Au début des années soixante, quelques décennies avant l'arrivée des Ewoks sur leurs écrans de cinéma, les Américains se prirent d'affection pour d'adorables extra-terrestres en peluche. A l'origine de cette invasion, Henry Beam Piper, auteur de science-fiction et grand collectionneur d'armes à feu. Déjà connu des lecteurs de l'époque pour des romans de space opera musclés comme Space Viking ou uchroniques avec Kalvan d'outretemps, sa série sur les Fuzzies (un terme malicieusement rendu en français par Tinounours) provoqua un engouement dont le dernier rebondissement en date fut la réécriture du premier épisode par John Scalzi.
Il faut sauver les Tinounours !
A l'issue du procès épique relaté dans le précédent livre, Les hommes de poche, les indigènes de Zarathoustra ont fini par gagner le statut d'espèce sapiente et une égalité de droits (théorique...) avec les humains qui ont colonisé leur planète. Un commissariat aux affaires indigènes a été mis en place afin de défendre les intérêts des autochtones, dont la vente et l'esclavage sont désormais passibles de la peine capitale. Cette loi était bien nécessaire : ils sont tellement mignons ! Soixante-dix centimètres de haut pour les plus grands d'entre eux, de longs poils soyeux et de grands yeux attendrissants, qui pourrait leur résister ? D'autant qu'ils sont dotés d'un caractère agréable, ne pensent qu'à manger et prendre du bon temps... Mais tout n'est pas rose sur le monde des Tinounours, car un mal mystérieux menace l'espèce de disparition à moyen terme puisqu'une seule naissance sur dix est viable...
La politique de la peluche.
Les humains ont toujours eu la déplorable habitude de gérer leurs rencontres avec les populations autochtones de la même façon, et les romans concernant la conquête de mondes extra-solaires reflètent souvent cette triste histoire. Le premier volume des Hommes de poche reprenait la vieille polémique sur la frontière entre humain et non-humain, sous la forme bien américaine du récit d'un long procès. Le second ouvrage de la série prolonge cette réflexion puisque si les Tinounours sont enfin reconnus comme des êtres intelligents à part entière, ils sont néanmoins traités comme des enfants, ce qui était (est encore ?) fréquemment le cas dans les colonies. Ce paternalisme néo-colonial est encore renforcé par le fait qu'ils sont trop mignons ! Mais bien que les Tinounours soient considérés comme des gens à part entière, la réciproque est loin d'être garantie car les gens ne se comportent pas tous comme des Tinounours... Les richesses minières de la planète Zarathoustra risquent d'exacerber les convoitises, d'autant qu'une grande partie de ces fameuses ressources sont justement situées sur le territoire qui a été alloué aux Tinounours par les autorités coloniales... Ce qui fait le sel du roman, c'est en grande partie le décalage existant entre le sérieux des (trop) nombreuses discussions politiques et les scènes dans lesquelles nous pouvons observer ces mêmes adultes, dont certains ont largement dépassé la quarantaine, jouer gentiment avec leurs Tinounours... Cette distanciation est amenée de façon très naturelle par l'auteur, ce qui lui évite de tomber dans le piège du comique de répétition et conserve un certain sérieux au roman.
Parallèlement aux questions que pose le récit, on pourra aussi se demander comment un fervent défenseur du second amendement de la constitution des Etats-Unis d'Amérique et membre de la National Rifle Association en est venu à donner vie à ces petites créatures, à la fois charmantes et douces (mais néanmoins carnivores...) ? Si la peur est susceptible d'inciter certains d'entre nous à posséder une arme, elle nous pousse parfois aussi à rechercher la tendre protection d'un doudou-tout-mimi, et c'est de loin l'option la plus souhaitable. Comme le démontre l'évolution de quelques uns des personnages, l'entretien de relations affectueuses avec une peluche vivante rend plus humain. Malgré cette évolution vers la douceur, le roman n'est pourtant pas franchement positif et non-violent, ne serait-ce que par les quelques passages relatifs à la peine de mort... Ajoutons également que la quasi-absence de scènes d'action et les imbroglios juridico-politiques peuvent avoir un caractère rebutant pour les amateurs d'émotions fortes, mais une fois passé cet écueil soyez certains que les Tinounours peupleront durablement vos rêves les plus doux...