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The Fountain

Kent Williams (Dessinateur, Coloriste), Anne Martinetti (Traducteur), Darren Aronofsky (Scénariste)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/04/2006  -  bd
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The Fountain

Avant-propos : cette chronique comporte des liens vers des notes en bas de page précisant certaines idées ou interprétations possibles. Ces notes peuvent contenir des éléments révélateurs de la fin de l’histoire.

Darren Aronofsky s’est fait un nom dans le cinéma indépendant en réalisant Pi, succès critique l’ayant couronné meilleur réalisateur au festival de Sundance en 1998, puis avec Requiem for a dream en 1999, remarqué au festival de Cannes. Il écrit le scénario de The Fountain, présenté comme un film de studio, mais le projet tombe à l’eau lorsque Brad Pitt, prévu pour le premier rôle, abandonne la partie - les studios ne veulent alors plus suivre le réalisateur. Afin que cette histoire ne tombe pas dans l’oubli, Aronofsky la transforme en scénario de BD, que Kent Williams met en images. Peintre, illustrateur et dessinateur de romans graphiques, Williams a publié notamment Blood et Tell Me, Dark. Il enseigne également la peinture figurative et la bande dessinée.

Finalement, The Fountain sortira bien au cinéma, six ans après la naissance du projet, avec Hugh Jackman et Rachel Weisz dans les rôles principaux.

A la recherche de la vie éternelle

1535. Le conquistador Tomas Creo est mandaté par la Reine d’Espagne pour retrouver, en Amérique du Sud, l’Arbre de Vie qui pourrait aider la Couronne à vaincre l’Eglise et son Grand Inquisiteur.

2005. Tomas Creo est chercheur sur le cancer. Depuis que sa femme Izzy est atteinte d’une tumeur au cerveau, il jette toutes ses forces dans ses recherches pour la sauver. Des tests sur des singes malades le mènent à utiliser l’extrait d’un arbre du Guatemala qui semble avoir des propriétés exceptionnelles.

2463. Le voyageur spatial Tomas Creo, enfermé dans une bulle étanche avec l’Arbre de Vie mourant, se dirige vers une nébuleuse censée lui offrir le moyen de redonner la vie à sa femme.

Trois époques, fictives ou réelles (note 1), théâtres de la lutte désespérée d’un homme qui cherche à vaincre la mort pour sauver son amour.

Une BD hors des sentiers battus

La première chose qui frappe le lecteur dès l’ouverture de la BD The Fountain, c’est assurément son graphisme. Atypique, il peut provoquer une réaction de rejet : trait approximatif et peu appuyé, visages déformés, arrières plans juste esquissés. Pourtant, il montre très vite de grandes qualités : une colorisation très appliquée du style aquarelle, la composition d’ambiances prenantes distinguant chaque époque (rouge pour le passé, brutal et sauvage ; terne pour le présent aseptisé, empreint de tristesse ; ocre pour le futur plein d’espoir), une restitution précise des expressions du visage et des mouvements. On sent clairement le statut de peintre de Williams, qui recherche plus à faire passer des émotions, des impressions, des atmosphères, plutôt qu’à reproduire des personnages et des décors précis. Notamment, l’utilisation des couleurs apporte souvent un esthétisme très agréable, et réserve quelques planches d’une incroyable beauté. On regrettera quand même la fainéantise occasionnelle de Williams, qui reproduit parfois certaines cases à l’identique ou en les agrandissant, voulant créer un effet d’accentuation qui tombe un peu à l’eau car trop voyant.

Ce graphisme particulier, qui ne recueillera peut-être pas tous les suffrages, fait de The Fountain une BD originale. Et son scénario n’est pas en reste. Car si le résumé ci-dessus ou celui qui figure au dos de l’album évoquent le fantastique ou la SF, The Fountain est avant tout une histoire poignante sur la mort et son acceptation - ou son rejet. Tomas est un homme amoureux qui voit son bonheur lui échapper, et sa détresse l’aveugle au point qu’il s’enferme dans un mode de pensée égoïste, refusant de voir que sa femme a besoin de lui. Sa quête désespérée de la vie éternelle lui fait perdre de vue l’essentiel et le coupe petit à petit d’Izzy (« Elle voulait encore me parler, mais je ne voulais plus l’entendre ») (note 2). Izzy qui, elle, accepte la fatalité (« Je vais mourir, Tommy »), préférant voir la mort comme un acte de création, offrant même à Tom le réconfort que lui-même devrait lui procurer (note 3). L’opposition de ces deux conceptions (néant/renouvellement) est symbolisé par la perte par Tom de son alliance au moment où l’espoir semble renaître : son obsession exacerbée détruit le lien d’amour qui l’unissait à sa femme. Cette idée, extrêmement bien développée et traitée avec retenue, sans ostentation, fait toute la force de cet album, et s’accompagne d’un symbolisme plus ou moins manifeste autour des thèmes de l’arbre, de l’anneau, du souvenir ou de la lumière (note 4).

De la BD au film, et inversement

Mais n’oublions pas que le scénario de The Fountain était tout d’abord destiné au cinéma. Et que, depuis la parution de la BD, le film est sorti en salles. Et que, s’il reprend quasiment le même scénario, c’est en plus une sacrée claque visuelle. C’est peut-être ici que la BD souffre le plus de la comparaison avec l’œuvre sur pellicule. On peut aimer ou pas le graphisme de Kent Williams, mais le talent de cinéaste d’Aronofsky est indéniable, et l’histoire de The Fountain trouve là le support le plus apte à en révéler toute la beauté : l’utilisation de la lumière et des couleurs pour différencier les trois époques, qui comportent malgré tout des symétries dans les cadrages, l’excellence des effets spéciaux pour les scènes dans l’espace… De plus, la violence de la partie historique, la tension désespérée des scènes du présent et le calme zen du futur sont mieux mis en valeur par la caméra que par le pinceau. Le symbolisme du scénario y apparaît plus clairement, et lorsque Aronofsky en explique le principe : « Le ça, le moi et le surmoi. […] Le corps est représenté par le guerrier, la raison par le scientifique et enfin l’esprit par le voyageur du futur » (Première n°359), cela semble plus évident devant l’écran que sur le papier. Sans oublier le jeu des acteurs et la musique onirique qui ne gâchent rien au plaisir que l’on retire du spectacle.

Toutefois, la BD possède ses propres qualités et si l’on peut ressentir moins d’émotion qu’au cinéma en la lisant, elle a l’avantage de nous laisser le temps de fixer nos réflexions et de les développer. Le film ne nous attend pas, alors que les pages de l’album peuvent être relues plusieurs fois. Le gros de la réflexion se fait en temps réel et non pas à la fin, le lecteur assimile mieux le message et sa compréhension en est facilitée. Il n’est donc pas question d’opposer la BD au film, et si l’un plaît au lecteur ou au spectateur, l’autre en sera un complément parfait.

Et finalement, peu importe le support. Cette œuvre protéiforme est avant tout une histoire magnifique, complexe mais à la portée de tout le monde, chargée de sens et d’émotion. Les idées qu’elle transporte ne sont pas nouvelles, mais elles auront rarement été aussi bien illustrées, aussi profondément développées. The Fountain laissera songeur longtemps après la dernière page ou la dernière image, et l’on se surprendra, peut-être, à l’évoquer bien au-delà de son cadre artistique.

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