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The Armageddon Rag

Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : 
Date de parution : 31/10/1984  -  livre
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The Armageddon Rag

En 1983, avant qu’il ne commence à se goinfrer sévère avec de la fantasy de haute tenue, George R. R.Martin a expérimenté le doux frisson du bide en librairie avec ce roman atypique, un thriller post-hippie, mâtiné de fantasy. Aujourd’hui encore, il parle de The Armaggedon Rag comme de son plus cuisant échec commercial. Au vu du pitch, il est vrai, il n’est guère surprenant que le livre ait peiné à trouver son public. Dommage !

We’re Only in It For the Money


Ancien flower children caustique, Sandy Blair a été de tous les combats. Étudiant à la fin des années 60, il a milité contre le Viet-Nam mais pour le peuple noir, contre Nixon et Johnson mais pour l’amour libre, le LSD et l’herbe qui fait rigoler. Milité pour Bobby Kennedy aussi, et assisté à la convention républicaine de Chicago en 1968. Un désastre émeutier qui marqua pour toute une génération la croisée des chemins, l’un menant vers le radicalisme des Weathermen, l’autre vers la désillusion et la dissolution. C’est cette dernière route qu’a finalement empruntée Sandy. Il avait pourtant d’abord choisi d’y croire encore un peu, en fondant avec Jared Patterson, un magazine musical et culturel – Hedgehog, hybride parfait de Rolling Stone et de Creem. Mais lorsque son associé l’avait finalement viré pour transformer le journal en "canard pour postpubères aux cheveux verts", Sandy s’était tourné vers une carrière d’écrivain désabusé, lui assurant un revenu suffisant pour entretenir une déprime diffuse de quadragénaire.

Bloqué dans l’écriture de son troisième roman, c’est cependant avec un soulagement pervers qu’il accepte de rempiler. Patterson le charge d’enquêter sur l’assassinat de Jaimie Lynch.

Manager véreux de la scène rock des années 60, c’est à lui qu’on devait l’ascension phénoménale d’un des plus grands groupes de l’époque : Nazgûl. Croisant quelque part entre Black Sabbath, Led Zeppelin et Deep Purple, Nazgûl avait, en cinq albums, laissé une trace indélébile dans l’histoire du rock. Une légende définitivement scellée par les spectaculaires circonstances de la mort de Patrick Henry Hobbins, leur frontman albinos, abattu sur scène d’une balle en pleine tête, lors d’un concert en 1971.

Expert du contrat léonin, fournisseur de drogues et chasseur de tendrons, Lynch avait été doué pour se faire des ennemis, mais les circonstances de sa mort dépassent de loin les inimitiés qu'il aurait pu susciter. On l’a retrouvé, allongé sur son bureau, dans sa villa du Maine, la poitrine ouverte. L’assassin lui a arraché le cœur, non sans prendre la précaution de protéger le bois de la table avec une affiche. Celle du concert de West Mesa, où, treize ans auparavant jour pour jour, Hobbins avait trouvé la mort. Les témoins qui ont découvert le carnage, ont été attirés par le vacarme du disque qui jouait à pleine puissance sur la sono. Il s’agissait de Music to Wake the Dead, le dernier album des Nazgûl, dont la chanson d’ouverture s’appelait Blood On The Sheets, et commençait ainsi : "Baby you cut my heart out, Baby you make me bleed !"

Nativity In Black

Pensez ce que vous voulez, mais mélanger le rock et la SF, pour moi, c’est la faute de goût presque à tous les coups. C’est comme un sorbet aux truffes, ou du chocolat au homard. Crise de foie presque assurée. Mais il arrive que, de loin en loin, un cuisinier particulièrement habile, parvienne à trouver le mélange parfait. Le tournemain qui rend tout possible. C’est rare, mais quand ça arrive, c’est d’autant plus raffiné. C’est le cas de George R. R.Martin avec The Armageddon Rag. Avec un nom pareil, il était voué à écrire un jour sur le rock, mais son secret, c'est qu’il n’a pas oublié que le rock est une bande son, et pas une fin en soi. En somme, ça fonctionne parce qu’il n’a pas oublié d’écrire une histoire.

Entrelaçant à son enquête, les retours nostalgiques de son héros sur ses années d’étudiants, allant jusqu’au bout de ses références – avec ce chanteur tout droit sorti d’un roman de Moorcock et une imagerie empruntée à un Tolkien opiomane – Martin fait mouche. Il est évident qu’il y a beaucoup de lui dans Sandy Blair, ce qui contribue aussi à rendre ce personnage cynique et sarcastique aussi attachant.

En donnant du rock une image crédible (et vraisemblablement documentée) et en évoquant ainsi la grande guerre des générations, la fragrance des années patchouli vient chatouiller nos narines par-delà le temps. Et c'est un parfum suri, à la pourriture sucrée. C’est en 83, au cœur des années fric que Martin écrit, et les fleurs sont depuis longtemps fanées. Il parle avec une amertume qu’on sent réelle de la désillusion d'une génération, de la défaite face à l’argent roi. Il se confronte à ses idéaux, morts sous les coups de matraque du matérialisme, et cache ses ecchymoses derrière un humour acide. Il se paye au passage le luxe de quelques fines analyses sur ces baby-boomers rattrapés par le monde, et c’est là que toute la pertinence The Armagedon Rag se révèle. Car vingt-quatre ans après sa publication originelle, ce roman a retrouvé toute sa brûlante actualité. Fric, profit, ultra-libéralisme, mondialisation, mythe guerrier de l’entrepreneur. Le spectre glossydes années Reagan s’étend à nouveau sur nous, vieux alternos rattrapés par le système, "teufeurs" sevrés ou rêveurs réveillés. Raison pour laquelle The Armageddon Rag nous parle ; à nous, post-punks, geeks régressifs ou bobocools. Il nous fera un peu grincer des dents et grattera désagréablement la croûte protectrice qui a fini par enterrer nos folles années, et c’est en cela qu’il est salutaire. Au point même qu’on lui pardonnera sa fin un peu faiblarde. On ne peut, dès lors, s’empêcher de penser qu’une réédition prochaine dans une traduction totalement révisée, serait tout aussi pertinente que d’actualité. Hélas.

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