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Tè Mawon

Langue d'origine : français
Aux éditions : 
Date de parution : 10/03/2022  -  livre
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Tè Mawon, entrée dans le Tout-monde

Roman polyphonique aux multiples accents créoles

Tè Mawon de Michael Roch croise les récits et les destinés des puissants et des déshérités de Lanvil.

Lanvil, mégapole antillaise tentaculaire qui, de ponts en canaux, a rassemblé un archipel atteignant bientôt le Vénézuela. Lanvil et ses étages aux classes sociales bien séparées par des murailles sanitaires. Lanvil Babel multiconnectée, Lanvil pleine de solidarités, de marchés parallèles et d’émeutes. Lanvil dans les profondeurs de laquelle, peut-être, respire encore la terre des zansèt. Une terre primordiale et sacrée porteuse de liberté : le Tout-monde.

C’est en tout cas le plan de Pat « monté et descendu comme le Christ » entre les paliers sociaux de Lanvil et ancien meneur de foules. Mais outre les suspicions de traîtrise parmi ses hommes et les ambigüités fatales de ses anciens alliés, il lui faudra compter dans l’équation la vendetta que ses sœurs, traductrices haut placés, mènent l’une contre l’autre, les machinations de Kossoré, leur trop charismatique patron, sans compter Joe, le nouvel ami de son fils, migrant fraîchement débarqué de Nouvelle-Marseille.

Tè Mawon est un livre tout entier traversé par la question de la langue et des enjeux de pouvoir qu’elle recouvre : enjeux politiques globaux, enjeux d’identité personnelle.

« Quand une langue domine l’autre, l’autre finit par lui appartenir et disparaître. Du coup on existe que si on parle, tu vois ? »

Fable babélienne ?

Fable babélienne sur l’importance de la communication pour le bien vivre ensemble ?

Tout n’est pas si simple. D’abord, la polyphonie du roman fait résonner plusieurs discours contradictoires. Kossoré parle ainsi par exemple de renoncer à tout traduire pour accepter la complexité de l’altérité :

« Dépasser la traduction et entrer en relation (…), rejoindre le Tout-monde. »

Ensuite, Tè Mawon n’a rien d’un essai explicatif ; c’est un embrouillaminis d’affects exacerbés, de passions blessés, un compte à rebours vers l’émeute, un espoir de révolution tordu d’incertitudes, avec ses courses-poursuites, ses évasions, ses trahisons et ses retournements dans l’air lourd à l’odeur d’anguilles. L’intérêt du projet initial même peut à chaque moment être remise en question :

« Retrouver la terre des ancêtres, et puis après ? Que cessent les discriminations, les oppressions ? (…) Le Tout-monde n’existe pas. La terre de nos ancêtres n’a jamais existé. La vraie terre, nous l’avons détruite, nous l’avons rasée. »

Rien n’est figé, tout n’est que vagabondage, errance, fuite. Élan.

Mais d’où vient le Tout-monde ?

Ce pilier fondateur du récit est un concept forgé par Edouard Glissant, auteur du roman Le Tout-monde et de l’essai Traité du Tout-monde. Michael Roch revendique explicitement la filiation de l’auteur, cité par ses personnages. C’est dans sa pensée de la créolisation comme entrée en relation de la diversité qu’il prend pour forger les valeurs de « diversalité » prônées dans sa Lanvil futuriste.

Myriam Cottias, dans son article « Édouard Glissant, de la créolisation au Tout-Monde », en parle en ces termes :

« Les Antilles sont posées comme laboratoire d’une modernité où les identités ne sont plus figées mais constamment travaillées par les expériences de déplacement et de rencontre. L’identité qui s’est créée dans cet espace construit sur la confrontation de populations déportées par la traite, par la production des richesses coloniales, par les engagements de travail du xixe siècle, est ainsi fondée sur le Divers. C’est une identité « rhizome ». »

C’est peut-être de cette identité « rhizome » que découle ce récit tenaillé de liens entre des personnages tous reliés entre eux par plusieurs filets, tous, peut-être, courant vers le même but, mais par différents moyens. À la recherche d’espoir comme seuls peuvent l’être les nostalgiques et les endeuillés. À la recherche de celles et ceux qu’ils ont été et surtout, de celles et ceux qu’ils pourraient devenir – qu’ils deviennent, dans leur course.

Dans Quand les murs tombent, essai coécrit avec Patrick Chamoiseau, Édouard Glissant écrit :

« L’identité est d’abord un être-dans-le-monde, ainsi que disent les philosophes, un risque avant tout, qu’il faut courir, et qu’elle fournit ainsi au rapport avec l’Autre et avec ce monde, en même temps qu’elle résulte de ce rapport. Une telle ambivalence nourrit à la fois la liberté d’entreprendre et, plus avant, l’audace de changer. »

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