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Trackés - Les secrets d'écriture de Christophe Nicolas
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Trackés - Les secrets d'écriture de Christophe Nicolas

A l'occasion de la sortie de Trackés, Christophe Nicolas revient sur l'écriture de ce nouveau roman paru aux éditions Argyll.

Actusf : On vous retrouve avec Trackés. Quelle est l'origine de ce roman et qu'aviez-vous envie de faire ? Quels sont les liens avec votre précédent roman : Projet Harmonie ?

Christophe Nicolas : À l’origine de Trackés, il y a une scène du film Captain America : Le Soldat de l’hiver, qui a réveillé une idée plus ancienne qui m’était venu devant un autre film : L’œil du Mal. Pour ne pas trop dévoiler mon intrigue, disons que dans les deux cas, il s’agit de l’exploitation des mégadonnées dans un futur proche. J’avais envie d’un roman à l’image de ces deux superproductions américaines, plein de rythme, d’action et de gadgets technologiques. Tout s’est mis en place dans mon esprit quand j’ai pris conscience que la plupart des thèmes que je souhaitais traiter rappelaient ceux de Projet Harmonie, qui se déroule dans les années 90. J’ai donc repris les personnages principaux, 20 ans plus tard, pour reparler de contrôle social, cette fois à l’ère numérique. Les deux livres se répondent, s’enrichissent, mais j’ai veillé à ce qu’on puisse lire l’un sans avoir lu l’autre.

Actusf : On est dans un techno-thriller qui fait pas mal référence à ce qui s'est passé ces dernières années. En tout cas, votre roman est en prise avec l'actualité. Comment avez-vous travaillé ? Quelle a été la part de documentation ?

Christophe Nicolas : La documentation a tenu une place importante dans la rédaction de Trackés. Je me suis attaché à vérifier toutes mes intuitions de départ. Et souvent, mes « découvertes » ont modifié le cours du scénario. Il faut savoir que j’ai suivi des études en informatique. Je partais donc avec une base de connaissances dans ce domaine, que j’ai tout de même dû remettre à jour (mon diplôme date de 1997) ! Pour le reste (sociologie, psychologie, actualité politique et sociale, etc.), j’ai beaucoup lu et j’ai passé des semaines entières sur Internet. Puis, j’ai interrogé des policiers, des journalistes… J’ai même visité la régie de LCI, pour la scène finale. Sans parler des repérages pour les autres décors : Paris, Montreuil, Toulouse, Barcelone… Je voulais que le roman colle au plus près de la réalité de l’époque, entre 2014 et 2016. Ça me semblait important, pour rendre crédibles les quelques « inventions » du livre.

Actusf : Vous parlez notamment des GAFAM, mais aussi du droit à l'oubli sur Internet et tout un tas d'autres choses comme nos traces numériques. Qu'est-ce qui vous intéressait dans cette thématique ?

Christophe Nicolas : Un personnage du roman cite une blague qui tournait dans le monde des informaticiens au début des années 2000, pour dénoncer le croisement des fichiers : « C’est l’histoire d’un mec qui appelle pour commander une pizza, et la dame lui sort toute sa vie au téléphone, comme quoi il ne devrait pas prendre la pizza à la viande, parce qu’il fait de l’hypertension et que son contrat d’assurance le lui interdit. Elle lui en propose même une autre, compatible avec son dossier médical, mais qui correspond aussi à ses goûts, selon ses dernières recherches Internet, ses achats, tout ça. Elle sait aussi qu’il n’a plus d’argent sur son compte en banque, alors le mec s’énerve et elle lui rappelle qu’il a déjà été condamné pour outrage. À la fin, elle lui refuse sa boisson gratuite parce qu’elle n’a pas le droit d’offrir de soda aux diabétiques. »
On a parfois du mal à saisir toutes les conséquences d’une collecte massive des données personnelles par de grands groupes privés. Trackés tente d’illustrer plusieurs de ces effets, sur les sociétés humaines, mais aussi sur le comportement de chaque individu.

Actusf : Pas mal de petites choses changent. C'est notre France mais en décalé. Le président est par exemple Bossaillon, dont le mandat s'étend sur ceux de Sarkozy et de Hollande. Mediapart devient Medianet, Decathlon est Crossathlon... Pourquoi cela ?

Christophe Nicolas : Il existe plusieurs raisons. La principale se trouve dans Projet Harmonie : les noms propres y étaient déjà modifiés, notamment ceux des journaux ; et la fin du roman donne une explication disons... plus SF. Mais c’est aussi un moyen de décrire un système plutôt que des dérives personnelles. Bossaillon n’est ni Sarkozy ni Hollande, mais « un président “libéral” de la Ve République française ». De même, GoTech est « un géant américain du numérique » ou i24-TV « une chaîne d’info en continu »... Cela m’oblige à définir de qui ou de quoi je parle, pour que les lecteurs les moins informés puissent suivre l’histoire sans difficulté. De même que le public « extranational », pas forcément au courant de l’actualité française.

Actusf : Quels sont vos liens avec vos personnages ? Qui est Florence Roche, la capitaine de police chargée de l'enquête avec Julia, la fille de la victime ?

Christophe Nicolas : D’habitude, je construis mes personnages en fonction de l’histoire que je veux raconter. Même si souvent, je découvre leur caractère profond au fil de l’écriture.
Avec Florence Roche, c’était différent, puisqu’elle faisait partie du « casting » de Projet Harmonie, comme Yannick Diaz ou Bossaillon. C’était la première fois que je reprenais des personnages et j’ai dû imaginer les années vécues « hors caméra » pour que leur évolution corresponde à leur nouveau rôle. C’était un exercice très intéressant.
Avec Julia, c’était encore autre chose. J’avais besoin d’une jeune femme peu intéressée par la politique et très intégrée à la société de consommation. Mais ce devait aussi être la fille de Yannick Diaz, qui est tout le contraire. Et il fallait qu’elle soit âgée de 25 ans, alors qu’on ne parle pas d’elle dans Projet Harmonie (qui se déroule 20 ans plus tôt)…
Mes personnages sont donc d’abord de simples outils au service de l’intrigue. Mais il arrive toujours un moment, durant l’écriture, où ils deviennent « vivants ». Cela facilite grandement mon travail, puisque chacun parle alors avec sa propre voix.

Actusf : C'est un roman qui bouscule et qui pose des questions. Qu'est-ce que vous aimeriez que les lecteurs en retiennent ?

Christophe Nicolas : Avant tout, j’espère qu’ils auront passé un bon moment ! J’ai cherché à écrire ce qu’on appelle un « page-turner », avec de l’aventure, des rebondissements et du suspense dans un style simple et rythmé. Si le roman donne à réfléchir, tant mieux ! Mais je ne voulais pas que les questions soulevées gênent la lecture. Elles devaient l’enrichir, en s’intégrant complètement à l’histoire. Après… Le message du livre tient en un mot, finalement : le dernier, imprimé en lettres capitales.

Actusf : Est-ce que vous considérez que c'est un roman engagé ?

Christophe Nicolas : Au départ, je voulais écrire un roman de SF. C’est en approfondissant ma documentation que je me suis rendu compte que le monde futuriste que je voulais décrire ressemblait déjà beaucoup au nôtre. Et pourtant, j’ai terminé Trackés en 2018, juste avant le mouvement des Gilets jaunes, à une époque où on ne parlait pas de violences policières dans les grands médias… Un autre exemple : la loi « sécurité globale » (qui privatise une partie de la surveillance, légalise l’usage des drones, etc.) n’était pas encore à l’ordre du jour, alors qu’elle est aujourd’hui adoptée. Trackés est un roman engagé, sans doute, mais je pense que l’impression est renforcée par la situation actuelle. C’est la réalité qui est choquante.

Actusf : Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?

Christophe Nicolas : Sur quelque chose de complètement différent. Pas forcément plus léger, mais plus intimiste. L’histoire se passe dans les Cévennes : un écrivain disparaît et les gendarmes du coin mènent l’enquête. Du pur polar, sans élément « merveilleux », cette fois.
Sinon, on pourra me croiser au Festival du Fantastique de Béziers, du 11 au 13 juin 2021. Je fais partie du jury du concours de nouvelles.

Jérôme Vincent

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