Sylvie Miller : Ma méthode de travail est la suivante : je fais d’abord une première traduction (un premier jet) pour « dégrossir » le travail. Ensuite, je retravaille le texte pour l’améliorer. Je prends en général contact avec les auteurs lorsque j’ai des questions concernant des termes, des passages… Je suis parfois amenée à faire des recherches lorsque le texte comporte des termes techniques ou très spécifiques. C’est également le cas lorsqu’il y a des références à certains événements ou à certains lieux.
Aude Carlier :Oui, dans la mesure du possible, j'essaie de lire ce qu'ils ont écrit avant. Plus important, je me renseigne un maximum sur les thèmes abordés pour avoir l'impression de savoir de quoi je parle quand j'emploie tel ou tel terme technique.
Luc Carissimo : Ma méthode de travail consiste à faire un premier jet pour débroussailler au mieux (mais en m'efforçant malgré tout d'écrire comme si c'était ce qui devait être publié). Ensuite, j'imprime, je relis et je corrige plusieurs fois jusqu'à ce que le résultat me semble correct... Me documenter sur les auteurs, pour quoi faire ?
Mélanie Fazi : Je me renseigne parfois sur l'auteur par curiosité, mais ça ne me paraît pas nécessaire pour la traduction elle-même, sauf si l'ouvrage a des liens étroits avec certains aspects de sa vie... Et encore. Le cas ne s'est jamais présenté en ce qui me concerne. Dans la mesure du possible, j'essaie effectivement de contacter les auteurs et de leur poser des questions : pour éviter des contresens, vérifier qu'un terme a bien la nuance que je suppose, ce genre de choses. Pour ne pas trop abuser de leur temps, je pose plutôt mes questions vers la fin de la traduction, quand je suis bien imprégnée du livre et que j'ai déjà déblayé le terrain (pour éviter, par exemple, d'ennuyer l'auteur avec des questions qui paraissaient difficiles mais dont j'ai finalement trouvé la réponse toute seule en cours de route).
Pour le reste, j'essaie de lire l'ouvrage en entier avant de commencer la traduction, alors que d'autres collègues préfèrent en savoir le moins possible. J'en ai besoin pour entrer dans l'ambiance, avoir une vision globale du livre, des termes récurrents, des néologismes à inventer, etc. Ensuite, je fais un premier jet qui est généralement assez brouillon, en laissant de côté les termes qui me posent vraiment problème, puis j'affine au fil des relectures et recherches.
Patrick Couton : Je n'ai pas de méthode précise. Je me jette dans un bouquin et advienne que pourra. J'essaye quand même de me renseigner sur le roman et l'auteur au moyen d'internet.
Arnaud Mousnier-Lompré : D'abord, je m'impose des horaires - 9h/12h, 14h/17h, à peu près - sans quoi je ne fais rien. En général, je lis au préalable le livre que je dois traduire pour me faire une idée du style et des pièges qui peuvent s'y dissimuler, puis je me lance. Je n'ai pas de technique particulière, de méthode personnelle. Je traduis le texte au fur et à mesure, en m'efforçant de peaufiner chaque phrase de façon à n'avoir pas ou peu à revenir dessus par la suite - : je ne débroussaille pas le texte au départ pour l'améliorer ensuite.
Pour la documentation, avec Robin Hobb, j'ai souvent à rechercher des noms de plantes, mais, en général, je m'adresse directement à elle, elle me fournit le nom latin et je me débrouille ensuite avec mes dictionnaires et Internet; à part ça... Si, pour un livre d'OS Card, j'ai dû me documenter sur les Aztèques pour la traduction des noms, mais c'est assez exceptionnel.
Nathalie Mège : Chaque (bon) roman a son identité propre, la méthode varie donc presque à chaque fois. Mais en gros, je balise d'abord côté vocabulaire, références, etc, tout en traduisant presque au kilomètre. Ensuite, je peux passer le cœur léger à l'étape la plus importante : faire que le texte ait l'air d'être écrit en français. Relire et récrire, parfois 5 à 6 fois. Illustration de l'aspect particulier de chaque livre : dans le cas du Concile de Fer, de Miéville, ma dernière traduction de SF publiée à ce jour, après les étapes précitées, j'ai dû récrire trois fois toute la partie intitulée Anamnèse, qui compte près de 200 feuillets et des flash-backs imbriqués, apparemment intemporels, mais pourtant circonstanciés, ce qui imposait de jongler entre les temps de narration. Or notre usage des temps du passé est très différent de celui de l'anglais…
Je ne me documente pas beaucoup sur l'auteur, mais sur son bouquin et les sujets qu'il aborde, oui, pour m'en imprégner comme un écrivain pro le fait quand il écrit. Autrement c'est le flop – et, en SF, le Razzie pour plantage scientifique guette toujours au tournant ;-)
Jean-Daniel Brèque : Ça dépend du livre. Je me documente davantage sur le sujet que sur l’auteur, en fait. Il peut être utile de contacter celui-ci pour lever des ambiguïtés. Lorsque j’étais en train de traduire L’Echiquier du mal, je me suis rendu dans une convention anglaise où Dan Simmons était invité. Quand il m’a vu débarquer avec mon exemplaire post-ité à mort, il est devenu livide. Mais on a bossé dessus pendant une heure au bar, et pas mal de mes questions étaient légitimes.. La version initiale de son roman était bien plus longue et, en procédant aux coupures qu’il jugeait nécessaires, il avait laissé dépasser quelques fils de l’intrigue.
Lionel Davoust : L’auteur en lui-même, pas vraiment, non : le connaître ne m’aidera pas à connaître son œuvre et je ne veux pas être influencé par d’éventuelles résonances entre son récit et sa vie. Généralement, je me limite à savoir s’il est américain, australien, anglais, histoire de cerner les idiosyncrasies linguistiques. J’essaie ensuite, mais seulement ensuite, de nouer le contact si j’ai d’éventuelles questions d’interprétation. Parfois, il se crée alors un véritable lien avec lui, et c’est un grand plaisir d’échanger avec la personne derrière l’œuvre. Pour la méthode, je commence par une découverte du roman en simple lecteur, pour profiter du texte. Je ne prends surtout pas de notes : je veux apprécier l’histoire avec laquelle je vais passer plusieurs mois, en tirer seulement du plaisir sans la penser de manière analytique. Ensuite, je réalise un premier jet assez rapide où je cherche à me « couler » dans le style et l’atmosphère – j’essaie de me rapprocher le plus possible de cette sensation de l’écriture où les phrases finissent par s’enchaîner, quand on a légèrement atténué le filtre de la conscience et que les plus belles formulations s’imposent dans le rythme de la rédaction. J’effectue aussi le gros des recherches dans cette phase, histoire de cerner au maximum ce dont l’auteur – et donc moi par la suite ! – parle. Une fois ce jet terminé, j’effectue une relecture extrêmement attentive et très longue en comparant minutieusement avec le texte d’origine pour vérifier que je lui suis aussi fidèle que possible, tout en corrigeant le français. Enfin, je fais un dernier passage « en simple lecteur » pour vérifier que rien n’accroche dans le style, le rythme, les formulations. Dans de rares cas, selon la difficulté du texte, je peux faire encore une ou deux relectures supplémentaires.
Actusf : Lisez en dehors des traductions des livres en VO ?
Mélanie Fazi : Oui, beaucoup. J'ai de plus en plus de mal à lire des traductions. D'une part, je repère plus facilement qu'avant les maladresses, les expressions calquées sur l'anglais, ce genre de choses. Et d'autre part, j'ai trop conscience, de par mon expérience, de ce qui est perdu en cours de traduction. Même quand le travail est très soigné, il y a des pertes. Donc j'aime autant découvrir la voix originale de l'auteur.
Jean-Daniel Brèque : Oui. Je reste fidèle à mes auteurs préférés, que je les traduise (Lucius Shepard) ou non (John Crowley, Christopher Priest…), et je commande leurs livres dès la sortie. Pour être tout à fait franc, je lis moins de SF/F en ce moment qu’il y a quelques années – ces derniers mois, je me suis concentré sur l’œuvre de Poul Anderson, que j’ai relue en quasi-totalité pour l’ouvrage que je lui ai consacré ; les nouveautés en ont souffert…
Actusf : Quel est votre rythme de traduction à peu près ?
Sylvie Miller : C’est très variable. Cela dépend de la complexité du texte à traduire. Il m’est difficile de donner une réponse précise dans la mesure où je ne comptabilise pas précisément mon temps et où j’effectue en général mes traductions en parallèle avec d’autres activités (liées à mon métier principal). Je peux traduire de une page par jour à une dizaine de pages par jour.
Aude Carlier : Entre 100 et 200 feuillets par mois, selon la difficulté (sachant depuis la naissance de mon fils, que je garde avec moi, je ne travaille plus à plein temps !)
Luc Carissimo : Vu la méthode de travail expliquée plus haut, je suis assez lent, je préfère ne pas dépasser 100 ou 150 feuillets par mois...
Mélanie Fazi : C'est variable selon le moment, la difficulté et la taille du livre, mais un roman me prend en moyenne trois à quatre mois. Moins quand le livre est court (les Graham Joyce, les nouvelles de Poppy Z. Brite ou "Hellraiser" de Clive Barker par exemple).
Patrick Couton : Comme je suis d'abord musicien, donc régulièrement en tournée, je ne traduis pas énormément. Disons une moyenne de trois romans par an.
Arnaud Mousnier-Lompré : Je dois traduire en moyenne 3 ou 4 livres par an; je suis payé 18 euros (ou 18,50, je ne sais plus) la page de 1500 signes - sans compter les droits d'auteur que me rapportent certains livres qui se vendent très bien.
Nathalie Mège : Lent. 2400 feuillets par an au mieux. Mais Perdido Street Station qui en comptait moins m'a pris plus d'une année à temps plein.
Jean-Daniel Brèque : J’essaie de maintenir un rythme moyen correspondant à 10-15 feuillets par jour ouvré. Donc, pour un livre comme Olympos, il me faut de quatre à six mois de boulot – sauf que je peux être beaucoup plus rapide. Ces dernières années, comme le travail ne manque pas, j’ai accumulé les heures sup.
Lionel Davoust : Difficile de l’estimer à cause de cette méthode en plusieurs phases… Je traduis dix à quinze pages par jour en premier jet mais il me faut presque autant de temps pour les relire. Disons, en gros, qu’un roman de cinq cents pages me demande cinq à sept mois en fonction de sa difficulté. Je crois que je suis plutôt lent.