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Un mois de lecture, Anne Besson - Mai 2013
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Un mois de lecture, Anne Besson - Mai 2013

Quelques bonnes séries se poursuivent ou se terminent : Laini Taylor, Revenante, Gail Carriger, Sans Âge, Gabriel Katz, Les Terres de cristal.
 
Après l’excellente surprise qu’avait représentée Fille des Chimères, Laini Taylor revient avec le deuxième tome de La Marque des Anges : Revenante (Gallimard Jeunesse). Et encore une fois elle transcende ce qui à première vue ressemble à une romance pour ados (une fille aux cheveux bleus, amoureuse d’un ange, entre deux mondes) : par la noblesse épique des enjeux convoqués – une guerre ancienne qui atteint des sommets de violence, le cycle de vengeance et d’extermination entre deux peuples ; et par l’ambivalence constamment préservée de personnages étonnamment crédibles et touchants – aucun n’est tout bon ni tout méchant (j’exagère : il y a de vrais méchants, et un couple de jeunes humains qui, étranger au conflit, apporte humour et légèreté), et en tout cas chacun est obligé de prendre des décisions difficiles, de faire avec l’existant, de côtoyer le mal. On était resté sur la destruction de Loramendi, le refuge des chimères : le massacre marquait la fin du peuple de Karou, et condamnait sa relation avec Akiva l’ange renégat, en partie responsable de ce dénouement tragique. On repart de là : les anges guerriers ont gagné et pourchassent toujours plus loin les chimères civiles survivantes, mais alors qu’ils pensent avoir mis fin aux résurrections en tuant Sulfure, il s’avère que Karou a pris sa relève, abandonnant tout pour prendre fait et cause pour le dernier combat de son peuple. C’est ainsi qu’elle se retrouve littéralement dans la gueule du loup : aux ordres du Loup Blanc, chef des armées chimères mais aussi celui qui l’avait condamnée à mort quand elle était Madrigal et qu’elle avait « trahi » en aimant Akiva… Ce tome aborde avec finesse le sentiment de culpabilité et la manière dont il peut être manipulé, les diverses façons qu’il y a de répondre à la violence, l’espoir à trouver face à une situation tragiquement bloquée. Et sa conclusion relance l’intrigue avec brio, en la déplaçant résolument dans notre monde.
 
Avec Sans Âge (Orbit), Gail Carriger nous propose déjà le 5ème tome des aventures d’Alexia ex-Tarabotti, Lady Maccon, et on ne s’en lasse pas… Désormais mère d’une « difficile » petite Prudence, et parfaitement fidèle à elle-même dans ce nouveau rôle (pragmatisme, poigne et bonnes manières), Alexia est cette fois amenée à déplacer une partie de sa maisonnée vers l’Egypte, pour honorer l’invitation de Matakara, la plus ancienne reine vampire, qui a demandé à les voir. Cette vision du tourisme avec malles, chapeaux, ombrelles, loup-garou et troupe d’acteurs réserve bien sûr de grands moments de plaisir « dangereusement spirituel ». J’aime aussi la façon dont les seconds rôles sont progressivement investis d’une personnalité de plus en plus étoffée – voir ici en particulier Biffy, qu’on avait découvert en drone et amant de Lord Akeldama, qui a eu le malencontreux destin de devenir loup-garou, et qui dans ce tome où il reste à Londres, gagne toute sa place dans la meute ; ou encore Ivy Tunstell, la meilleure amie naïve au délicieux mauvais goût vestimentaire, dont la carrière théâtrale connait elle aussi un tour nouveau pour le moins surprenant. Largement de quoi pimenter les prochains tomes d’une série qui ne marque aucun signe d’essoufflement.
 
Pour la trilogie Le Puits des mémoires de Gabriel Katz, c’est l’heure de la conclusion avec Les Terres de Cristal. C’est désormais officiel, l’ensemble est lauréat du Prix Imaginales 2013, ce qui dit bien l’excellente impression qu’il a produit, avec son style limpide et précis, ses personnages complexes et attachants, son intrigue prenante et structurée. Ceci posé, ce troisième tome n’est pas le meilleur. Je le qualifierai de « déceptif » – attention, pas « décevant » comme ce serait le cas s’il avait voulu combler des attentes et avait échoué dans cet objectif, mais au contraire, volontairement frustrant me semble-t-il, tant l’auteur joue à précisément ne pas nous donner ce qu’on attend : et l’attaque de la forteresse, et le duel final, et le happy end amoureux : eh non, désolé ! Olen, qui semblait s’affirmer dans son rôle de prince, s’ingénie à tout gâcher et passe encore une partie du roman à se conduire en vrai sale gosse. On peut même penser un temps que, comme les personnages d’ailleurs, on ne saura même pas ce qui s’est finalement passé lors de la fameuse nuit de l’effacement des mémoires. Personnellement, la démarche m’a convaincue en ce qu’elle évite à la trilogie de tomber dans un certain nombre de clichés conquérants prolonge ce qui apparait comme une ligne de force des romans, l’idée selon laquelle il faut se méfier des habitudes et des conventions, que les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent, les personnages, ni tels qu’ils pensaient être ni tels qu’ils étaient dans le passé. Mais en ce qui concerne ce seul volume, on reste tout de même un peu sur sa faim, peut-être parce que trop peu de choses demeuraient encore à régler, les dernières révélations sur le complot n’apportant guère que des confirmations à ce qui se dessinait dans les tomes précédents. 
 
Hannu Rajaniemi, Le Voleur quantique¸ Bragelonne :
Pour lecteur-chasseur de primes, avec belle récompense à la clé 
 
… pour finir, c’est un excellent roman, où un supervoleur plein de charme, obligé de collaborer avec une guerrière ailée mi-garde du corps, mi-garde chiourme, se retrouve chargé d’une mystérieuse mission qui va le confronter à son ancien « moi », à la recherche d’un trésor qui se confond avec sa mémoire perdue ; où un jeune détective surdoué, lancé à sa poursuite, découvre lui aussi la vérité sur ses origines et ses aspirations profondes. Seulement, pour en venir là, il faut assez sérieusement s’accrocher ! On est en effet ici face à un exemple typique de hard science post-Greg Egan : le génial romancier australien maintient les exigences du genre en vie, mais il semble aussi avoir imposé un standard de complexité, et même d’obscurité, peut-on dire sans injustice, propre à exclure pas mal de lecteurs. Hannu Rajaniemi, jeune auteur finlandais fort prometteur, s’inscrit sous ce patronage : autrement dit, les premières pages (on peut même dire : les cent premières pages) sont un combat pour la compréhension, très souvent perdu. A quoi ressemble le monde qui entoure les personnages (dans ces scènes d’exposition, une prison quantique suspendue dans l’espace et constamment remodelé par un esprit geôlier : je simplifie !), et eux-mêmes, quelle est leur nature ?, telles sont les questions assez fondamentales auxquelles seules des bribes de réponse nous seront apportées. Un concept-phare comme la « gevulot » qui organise la vie sociale et logicielle sur Mars, ne fera l’objet que d’un commentaire succinct autour de la page 120 : bref, on touche un peu aux limites de l’écriture SF hyper-contemporaine, volontairement muette sur son propre fonctionnement afin de laisser au lecteur le soin de reconstituer l’univers sans en brader l’étrangeté. Une fois sur Mars, Dieu merci, ça se stabilise un peu – façon de parler, puisque la ville de l’Oubliette est en perpétuel mouvement, portée par des robots-Atlas pour échapper aux attaques permanentes des phobois, créatures qui occupent le sol martien. Dans cette ville se développe, en surface, une vie artistique et mondaine néo-parisienne, aux évidents échos proustiens (on croise par exemple une « Gilbertine ») et, plus loin dans les profondeurs, un monde des « presque-morts », les habitants passant par des incarnations successives alternant avec des phases de « Silence », où ils intègrent un corps machinique au service de la collectivité. La double enquête du voleur et du détective, « Jean le Flambeur » en nouvel Arsène Lupin, Isidore comme Auguste Dupin du futur, mêle humour allègre, progression feuilletonesque et réflexions profondes, sur les souvenirs, l’illusion de liberté ou le prix de l’immortalité. Elle nous fait aussi découvrir un ensemble d’une incroyable richesse, toujours grâce à cette technique impressionniste qui consiste à ne nous donner accès qu’à de petites touches permettant peu à peu de reconstituer (en partie !) le tableau d’ensemble : si bien que pour finir…
 
Autres mondes en voie de surexploitation
 
Arthur Ténor, avec Les Fabuleux (Scrinéo Jeunesse) et Leonardo Patrignani avec Multiversum (Gallimard Jeunesse) livrent des romans jeunesse sur des motifs apparentés – dans les deux cas, une exploration explicite des rapports entre les mondes, si décisifs dans la définition des genres de l’imaginaire, quoiqu’évidemment différente dans leur approche et leur traitement. 
Rapport que notre monde est susceptible d’établir avec son propre imaginaire dans Les Fabuleux, roman qui se présente comme le prequel des Voyages extraordinaires du même auteur : l’épilogue voit se fonder « l’agence de voyages » qui permettra l’exploration de l’imaginaire. Tout ce qui précède nous montre comment se sont déroulés les premiers contacts : création de la « brèche quantique » par le hasard d’une expérience de physique audacieuse, découverte mutuelle des deux mondes ainsi mis en contact – le nôtre, avec pour principal représentant le sympathique professeur Julius Kovalch, et celui des « Fabuleux », ces créatures sortis d’un imaginaire collectif qui se confond largement avec une fantasy classique (elfes, orques et hippogriffes), rapide tentative d’exploitation commerciale par Clément Lauzin et amorce de conflit armé. Le roman se lit agréablement : très bien écrit et construit, il m’a toutefois semblé un peu long ; on voit en effet venir les choses de loin, d’ailleurs le futur nous est annoncé par le Grand Guetteur des Septs Tours, qui ne se trompe jamais !
 
Multiversum travaille un thème que j’adore, celui du Multivers – les infinités d’univers coexistant, qui correspondent à chaque embranchement des possibles. Mais il le fait assez pauvrement : même s’il s’agit de le faire découvrir à des lecteurs au début de l’adolescence, dans le même genre A la Croisée des mondes de Pullman est infiniment supérieur ! L’intrigue prend pour point de départ et axe central une histoire d’amour entre deux adolescents sportifs, Alex, italien et basketteur, et Jenny, nageuse australienne, qui se découvrent en communication télépathique. Problème, ces âmes sœurs n’habitent pas (plus) le même monde, et il va leur falloir, aidés par l’ami geek handicapé d’Alex, apprendre à voyager entre les mondes et retrouver Memoria, le refuge de leur passé commun, pour sauver le Multivers de la destruction imminente de la Terre par un météore. Le roman, très rythmé (entre Australie et Italie, entre les différentes réalités, entre un début conforme à notre réalité et une apocalypse finale), se termine de façon à laisser attendre un prochain tome. Mais l’amour des deux héros est si terriblement convenu (« si c’est un rêve, je ne veux jamais me réveiller », il a osé !), et l’enchaînement des épisodes pas toujours convaincant ou cohérent (dans la manière dont ils peuvent ou non investir le corps de leur double dans d’autres mondes, dans leur localisation physique à un instant T) que personnellement, je ne me ruerai pas sur cette suite annoncée. 

Anne Besson

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