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The Witcher - Avant la sortie de la série, (re)découvrez la saga littéraire
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The Witcher - Avant la sortie de la série, (re)découvrez la saga littéraire

The Witcher : un jeu vidéo à succès et bientôt une série TV. Mais avant cela, ce sont les livres de dark fantasy de l’auteur polonais Andrzej Sapkowski.
Stéphane Marsan, directeur des éditions Bragelonne qui publient la saga en France, répond à nos questions à l’occasion de la diffusion prochaine de la série Netflix.

ActuSF : Avant de parler de l’œuvre parlons un peu de son auteur : qui est Andrzej Sapkowski ?

Stéphane Marsan : Un sacré bonhomme ! Il est polonais, économiste de formation et il a 71 ans. Chaque fois que je l’ai rencontré, il m’a saisi par son intelligence et son intégrité. Il parle (ou baragouine) une douzaine de langues et détient une culture littéraire et historique incroyable. Humainement il ne se laisse pas saisir facilement. Il a beaucoup d’humour et à tendance à en abuser : on ne sait jamais à quoi s’en tenir avec lui. Il peut se montrer d’une humeur massacrante - parfois c’est vraiment le cas, mais souvent il joue la comédie. Et quand il arrête de faire le malin, il se révèle très attachant, même émouvant de sincérité. Je suis heureux et fier d’avoir une relation privilégiée avec lui, du fait que j’ai été, de même que mon ami Luis Prado, son éditeur espagnol, l’un des premiers éditeurs (qui plus est petits indépendants) à parier sur son œuvre, sans attendre qu’elle devienne un best-seller.

ActuSF : Est-ce que le personnage de Witcher n’a pas un peu éclipsé son créateur ? Et plus globalement, est-ce que le succès du Sorceleur n’a pas fait de l’ombre aux autres romans de l’auteur ?

Stéphane Marsan : Une œuvre majeure doublée d’un énorme succès mondial éclipse son créateur autant qu’elle le met en lumière. Surtout que Le Sorceleur représente de loin la plus large part de la bibliographie de Sapkowski, le reste étant la trilogie Hussite, qu’il considère comme son véritable grand œuvre, une fresque médiévale foisonnante et truculente matinée de merveilleux, qui a été sélectionnée par l’équivalent polonais du prix Goncourt, et que nous publierons d’ici un an et quelques.

ActuSF : Venons-en à la saga. Elle commence par une nouvelle puis des recueils de nouvelles. C’est assez atypique, non ? On a plus l’habitude en fantasy de voir apparaitre et s’imposer des auteurs avec des trilogies.

Stéphane Marsan : Atypique, pas tant que ça. Le Trône de fer, La Roue du temps, la série Drenaï par exemple ne sont pas des trilogies. Les nouvelles correspondent à un mode de publication qui a fait les grandes heures des revues consacrées aux littératures de genre, depuis l’apparition des pulps. Et de Conan à Elric en passant par Lovecraft pour n’en citer que quelques-uns, nombreux sont les classiques du genre qui ont démarré avec de courts récits. Il se trouve que Sapko a commencé comme ça, en proposant une nouvelle mettant en scène Le Sorceleur à une revue, puis d’autres, qui furent ensuite réunies en recueils, avant de se lancer dans une série de romans à partir du Sang des elfes, qu’on peut aujourd’hui considérer comme le 3e volet d’une saga ouverte par les deux recueils, Le dernier vœu et L’Epée de la providence. C’est d’ailleurs l’une des choses qui m’a beaucoup séduit quand j’ai découvert Le Sorceleur à Varsovie en 2002, retrouver le plaisir que j’avais eu à lire des nouvelles d’Heroic Fantasy quand j’étais jeune.

ActuSF : Après les nouvelles, arrivent les romans : 5 tomes (complétés par un sixième indépendant plus tard). Ils nous plongent dans un monde de dark fantasy qui pourraient nous faire penser à celui d’Élric de Melnilboné de Mickael Moorcock ou encore à celui de La Compagnie Noire de Glen Cook ?

"Ainsi Sapko s’inscrit dans la tradition littéraire slave de l’ironie et du grotesque : il détourne le conte de fées traditionnel, critique la société et évoque notamment l’ère soviétique qu’il a bien sûr bien connue. Il travaille les thèmes de l’hybridité et de la métamorphose, la nature et le statut du monstre, et des problématiques contemporaines telles que la différence, les mutations, la recherche du sens dans un monde en changement."

Stéphane Marsan : En effet, un univers aux allures médiévales, sombre et violent, où le sexe peut être explicite, et où les enjeux éthiques du héros sont soulignés par l’ignominie, l’égoïsme et plus généralement les passions et les intérêts de ses acteurs. En outre, les références au folklore, contes et légendes, notamment slaves, renforcent son accessibilité à un lectorat qui n’est pas connaisseur ni même familier des deuxièmes mondes inventés en Fantasy.
Ainsi Sapko s’inscrit dans la tradition littéraire slave de l’ironie et du grotesque : il détourne le conte de fées traditionnel, critique la société et évoque notamment l’ère soviétique qu’il a bien sûr bien connue. Il travaille les thèmes de l’hybridité et de la métamorphose, la nature et le statut du monstre, et des problématiques contemporaines telles que la différence, les mutations, la recherche du sens dans un monde en changement.
Avec Le Sorceleur, l’amateur de Fantasy est comblé par la splendeur et le degré d’élaboration de la magie, l’évocation très crue du monde médiéval, la gouaille de personnages hauts en couleurs, la férocité des affrontements…

ActuSF : Le personnage principal de la saga, Geralt de Riv, participe à son succès. Qu’est-ce qu’il a de si fascinant ? Son côté sombre ? Le fait qu’il soit un mutant assassin qui pourrait être autant un héros qu’un des « méchants » de l’histoire ?

Stéphane Marsan : Absolument. Ce n’est pas un personnage manichéen. L’éthique de ce héros est au cœur du propos : il s’efforce de suivre ses propres principes, son « code », dans un monde corrompu, déchiré et hostile, en étant lui-même aux prises avec sa propre souffrance et son sentiment d’étrangeté. Le « dernier vœu » qui donne son titre au premier tome, c’est en un sens de retrouver son humanité, à moins de réussir à en faire le deuil.
A l’image de l’œuvre dans son ensemble, la réussite du personnage de Geralt tient à cette alliance de classicisme et d’originalité, de cynisme et d’intégrité, d’évidence et de mystère. Cela en fait pour moi, à titre personnel, le héros masculin de Fantasy le plus cool, sexy et charismatique depuis Elric !

"A l’image de l’œuvre dans son ensemble, la réussite du personnage de Geralt tient à cette alliance de classicisme et d’originalité, de cynisme et d’intégrité, d’évidence et de mystère. Cela en fait pour moi, à titre personnel, le héros masculin de Fantasy le plus cool, sexy et charismatique depuis Elric !"

ActuSF : Les aventures de Geralt sont aussi denses que le monde dans lequel elles prennent place, mais pouvez-vous évoquer en quelques mots l’intrigue principale de la saga ?

Stéphane Marsan : Geralt de Riv est une sorte de chasseur ou de tueur à gages qui affronte des créatures monstrueuses dans un monde où elles pullulent, et ce, grâce à sa nature de mutant et à des talents exceptionnels dus à la magie et à un long entraînement, celui des Sorceleurs. Rapidement, la saga se concentre sur sa relation avec une gamine, Ciri, que Geralt va faire rentrer au sein de la caste des Sorceleurs, avant de se trouver plongés tous deux dans des aventures épiques…

ActuSF : La série littéraire arrive en France quand vous publiez le premier tome en 2007-2008. Connaît-elle tout de suite le succès auprès du lectorat français ?

Stéphane Marsan : Nous avons publié le premier tome en 2003, cher ami. Oui, tout de suite, ça marche pas mal du tout sans pour autant faire un gros score. Le succès de départ prouvait en tout cas qu’il n’y avait pas de réticence majeure de la part du public français à découvrir un auteur de Fantasy polonais, comme on aurait pu le craindre. Et le premier intérêt médiatique (et pour ainsi dire le seul pendant de longues années) pour cette publication fut celui de François Angelier sur France Culture, qui avait immédiatement repéré la qualité et l’originalité littéraires de cette série : pas mal !

ActuSF : Comment les jeux vidéos de CD Projekt Red participent à l’essor de la série ? Y a-t-il des liens entre les jeux et les livres ?

Stéphane Marsan : La sortie du premier jeu vidéo a fait exploser les ventes, procurant à l’univers et au héros de Sapko une notoriété nouvelle et immense, puisque la qualité du jeu lui a valu un énorme succès. En partenariat avec le distributeur, nous avons pu faire découvrir l’existence des récits à l’aide d’une nouvelle insérée dans la boite du jeu.
Les jeux prolongent l’action des romans à travers des histoires originales auxquelles Sapkowski a donné son approbation. Ce qui est bougrement intelligent, ainsi on ne « joue » pas les histoires qu’on a déjà lues et/ou on ne lit pas les intrigues qu’on a déjà jouées. Les deux expériences se complètent.

ActuSF : Les couvertures françaises ont beaucoup évoluées au fil des éditions. On a des créations originales en grand format, puis des poches avec les couvertures du jeu vidéo et de nouvelles illustrations depuis cette année. Comment se sont fait ces évolutions / choix graphiques, notamment les derniers avec les écussons ?

Stéphane Marsan : Chaque édition correspond à un lectorat potentiel auquel on la destine, selon son format, son prix, son esthétique et la référence éventuelle à d’autres médias. Le poche avec en couverture des illustrations tirées du jeu vidéo s’adresse directement aux gamers qui peuvent ainsi immédiatement faire le lien avec le jeu, en particulier un public adolescent. L’édition en semi-format avec les écussons, qu’on appelle chez nous l’édition Prestige, est destinée à faire découvrir l’œuvre à un large public « plus littéraire », client de librairies généralistes indépendantes, qui est mis en confiance par une imagerie proche de l’héraldique médiévale tout en conservant un registre esthétique qui « parle » aux fans de Fantasy. J’en profite pour saluer Didier Graffet et notre directeur artistique Fabrice Borio qui ont fait là un boulot exceptionnel, comme sur les éditions poche de David Gemmell et La Roue du temps, par exemple.

Les trois volumes collectors réunissant l’intégrale en très grand format avec des pages d’illustrations couleurs plaisent évidemment aux afficionados qui célèbrent leur passion pour Le Sorceleur avec des ouvrages de facture exceptionnelle et donc assez chers. Cette diversité est une caractéristique de Bragelonne depuis longtemps : on a commencé à faire des éditions reliées en 2003 avec Princess Bride, et plus régulièrement à partir de 2006 pour Canavan, Rothfuss, Carey, Abercrombie, Howard et autres, puis les intégrales, la collection Stars, la gamme 10 ans 10 romans 10 euros etc. Chaque lecteur.trice a le choix entre plusieurs types d’ouvrage pour un même roman, et chaque édition recrute un lectorat complémentaire. C’est notre mission d’éditeur de créer les moyens de gagner le plus de lecteurs.trices possible à l’auteur, or tous ces gens ne sont pas séduits par la même édition. Il en faut donc plusieurs !

ActuSF : La série sort sur Netflix le 20 décembre 2019. Vous faites une nouvelle remise en avant des livres en les ressortant dans la collection Big Bang avec l’image de la série en couverture. Pour chercher à toucher encore plus le public Young Adult ? Ou tout public ?

Stéphane Marsan : Les deux. Dans la logique décrite plus haut, une édition placée au rayon Young Adult, distinct du rayon Imaginaire, va toucher le lectorat YA qui ne vient pas chercher de l’imaginaire au rayon… imaginaire (ou SF-Fantasy ou que sais-je) mais au rayon YA. Tu me suis ? (rires) En outre, l’exposition médiatique d’une adaptation en série télé comme celle de Netflix nous donne l’occasion d’attirer l’attention d’un très grand public en utilisant un visuel tiré de la série. Ceci dit, les autres éditions subsistent et coexistent. L’édition Big Bang avec la photo d’Henry Cavill ne les remplace pas ! Il y en a pour tous les gouts (rires).

ActuSF : J’imagine que travailler en lien avec une chaîne TV, cela doit aussi amener des contraintes sur les délais, sur les plannings, sur les droits d’utilisations des images… ?

Stéphane Marsan : La seule contrainte c’est d’obtenir à temps le droit d’utiliser les images et les logos et l’approbation sur cette utilisation. C’est sport, je ne vous le cache pas, mais on y arrive grâce à une responsable marketing au top, en l’occurrence Camille Martinez.

ActuSF : Quand un roman est adapté en série TV, est-ce que cela a forcement un impact sur ses ventes ? Sur sa visibilité en librairie ? Est-ce que l’adaptation d’un titre en série est devenue le « graal » des éditeurs ?

"D’un autre point de vue, le monde audiovisuel puise à gogo dans les catalogues littéraires, prouvant en cela que ces œuvres méritent d’être adaptées. C’est plutôt gratifiant."

Stéphane Marsan : Le graal, exactement ! De nos jours, c’est le vecteur de notoriété le plus efficace. L’adaptation télé ou ciné porte une œuvre à la connaissance d’un vaste public qui l’ignorait, tant la littérature est peu présente dans les médias autrement, et fonctionne comme une légitimation : « S’ils en ont fait une série, c’est que ça doit être bien, c’est que ça doit être plaisant, c’est que ça doit le mériter », en gros. C’est un peu triste d’en avoir besoin, mais c’est comme ça. D’un autre point de vue, le monde audiovisuel puise à gogo dans les catalogues littéraires, prouvant en cela que ces œuvres méritent d’être adaptées. C’est plutôt gratifiant. Donc oui, ça a un effet spectaculaire sur les ventes. Les éditeurs du monde entier ont les yeux rivés sur les news d’acquisition de droits audiovisuels et prient pour que quelques titres de leur maison obtiennent cette bénédiction. Dans le cas précis, ce qui est super cool, c’est que l’auteur, Sapkowski, a adoré ce que Netflix a fait. C’est pas toujours le cas…

ActuSF : Dernière question : et vous, quel est votre personnage préféré de la saga ? Geralt De Riv ? Yennefer la magicienne ? La mystérieuse Ciri ? Le barde Jaskier ?

"Yennefer est l’un des personnages féminins iconiques de la Fantasy contemporaine, et c’est dire, au passage, combien Sapkowski a montré qu’il était indispensable de donner à une femme un rôle aussi important."

Stéphane Marsan : Yennefer, sans hésiter. J’ai toujours adoré les magiciennes, j’en ai joué beaucoup en tant que rôliste, et c’est le personnage qui m’a le plus fasciné quand j’ai lu les récits du Sorceleur, pour sa puissance, son charisme, sa dangerosité, sa complexité… Le fait qu’elle soit déchirée entre son histoire d’amour avec Geralt (oups, spoiler !) et son besoin impétueux de liberté. Yennefer est l’un des personnages féminins iconiques de la Fantasy contemporaine, et c’est dire, au passage, combien Sapkowski a montré qu’il était indispensable de donner à une femme un rôle aussi important.

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