- le  
Un mois de lecture, Anne Besson - Mai 2014
Commenter

Un mois de lecture, Anne Besson - Mai 2014

Daniel Hanover, La Voie du Dragon (Fleuve Noir)
Premier volume d’un cycle intitulé « La Dague et la Fortune », La Voie du Dragon est le premier roman traduit de « Daniel Hanover » - sous le nom de « Daniel Abraham », on le connaissait en revanche déjà comme l’auteur des « Cités de Lumière » (chez Fleuve également), que j’avais bien apprécié. Comme il est par ailleurs un collaborateur régulier de George Martin, La Voie du Dragon se trouve souvent associée au modèle de Game of Thrones. En vérité, les rapports sont assez minces : Daniel Hanover trace son propre chemin, ce qui n’est pas plus mal. Certes, on se trouve dans un autre monde dont la magie a disparu, mais où elle s’apprête, nous dit le prologue, à faire un retour inquiétant ; les jeux de pouvoir dans la capitale royale de Camnipol sont complexes et meurtriers, et ce ne sont pas forcément les meilleurs qui gagnent... Mais les points communs s’arrêtent à peu près là, avec chez Hanover le choix d’une simplicité, d’une fluidité, voire d’une linéarité, qui tranche avec la complexité et la richesse d’écriture de son mentor : relativement peu de personnages, une intrigue qui les fait rapidement converger et qui se déploie avec de jolis rebondissements, mais sans jamais dévier de son objectif. Ainsi, treize races cohabitent sur le continent que l’on découvre, les humains « Premiers Nés » étant accompagnés des créations des Dragons, anciens maîtres disparus de ce monde – des hommes-chiens, des êtres insectoïdes, de belles créatures minces et pâles… Mais ils sont (pour le moment ?) à peine décrits et très peu exploités, les quatre personnages principaux, qu’on suit en focalisation alternée selon les chapitres, étant  tous humains – ou métisse dans le cas de la seule femme du lot, Cithrin. Toute jeune orpheline élevée dans une banque, celle-ci se retrouve responsable d’un trésor suite à la prise de sa ville natale de Vanaï par les soldats d’Antéa. Elle va heureusement bénéficier de l’aide du légendaire capitaine Marcus Wester et d’une troupe d’acteurs qui se font passer pour des mercenaires à son service (la bonne idée de ce volume). Parmi l’armée d’occupation, Geder Paliako, intellectuel maladroit, risée de ses camarades, va se métamorphoser plus que quiconque ne pouvait l’imaginer, à commencer par Dawson Kalliam, noble antéen qui pense tirer les ficelles en coulisse. Si je me suis un peu interrogée sur le choix de personnages si peu propices à l’empathie du lecteur (parmi les factions politiques, ce sont les pires réacs dont on adopte le point de vue avec Dawson ; la mignonne Cithrin est un génie de la finance : une tradeuse de l’époque…), et encore sur certaines réactions psychologiques (Marcus et son dévouement désintéressé), j’ai trouvé l’intrigue à suivre, sur la « fin des mensonges », suffisamment passionnante pour passer outre ces quelques petits défauts.
 
 
Scott Lynch, La République des voleurs – Les salauds gentilhommes t. 3 (Bragelonne)
Alléluia, voici le retour de Locke Lamora ! Attendu depuis la traduction en 2008 des Horizons rouge sang, second volume des aventures du prince des voleurs de Camorr, ce troisième épisode courait à l’évidence le risque de ne pas être à la hauteur des espérances suscitées. Eh bien non : c’est un réel plaisir de retrouver la plume de Scott Lynch et d’abord ce qui me séduit le plus chez lui, un talent de construction de l’intrigue assez inégalé en fantasy cette dernière décennie. Comme Locke et ses compagnons (désormais réduits au seul Jean Tannen) sont des maestros de l’escroquerie de haut vol, les romans ont quelque chose de la mécanique de précision, hautement jouissive, des bons « films de cambriolage » : confrontés à un défi, comment nos héros vont-ils s’y prendre pour tirer le meilleur des contraintes impossibles auxquelles ils sont confrontés ? ici, les deux amis se retrouvent, contraints et forcés, au service même de leurs grands ennemis, employés à truquer les élections de Karthain, la cité des Mages-Esclaves. Comme dans les précédents volumes mais de façon plus systématique encore, Lynch dédouble en outre son propre défi, en suivant deux lignes chronologiques en alternance, le présent (quelques jours précédant les fameuses élections) et un passé qui nous permet de retrouver la joyeuse bande des apprentis de Chains, bientôt enrôlés dans une mission bien particulière : sauver une troupe d’acteurs du naufrage et monter la célèbre pièce « La République des Voleurs ». Les deux fils convergent autour de la figure de Sabetha, le grand amour de Locke – cette relation indéfectible est au cœur de l’ouvrage et disons-le tout net, c’est aussi pour moi son gros point faible. J’en suis évidemment un peu déçue, car pour le reste le roman m’a emballée par son brio, son dosage toujours habile de l’amusant et du poignant, du grossier, du touchant et du tragique ; mais le personnage de Sabetha est une quintessence de « mystère féminin » tel que vu par les hommes, franchement agaçante de mon point de vue : Locke passe son temps à ne pas la comprendre, et on le comprend… Leurs rapports donnent dès lors rapidement l’impression de tourner en rond, et contrarient pas mal la dynamique générale. Les révélations finales, en revanche, la relancent fort bien, et on se prend à espérer ne pas attendre six ans le prochain volume ! 
 
 
Catherynne M. Valente, Immortel (Éclipse)
Catherynne M. Valente, que je lis pour la première fois en français, est déjà bardée de prix américains, et il faut avouer qu’Immortel impressionne. Le roman combine beauté et originalité, autour de deux très bonnes idées de départ : l’exploration systématique d’un folklore russe sombre et méconnu, et son association avec l’histoire bouleversée de la Russie quand elle devient l’Union Soviétique, entre 1915 et 1950 environ. Je me rappelais bien, de mes lectures d’enfance, la terrifiante Baba Yaga volant dans son pilon aux pattes de poulet, mais découvre ici de multiples créatures des mêmes contes et légendes, et surtout la figure centrale de Kochtcheï l’Immortel. On va suivre ses tumultueuses amours avec Maria Morevna, héroïne humaine élue dès l’enfance pour sa capacité à voir l’envers du réel : elle rejoint avec lui les terres magiques de Bouïane, avant de revenir, sans lui, en plein siège de Stalingrad, alors que la lutte éternelle entre Kochtcheï, Tsar de la vie, et son frère le Tsar de la Mort, est peut-être sur le point de basculer en faveur de ce dernier. L’écriture est inspirée, fervente, gothique : on bascule vraiment, dès les magnifiques premières pages sur le destin parallèle des trois sœurs, dans le monde du conte, et Valente parvient avec aisance à entraîner l’Histoire dans son sillage. Bémol tout de même : au bout de quelques centaines de pages (le roman en fait 450, ce qui n’est pas énorme en fantasy…), une certaine monotonie s’installe, qui tient précisément à cette unité de ton : une note, tenue constamment très haut, beaucoup de répétitions qui là encore tiennent au contrat de départ (les choses dans le conte viennent par trois…). Le côté naturellement hyperbolique du conte, ce monde du très étrange et du très puissant, vaut pour des textes brefs, et cela reste un défi que de le traduire en roman.  
 
Anne Besson 

à lire aussi

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?