Aujourd'hui on vous donne trois bonnes raisons de (re)lire Le Voyage de Haviland Tuf de George R.R. Martin.
Haviland Tuf est un « honnête » marchand interstellaire qui vit entouré de chats. A la suite d'une rencontre fortuite (vraiment ?) avec un groupe de mercenaires, et une bataille rangée à coup de créatures cauchemardesques, il se retrouve en possession de l'Arche, un gigantesque vaisseau long de trente kilomètres abandonné mille ans plus tôt. Arme de guerre ultime créée par les éco-scientifiques de l'ancienne Terre, le vaisseau contient à son bord des technologies génétiques aujourd’hui perdues, capables de cloner des milliers d'espèces végétales et animales disparues et donc de bouleverser les écosystèmes de planètes entières.
En compagnie de ses chats et des créatures nées de ses cuves de clonage, Haviland entame un long périple galactique. Ou comment un auteur peut détourner le genre du space opera !
George R.R. Martin est surtout connu pour son immense cycle de fantasy, le Trône de fer, dont la célèbre série Game of Thrones est l'adaptation, mais il est également l'auteur de plusieurs romans et nouvelles de science-fiction dont Nightflyers, elle aussi adaptée en série.
Le Voyage de Haviland Tuf est donc un roman de science-fiction écrit entre 1976 et 1985. Il est composé de 7 chapitres formant chacun un récit indépendant, mais tous reliés par leur personnage principal, Haviland Tuf. Celui-ci, à bord de son vaisseau spatial géant doté d'équipements biologiques et génétiques de très haute technologie, voyage d'étoile en étoile, proposant ses services pour régler les problèmes écologiques de ses clients.
Certains de ces chapitres ont été édités comme nouvelles indépendantes dans divers magazines (l'une d'entre elles, Les Gardiens, remporta le Prix Locus de la meilleure novelette en 1982, avant que l'ensemble, complété et remanié, paraisse en ouvrage unique en 1986. Depuis, les Editions ActuSF l’ont ressorti en version collector en septembre 2020.
Une science-fiction drôle…
Ou une drôle de science-fiction. Après s'être endetté de manière considérable pour rendre L'Arche totalement opérationnelle, Haviland devient "ingénieur écologue" : il vient en aide à différentes planètes qui font appel à ses services et accomplit de véritables miracles, miracles largement rémunérés cela va de soi.
Haviland est un personnage étonnant. Du haut de ses 2m50, avec son gros ventre et son teint blanc, il est flegmatique, marchand honnête mais d’une roublardise à toute épreuve, brillant et intelligent. Son vocabulaire feutré, son amour pour les chats, son aversion pour la nourriture autre que végétarienne le rendent immédiatement attachant et parfois étrange. Mais c’est aussi un redoutable passeur de bons mots et un savant découvreur des côtés obscurs des humains.
Ce drôle de voyage stellaire ne s’embarrasse d’aucun impératif habituel en matière de SF : distances, technologies, néologismes, origine des humains ou cyborgs rencontrés, talents psioniques, l’auteur donne l’impression d’avoir tout digéré, et nous donne à penser que nous aussi, simples lecteurs. Nous sommes dans les années 80, rappelons-le.
Les dialogues sont au cordeau, on imagine mal Haviland sans solutions, mais le suspense est maintenu jusqu’à la proposition finale souvent étonnante. L’imagination de l’auteur est immense. Et les relations avec Le maître de port, tellement riches.
– « Ce sont de bien drôles de noms que vous avez donnés à vos chats », fit Tolly Mune en souriant.
– « Des noms convenant davantage à la nature humaine qu’à celle du félin, accorda Tuf. (…)
Ingratitude, Doute et Méfiance étaient gris, comme leur père Chaos. Hostilité noir et blanc, comme sa mère Dévastation. »
Un pamphlet qui cache son nom
Sous couvert d’aide à ses semblables, grâce à son vaisseau aux millions de possibilités de clonage, Haviland Tuf se déplace dans les étoiles. Mais ses aventures permettent aussi à l’auteur de confronter son personnage aux dérives de l’humanité : cupidité des dirigeants, corruption, natalité galopante, famine, guerre, maltraitance des animaux…
Les chapitres sont irréguliers dans leur intérêt mais au total, on a l’impression que l’auteur ne juge pas. Il nous met devant des états de fait et nous laisse nous poser les questions. Jusqu’où peut-on s’accorder le droit à l’ingérence, en tant qu’individu ou nation ? La fin justifie-t-elle les moyens ? Le dernier chapitre est à cet égard une espèce de somme de tous les autres : dur, sans concession mais laissant au lecteur le goût du questionnement. C’est ce qui fait l’intérêt de ces histoires du bout du monde.
« La faute me revient, monsieur, dit Tuf en constatant les dégâts. J’avais oublié que vous embrassiez une carrière de bureaucrate ce qui vous formait concrètement à peu près à rien. »
Dieu ou simple humain ?
Il y a tout un pan des aventures de Haviland Tuf qui a retenu mon attention. A force de jouer les démiurges, est-ce que notre héros est devenu un Dieu ? L’a-t-on promu au rang de Dieu ? Le croit-il vraiment ?
La bataille pour ce vaisseau extraordinaire mais dangereux, sa lutte contre les faux prophètes, sa façon d’apparaitre salutaire au plus grand nombre : passe-t-il de simple humain à l’égal d’un Dieu ?
On se met petit à petit non pas à renier les exploits de Haviland, mais à moins l’aimer, peut-être parce qu’il pousse les autres dans leurs retranchements. C’est intelligemment fait. Les différents recours à la mythologie y aident grandement.
Un monstre alors ?
« Les monstres n'existent que dans la mythologie…comme les esprits, les garous et les bureaucrates compétents. »