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Terminus

Turf ( Auteur)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 18/02/2009  -  bd
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Terminus

Au tout début de l’an 1993 paraissait chez Delcourt Eauxfolles, premier tome de la série La Nef des fous. Turf, jeune auteur sorti de l’École des Beaux-Arts d’Angoulême et scénariste du premier tome des Remparts d’Écume avec Joël Mouclier, inaugurait ainsi la nouvelle collection Terres de Légendes de l’éditeur. Une collection qui compte parmi les meilleures de la BD des genres de l’imaginaire, avec des séries comme Garulfo (de Ayroles et Maïorana), De Cape et de crocs (de Ayroles et Masbou), Les Lumières de l’Amalou (de Gibelin et Wendling) ou encore Le Fond du monde (de Corbeyran et Falque). Dix-sept ans et sept tomes plus tard, Turf met un terme à ce cycle grandiose, confirmant son talent qui le place parmi les meilleurs auteurs de sa génération. Un cycle qu’il n’aura interrompu que le temps d’un album, Gribouillis, paru en 2003.

Où tout est dévoilé…

Alors que le Grand Coordinateur, Ambroise, a tout oublié de sa trahison, Clément pénètre dans l’antre du gardien de la nef. C’est le moment pour ce dernier de révéler au Roy tous les mystères qui entourent les événements de ces deux derniers jours bien mouvementés au royaume d’Eauxfolles. De leur côté, Baltimore et le sergent poursuivent leur enquête dans le château, persuadés de la duplicité d’Ambroise et cherchant à faire éclater la vérité sur ce complot. Enfin, à l’extérieur, Arthur a retrouvé Clorenthe. Escortés par leur robot protecteur, ils tentent de regagner la nef. C’est l’heure de la résolution de toutes les intrigues, l’heure pour la nef de dévoiler ses secrets, l’heure pour le rideau de retomber…

Eauxfolles, c’est fini…

Quand on a suivi La Nef des fous depuis le début, on se sent forcément à la fois excité et anxieux par la clôture de cette série. Excité car on va enfin comprendre ce qu’est la nef, d’où elle vient et qui l’anime. Anxieux car on ne veut pas que cela s’arrête, et aussi parce qu’on a un peu peur d’être déçu. Heureusement, Turf nous offre un final à la hauteur de nos espérances.

Déjà, on retrouve ce savant dosage entre humour et progression de l’intrigue des albums précédents. Si le début de ce tome laisse un peu trop la parole à Baltimore et à son sergent, dont l’enquête patine de façon jouissive pour le lecteur, c’est pour mieux offrir au maître de la nef tout l’espace nécessaire pour expliquer à Clément ce qu’il doit savoir. Et là, Turf ne rate pas son coup. Le Roy est, comme nous, spectateur d’une projection lui révélant tous les mystères de la nef – la thématique du spectacle est d’ailleurs très présente dans l’ensemble du cycle. Si le procédé est un peu figé (encore que Turf l’agrémente d’intermèdes pour éviter la monotonie), il a l’avantage de compléter en peu de pages les informations dont manque le lecteur. Celui-ci, aiguillonné par les indices glanés dans les six tomes précédents, se verra récompensé de sa patience avec la découverte de l’histoire de la nef et de son but. Turf retombe admirablement sur ses pattes en raccrochant les intrigues les unes aux autres (l’existence de la nef et l’extérieur, par exemple), mais sans en faire trop : certaines pistes restent à l’écart de l’intrigue principale, évitant l’impression de construction artificielle caractéristique de certaines fins de cycles. Mais chacune est traitée avec l’humour et la subtilité qu’elle mérite. On restera ainsi songeur après les dernières cases qui révèlent, chez les êtres de l’extérieur, une sensibilité qu’on ne leur connaissait pas jusqu’ici.

Une ode à l’imagination

Il y a une autre chose frappante sur la fin de ce cycle. On ne peut s’en apercevoir que si l’on suit la série depuis le début : ces dix-sept années et sept albums ne représentent qu’à peine deux jours dans l’univers de la Nef. Si l’on relit les tomes les uns à la suite des autres, on se rend compte de l’extrême folie qui anime cette histoire et ses personnages. Ici, le terme folie n’est pas à prendre au péjoratif : c’est une folie douce, une folie burlesque. Une folie créatrice. Après tout, quelle que soit l’excentricité du royaume d’Eauxfolles, celui-ci est, au début de l’histoire, plutôt stable et bien installé. L’histoire de La Nef des fous n’est ainsi qu’une perturbation, un mini séisme dans l’univers mis en place par Turf, à la fin de laquelle l’équilibre est – plus ou moins – retrouvé. Tout semble vouloir rentrer dans l’ordre, comme à la suite de l’inversion d’une machinerie qui marchait sur la tête. Cette série peut ainsi être vue comme l’incarnation parfaite de l’inspiration créatrice : une étincelle de rêve, née de l’imaginaire de son auteur, donnant naissance à un univers merveilleux, une parenthèse enchantée à la fois brève et immense. Le maître de la nef, c’est Turf lui-même, habile inventeur de destins et de mondes pour nous offrir une échappatoire vers un ailleurs fantastique que l’on n’aurait pas aperçu sans lui. Comme il le fait dire à son maître de la nef : « Il est difficile d’appréhender l’inconcevable… L’imagination a des limites qu’il faut parfois dépasser pour percevoir l’indicible ».

Une réussite aussi bien scénaristique que graphique

La Nef des fous restera ainsi dans les mémoires, aussi bien pour son scénario que pour son dessin. Celui-ci, précis mais fantasque, retranscrit toute la sympathie que Turf porte à son univers, un univers chaleureux et séduisant. Et les couleurs directes, conservées jusqu’au bout – ce qui est un véritable tour de force quand de plus en plus de monde cède aux sirènes de l’informatique – confèrent aux albums une beauté au-delà de ce que l’on a l’habitude de voir en BD.

Pas de doute : Turf est un auteur à part, talentueux, inventif, un véritable créateur d’univers. On est plus qu’impatient de le retrouver sur d’autres projets pour profiter encore un peu son imaginaire.

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