Plus belle la vie
Dans quelques mois, à l’occasion de son seizième anniversaire, Tally Youngblood subira l’opération chirurgicale qui la fera passer du monde des Uglies (les moches) à celui des Pretties (les beaux). Car dans la société où elle vit, tous les adolescents doivent, pour pouvoir devenir adulte, être rendus artificiellement beaux. Ainsi, les discriminations physiques sont abolies, la comparaison n’est plus possible, et l’humanité peut enfin jouir d’une égalité concrète et absolue. Mais lorsque Tally s’introduit par effraction dans le monde des Pretties pour revoir son ami Peris qui est devenu Pretty quelques temps plus tôt, elle le trouve changé, différent, comme si l’opération chirurgicale n’avait pas eu d’effet que sur son apparence extérieure. Elle fait alors la connaissance de Shay, une autre Ugly comme elle, qui lui apprend l’existence d’un autre monde, où vivent ceux qui ont refusé de subir l’opération. Alors, Tally, belle ou rebelle ? Il va falloir choisir…
Parce que je le vaux bien
Uglies est à première vue un classique roman jeunesse qui suit le chemin battu de la dystopie : une société en apparence parfaite, un jeune héros qui va prendre conscience de ses défauts, des rebelles qui luttent pour la faire tomber, etc. sur un thème qui n’est pas sans rappeller La loi du plus beau de Christophe Lambert (Autres Mondes). Fort heureusement, Scott Westerfeld maîtrise parfaitement son sujet et parvient à en faire un livre solide et original, sur un sujet pas évident à traiter de façon intelligente, et qui aurait facilement pu tomber dans la mièvrerie.
La grande force de ce roman, c’est son héroïne. Tally est un pur produit de la société dans laquelle elle vit, parfaitement consciente de tous ses rouages, obsédée par l’apparence et l’image qu’elle donne d’elle-même. C’est aussi une adolescente égoïste, prompte à oublier ses scrupules et prête à tout pour préserver ses intérêts, quitte à trahir ses amis. Mais loin d’être désagréable, elle en apparaît d’autant plus humaine que tous ses faits et gestes sont crédibles et sa personnalité complexe. Là où on aurait été agacé par une héroïne prête à oublier instantanément ses intérêts au profit de la morale, comme la littérature jeunesse en est pleine, on est touché par ses mensonges, ses doutes, et sa propension à manipuler son prochain.
Uglies est aussi, sur le plan strictement science-fictionnesque, un roman plein de bonnes idées. On retiendra notamment les champs d’Orchidée tigre blanche, une fleur extrêmement rare de nos jours mais qui, à l’époque de Tally, suite à une manipulation génétique, est devenu proliférante au point de recouvrir des milliers de kilomètres carrés et d’étouffer toute autre espèce de végétation. La situation est à ce point désespérée que les habitants de Pretty Town sont forcés de passer les champs de fleurs au lance-flammes pour espérer ralentir leur progression. Une image à la fois poétique et très effrayante, comme on en trouve d’autres dans ce roman : Scott Westerfield n’hésite pas à dépasser son thème de départ pour dépeindre une société complexe et réaliste.
Ajoutez à cela de l’action, de l’humour, de l’amour, et vous obtiendrez un roman captivant et très intelligent. Deux autres tomes ne seront pas de trop pour explorer en profondeur l’univers de Uglies et la personnalité de ses protagonistes : on attend la suite avec impatience !