Les auteurs
Né à Paris en 1968, Christian De Metter est un auteur de bandes dessinées, ainsi que guitariste dans le groupe "Les Brigitte".
Il débute dans la bande dessinée après avoir travaillé comme dessinateur dans la presse rock. Sa première BD s'intitule Emma ; elle fut tout d'abord éditée aux éditions Triskel (2000) puis rééditée par Soleil Productions. On lui doit d'autres titres tel que Dusk paru aux éditions Les Humanoïdes Associés, ou encore Swinging London.
2004 : Il publie Le Sang des valentines pour lequel il reçoit en association avec Cathy Muller, le prix public du meilleur album lors du 32e festival d'Angoulême 2005.
Il réalise aussi une adaptation du bestseller de Dennis Lehane, Shutter Island, pour lequel il reçoit le prix des libraires en 2009 ainsi que le Prix Mor Vran de la BD par le jury du Goéland Masqué. La même année, il reçoit le Grand Prix du festival Des Planches et des Vaches pour l'ensemble de son œuvre.
En Octobre 2015, Christian de Metter réalise une adaptation BD du très beau roman (prix Goncourt) de Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut.
De son côté, René Barjavel est né à Nyons en 1911. Il n’a pas beaucoup de succès avec ses premiers romans : Ravage (1943), Le Voyage imprudent (1944), Tarandol (1946) et Le Diable l'emporte (1948). Mais il obtient le Prix des libraires en 1968 pour La Nuit des temps, date à laquelle nait Christian De Metter. Signe, peut-être, qu’ils devaient se rencontrer d’une manière ou d’une autre.
En 1968, j’ai 8 ans, c’est le mai des révoltes et René Barjavel publie ce qui restera comme un incontournable de la science-fiction. Je ne le lirai que vers 13 ou 14 ans quand les littératures de l’imaginaire deviendront le centre de mes lectures. Et je me souviens d’avoir pris une baffe : cet éternel amour d’Eléa et Païkan mêlé aux affres de Simon dans un élan sublime de découvrir leurs vérités.
S’attaquer au roman de Barjavel en BD ma paraissait assez risqué. Le dessinateur a su me prendre au piège d’une satanée réussite.
Un texte respecté
La Nuit des temps, c’est un savant mélange entre le passé et le présent, mais il s’y joue le sort de notre monde. Dans les profondeurs de l’Antarctique, une expédition scientifique internationale découvre un signal : aucun doute n’est possible, il y a un émetteur sous la glace. Et les deux survivants d’une civilisation disparue depuis 900 000 ans à l’abri dans un Œuf géant, en état de biostase.
Le dessinateur a su utiliser le mystère qui entoure les premiers pas des chercheurs en peu de mots et pas mal d’actions. Mais lorsqu’il s’agit de Simon, il a su se rapprocher parfaitement de la façon dont René Barjavel a fait de ce médecin le raconteur, le témoin, l’amoureux de cette folle découverte et de cette femme réveillée en premier.
« Je suis entré le premier… et je t’ai vue. J’aurais voulu être seul avec toi. Seul à te voir… Moi je voulais voir tes yeux. Entendre ta voix…. Te montrer à l’univers, le temps d’un éclair, puis m’enfermer avec toi, seul, et te regarder pendant l’éternité. »
On a toute la passion des découvreurs, les hésitations des scientifiques, les combats pour récupérer (ou non) ces secrets d’un autre temps. En tant que scénariste, Christian De Metter s’est parfaitement approprié cette fantastique histoire.
Un graphisme magnifique
Aidé par une inventivité extraordinaire pour raconter la guerre ancienne et les combats pour la survie, le dessinateur montre une patte sachant mêler les couleurs et les attitudes de bien belle manière. Le graphisme, très noir lors de l’avancée dans les profondeurs de la terre et de la glace, devient une débauche de couleurs pour raconter le passé de nos deux personnages.
La couverture est l’exact tableau de leur amour infini, de celui qui défie le temps, une merveille.
L’aquarelle et les différentes techniques utilisées sonnent comme un reflet assez exact de ce que j’avais ressenti à la lecture du roman, un mélange addictif d’aventures et de passions.
La modernité des deux œuvres
Ce qui m’a paru très réussi, c’est le respect du texte et des idées originales de René Barjavel, tout en modernisant le propos. Déjà à l’époque, l’auteur montre le dépassement des oppositions nationales et la sagesse des savants pour ne pas perdre la très probable avancée technologique de cette ancienne civilisation ainsi que les manifestations des étudiants pour la paix dans ce passé proche du chaos définitif.
Même si les raisons de la guerre sont un peu plus explicites dans le roman que dans la BD, l’essentiel est la prise de conscience des aspects politiques sur le climat, la lutte entre les pays, l'irresponsabilité de l'être humain.
Pacifisme, dénonciation des travers de l'humain, enjeux écologiques, … Christian De Metter reprend les thèmes chers à René Barjavel. Quelques modernisations passent par-là : les réseaux sociaux, Internet « en réseau local »… Mais l’essentiel reste pour le chef de l’expédition que le temps de la science n’est pas celui de l’information.
Quant à l’irrésistible histoire d’amour entre nos deux ancêtres, « pour tous ceux que même la mort n’a pas réussi à séparer », peut-être donnera-t-elle l’envie aux plus jeunes (et aux autres) de (re)lire cette œuvre emblématique de René Barjavel. C’est aussi une très bonne initiation à ceux qui découvrent la SF et la SF française en particulier.
Je conseille aussi Ravage et Le Grand Secret du même auteur.
Pour la bande dessinée, c’est fait, à quand le film ?
Patricia LIEVRE