connaissances scientifiques, de management de projet et d’organisation, pour me concentrer sur les personnages et l’intrigue.
En revanche, tout est imaginé pour répondre à la fluidité de l'intrigue et de l'univers. Le monde de 2075 ne sera pas celui du roman, mais il pourrait bien lui ressembler.

Actusf : Avez-vous eu des sources d’inspiration en particulier, littéraire, musicale ou/et cinématographique ?

Etienne Cunge : Comment dire que l’on n’est pas influencé ? (rires)
J’ai bien entendu de nombreuses influences littéraires en SF et en particulier Philip K. Dick, Dan Simmons, Ian M. Banks, Maurice G. Dantec et bien d’autres encore hors de la SF comme Terry Pratchett, Arto Paasalinna, Robert Merle, Amin Maalouf, ainsi que des maîtres américains du thriller. Depuis quatre ou cinq ans, toutefois, je lis majoritairement des auteurs français de SF que j’ai découverts tardivement.
Au plan musical, j’écoute beaucoup de reggae, de blues et de musiques traditionnelles de diverses origines (les seules avec lesquelles j’écris). Je suis un grand consommateur de films et séries, principalement SF et thriller, parfois de comédies.
Toutefois, je ne vois pas de liens forts avec un roman ou une production cinématographique qui ait inspiré directement Symphonie. Au plan musical, le roman intègre quelques références via Radio Collapse.

Actusf : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Etienne Cunge : J’ai entamé un roman de fantasy dont je ne sais pas s’il verra le jour.
Écrire des romans d’anticipation comme « Antarcticas » ou « Symphonie atomique » est moralement épuisant. J’ai donc décidé, dès le début, d’alterner entre romans d’anticipation et romans plus ancrés dans l'imaginaire. Ainsi mon second titre, paru en 2018 chez Critic, est un space opéra. Donc, en ce moment, je travaille sur une histoire de dragons, mais je réfléchis déjà à ma prochaine dystopie.

Actusf : Où peut-on vous rencontrer dans les mois à venir ?

Etienne Cunge : Pour l’instant, le 1er week end d’octobre à Octogones à Lyon, puis le 8 à Rennes à la librairie Critic et le 9 à la librairie Ocep à Coutances. Je ne dispose pas encore de la suite du programme en raison de la pause estivale, mais il inclura certainement une journée à Omerveilles à Grenoble.

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