- le  
Trois bonnes raisons de lire Alien Earth
Commenter

Trois bonnes raisons de lire Alien Earth

Trois bonnes raisons de lire Alien Earth de Megan Lindholm, alias Robin Hobb, l'autrice de l'Assassin Royal.

Année de 1e publication VO : 1992
Année de 1e publication VF : 2006
Année de publication ActuSF : 2020

La Terre est morte, dévastée et empoisonnée. Et les humains ont bien failli disparaître avec elle. Les Arthroplanes, une race de parasites insectoïdes aux motivations obscures, les ont évacués vers deux planètes jumelles, Castor et Pollux. Tout au long de profondes mutations physiques et intellectuelles forcées, l'espèce humaine s’est vue contrainte à s’adapter à son nouvel habitat et à se fondre dans son nouvel environnement. Mais l’écosystème de la Terre s’est peut-être réparé. Secrètement un gigantesque vaisseau animal va prendre la route des étoiles vers la planète des origines, cette terre devenue étrangère. Mais est-ce pour un retour vers l’enfer ou pour un nouveau départ ?

Robin Hobb s’est détournée de la fantasy qui l’a rendue célèbre, le temps d’écrire ce somptueux roman de science-fiction qu’elle a signé Megan Lindholm.

En effet, en 1992, l’autrice n’est pas encore très connue. Fantasy initiatique, fantasy médiévale, fantasy urbaine ou bien préhistorique, elle explore le vaste champ de l’imaginaire, dans des romans et des nouvelles dont les ventes restent modestes. Et si Alien Earth lui ouvre les chemins de la science-fiction, L’Assassin royal lui donnera une immense notoriété sous le nom de Robin Hobb.

La situation

J’aurais pu intituler cette chronique « Pourquoi (re)lire Alien Earth aujourd’hui ». En 1992, date à laquelle l’autrice signe cet ouvrage, le Traité de Maastricht est signé le 7 février. Celui-ci ouvre la voie à la création de l’Union Européenne moderne par les membres de la CEE. Du 3 au 14 juin, c’est le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro organisé par les Nations Unies avec l’adoption d'une déclaration sur les droits et responsabilités des pays dans le domaine de l'environnement, la définition des trois piliers du développement durable (environnemental, social, économique) et la définition de l'agenda 21 pour les collectivités territoriales.

Empreinte de cette prise de conscience, l’histoire d’Alien Earth fait des humains une race qui a éteint sa planète. Même si l’autrice ne rentre pas dans les détails de la presque fin de l’humanité, on sent chez elle une forme d’appel à la raison. Ce qui est intéressant, c’est la mémoire des origines. Ne pourrait-on pas repeupler la Terre si elle n’est plus invivable ni toxique ? Mais « La nostalgie n’est plus ce qu’elle était ». La bataille entre les rêveurs du retour et les dirigeants, qui ont (enfin) presque réussi à éradiquer toute forme de rébellion sur les nouvelles planètes, fait rage.

Ce qui m’a fait frissonner c’est la façon de redécouvrir cette Terre qui nous est chère par des inconnus… humains. On s’attendrait à une vision des extra-terrestres mais celle-ci nous est cachée, sans doute volontairement par l’autrice.

Les personnages

On les découvre peu à peu, c’est le sel de l’ouvrage. Et on évolue avec eux, c’est l’autre grande capacité de l’autrice, cette façon de plonger au cœur des péripéties par l’intermédiaire des ressentis et des émotions de ses héros. John, le Capitaine, de simple routier de l’espace, devint celui qui prend des risques. Connie, son adjointe, la « sans réactions », fait tomber ses barrières, physiques et intellectuelles. Des inadaptés dans un monde qui a tout l’air d’être harmonieux. Mais jusqu’où cette harmonie peut-elle emprisonner l’individu ? A partir de quand une forme d’écologie, nécessaire sur le fond, tend à trop aplanir les libertés individuelles ?

Leur rencontre avec Raef, celui qui a survécu, prend aux tripes. Les humains sont devenus tellement atrophiés et méconnaissables, que le chemin parcouru parait aberrant. Il est alors, à mon corps défendant, un peu difficile par moments, d’accepter que la race humaine ait pu dépendre autant d’une autre espèce pendant aussi longtemps, ailleurs dans l’espace, complètement dénaturée et infantilisée.

Mais le plus novateur, c’est la relation décrite il y a presque 30 ans entre un symbiote et son animal vaisseau. Les extra-terrestres, les Arthroplanes, se servent d'immenses créatures, les Aniles, qu'ils parasitent, pour se déplacer dans l'espace et marchander avec d'autres planètes.

L’intelligence de Tug puis sa détresse, trouvent un écho fascinant dans l’animalité basique de l’autre, Evangeline. L’éveil de celle-ci à une vraie conscience, l’appel de la famille, ses réminiscences douloureuses d’un esclavage qui ne dit pas ou presque pas son nom nous télescopent rudement. Il y a sans doute là, les prémices des vivenefs et des dragons des futurs livres de fantasy de l’autrice américaine.

Les idées et les intrigues

Le plus dérangeant est sans doute la description de cette quasi-vie à bord de l’animal vaisseau qui parcourt l’univers. Tranches de vie, courtes, et sommeils de très longues durées : on a du mal à ne pas se sentir soi-même un peu dans le coaltar. Car les voyageurs rêvent indéfiniment, ou se remémorent des choses. Mais quel est leur libre-arbitre, pris entre le démiurge Tug et l’animal vaisseau qui prend des libertés ?

L’autrice parle de tolérance, d’appréciation des différences, nous vante l’harmonie tout en tout nous montrant qu’un peu de disharmonie ne fait pas de mal. Alien Earth est un formidable space opéra qui nous donne à aimer encore plus la littérature et la philosophie. C’est un huis clos assez intense, que je qualifierai d’organique même s’il n’y a pas l’effroi que ce vocable peut faire supposer.

Y a-t-il ce soir des Aniles qui traversent l’espace ? Et pourquoi pas…

à lire aussi

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?