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Trois hourras pour lady Évangeline - Le mot de Jean-Claude Dunyach
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Trois hourras pour lady Évangeline - Le mot de Jean-Claude Dunyach

Actusf : Trois hourras pour lady Évangeline vient de paraître le 20 juin dernier aux éditions L’Atalante. Pouvez-vous nous dire comment est né ce roman ? De quoi cela parle-t-il ?
D'ailleurs, Evangéline, votre héroïne, est plutôt du genre délurée et ne s’en laisser pas conter. Pouvez-vous nous dire quelques mots à son sujet ? Comment l’avez-vous créée ?

Jean-Claude Dunyach : Trois hourras pour lady Évangeline a d’abord été une courte novella… Je n’y parlais que de l’arrivée d’Évangeline dans son école et de l’attaque qui avait suivi. Elle est parue dans le n°58 de Bifrost, en 2010. L’aventure aurait pu s’arrêter là, mais… certains personnages ont la capacité de survivre à tout ce que l’auteur sadique et cruel (moi) place sur leur chemin. Évangeline est de ceux-là. C’est une adolescente perturbée, souvent odieuse, tellement mal dans sa peau que son mal-être la pousse vers des extrémités difficiles à gérer pour les autres (elle est fille de diplomates et son côté débridé est en décalage total avec la façon d’agir qu’on attend d’elle). Mais, à ma grande surprise, elle s’est révélée une survivante, une vraie. Avec une vitalité incroyable, elle a encaissé tout ce que je lui balançais. Elle n’a jamais baissé les bras.

Et, quand la novella a été publiée, Évangeline n’a pas disparu, comme mes autres personnages, mais elle est restée là, à me tarabuster pour que je continue à m’occuper d’elle. J’ai très vite compris que son histoire n’était pas terminée. Si je voulais me débarrasser d’elle, il allait falloir lui offrir une aventure à sa mesure.

Le reste s’est mis en place peu à peu. Ça a été un livre difficile à écrire, parce que, à la différence des autres, je n’avais pas une vision claire de la situation générale, j’avançais en aveugle, tiré par Évangeline. Puis d’autres personnages sont apparus, chacun.es avec leurs caractéristiques propres, et leur désir de survivre. Il y avait des ennemis, des forces destructrices, et au milieu de tout ça un vaisseau spatial isolé qui tentait de trouver une solution à la crise qui menaçait l’humanité. Je ne contrôlais rien, je laissais mes personnages (des militaires, des diplomates, et bien sûr cette peste d’Évangeline) trouver leurs propres solutions.

En plus, il y avait la crise d’adolescence d’Évangeline, son rapport avec son père – un peu trop présent – et sa mère absente. Sa sexualité débordante était aussi un élément à gérer (l’histoire se déroule dans un futur où toutes les formes de sexualité sont considérées comme équivalentes – personne ou presque n’est totalement hétéro –, et où l’égalité homme/femme est solidement établie, ce qui permet aux personnages de jouer avec les codes patriarcaux/matriarcaux pour s’en moquer). Je n’avais pas particulièrement l’intention d’écrire un livre militant sur le sujet, il s’est juste trouvé que les personnages principaux, ceux qui agissent, sont essentiellement des héroïnes. Ce qui n’a rien de remarquable dans cette société-là, d’ailleurs.

Pour ce qui est des « agresseurs », la situation était particulière. Ce ne sont pas des méchants à proprement parler, car l’intention de nuire est absente, ce sont juste des intelligences différentes qui entrent en conflit avec nous et qui ont des raisons spécifiques – de type survie – pour continuer le conflit. J’ai voulu mettre en scène ces intelligences qui ne sont pas individualisées face à des humains, qui pensent d’abord à eux-mêmes : il y a une ruche, qui s’empare d’Évangeline, puis un nuage de particules intelligentes qu’un vaisseau humain agresse sans le faire exprès, ce qui a des conséquences catastrophiques. La ruche m’intéressait par son côté organique, gluant, saturé de phéromones, et le nuage par son côté sensoriellement neutre, presque virtuel. J’ai obtenu un doctorat sur les machines parallèles et sur les algorithmes de collaboration entre unités de calcul – j’ai bossé des années là-dessus en post-doc – donc ça m’intéressait de jouer avec ce type d’artefacts. Pour la ruche, j’ai mélangé diverses sortes d’insectes en fonction de mes besoins. Mais dans les deux cas, la question centrale était celle de la survie de l’humanité face à ces deux types d’intelligences totalement différents de la nôtre. Ça voulait dire apprendre à se faire reconnaître comme une intelligence par l’adversaire, et trouver le moyen de communiquer avec lui.

C’était avant tout un problème de survie… Pour l’essentiel, « Trois hourras pour lady Évangeline » ne parle que de ça. Un peu comme Game of Thrones, si on va par là (rires).

Je n’en dirai pas plus, je préfère laisser mes livres parler d’eux-mêmes. Ils le font mieux que moi.

Maintenant que le roman est paru, je peux me consacrer à autre chose, et d’abord au troisième tome des aventures de mon Troll. Cette fois, il a de gros problèmes de pognon (enfin pas lui, sa trollesse, mais ça revient au même), donc il va devoir envisager un cambriolage particulièrement compliqué, en compagnie de sa bande habituelle de bras cassés. Pendant ce temps, les nains mijotent un truc derrière son dos. Et Cédric a décidé de se lancer dans la vie active, comme collecteur de fonds, ce qui n’est pas nécessairement une bonne idée quand on a la carrure d’une crevette grise et l’intelligence qui va avec. Parution prévue un peu avant les Imaginales de 2020. Je suis en plein dedans.
J’ai aussi deux novellas de science-fiction sur le feu – chacune dépassant les 50 000 signes pour l’instant – et divers projets anciens qui réclament mon attention. Parce que, j’ai oublié de le signaler, je suis à la retraite depuis trois mois. Et déjà surbooké, comme je m’y attendais. Mais j’ai du temps pour vraiment écrire, ce qui me ravit.
Ça me permet aussi de participer à divers festivals – je serai à Aurillac les 21 & 22 septembre à l’invitation de l’ami Jean-Luc Marcastel, puis à Scientilivre (Toulouse Labège) les 20 et 21 octobre, puis aux Utopiales de Nantes du 31 octobre au 4 septembre, puis à Sèvres… Je profite de ma liberté pour voyager.

Une dernière chose : écrire « Trois hourras pour lady Évangeline » m’a obligé à soigner tout particulièrement trois aspects sensoriels qu’on a plutôt tendance à négliger : le toucher, l’odorat et l’ouïe, surtout l’aspect rythmique de la chose. Ça a été un exercice d’écriture difficile, mais très enrichissant. Je me dis souvent quand j’écris que les éléments sensoriels aident le lecteur à se situer à l’intérieur du monde que je décris, mais ça va beaucoup plus loin. Dans le roman, la communication passe énormément par l’échange d’informations sensorielles et sensuelles – c’est une technique que je recommande, même si elle n’est pas toujours aisée à mettre en œuvre. Mais au final, c’est peut-être ce qui nous sauvera, quand des intelligences étrangères dénuées de toute empathie s’attaqueront à nous. Il faudra que j’en parle à mon troll, tiens. En ce moment, il a affaire à des avocats !

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