Lorenzo (de son nom complet Laurent Gély) est nouveau à se lancer dans l'édition papier, mais on le voit depuis quelques temps sur leurs blogs. Pour son premier ouvrage, il s'attaque à un sujet ardu: la folie.
Les hommes en mer deviennent fous. Ce n’est pas nouveau, c’est une règle ancienne comme l’Odyssée. Mais il est difficile de bien parler du délire, de rendre véritablement la fièvre, et surtout le désarroi complet de celui qui tombe dedans et tente de maintenir son ordre intérieur. Du coup, il est aussi difficile de parler d'un album de BD qui traite du sujet. Essayons quand même.
Un homme à la mer !
Arthemus est dessinateur, embarqué comme marin dans une guerre bizarroïde, nettement inspirée de la guerre d’Indochine. Mais en Indochine, l’ennemi n’avait pas d’avions comme ceux qu’il voit attaquer son navire. Et l’ennemi n’avait pas de vaisseau à lui, comme cet insaisissable spectre que son navire traque, une machine échappée de l’enfer peuplée tour à tour de pirates, de fantômes ou de hiératiques soldats asiatiques.
Arthemus se voit vivre plusieurs vies et mourir plusieurs morts, quitte une femme pour en retrouver une autre, change d’aspect à la faveur d’une fumerie d’opium. Il quitte ses cauchemars brusquement, comme on se réveille, et puis la réalité glisse une fois de plus vers le délire, et il réalise qu’il est juste passé d’un cauchemar à un autre. Le tout sur le fond angoissant d’un bateau de marine, claustrophobe et anxiogène (rappelant le Réducteur de Vitesse, de Blain), ou celui d’une ville du Tonkin colonisé, étrangère et hostile. Et puis la guerre est si aliénante qu’après tout, un cauchemar pourrait très bien être en fait la réalité, et que seul Arthemus en perçoit l’absurdité...
Cauchemardesque
D’un côté, Lorenzo est fâché avec les lignes droites. Il ne dédaigne pas les angles ou les aplats, mais ils ont tous un air un peu bancal, un peu cintré. De l'autre, il fait appel aux hachures, omniprésentes comme des ombres projetées par une lumière trop forte. Et puis, enfin, mais très rarement, des courbes douces, qui forment un oasis de paix dans un monde ahurissant de violence. C'est un dessin nerveux, parsemé de tics répétitifs et qui illustre bien la nature obsessionnelle du délire.
Tous les matelots n'aiment pas l'eau n'est pas un album facile à digérer. Il laisse au coeur l'impression désagréable de douter de la réalité, d'être un peu flou, un peu décalé. C'est tout à fait ce qui convient.
La chronique de 16h16 !