Kristin Cashore, Bitterblue, Orbit :
Au-delà des apparences

Et de la même façon, les intrigues des volumes précédents convergent, les pièces du puzzle se mettent en place de manière intelligente, il se trouve que c’est aussi ce que raconte le roman : comment Bitterblue, la petite reine de Monsea, reconstitue un passé en morceaux et comment elle réussit à voir au-delà des illusions léguées par son monstre de père. Le souvenir de Leck, ce télépathe manipulateur et tyran qui figurait déjà dans les deux premiers volumes, plane sur l’histoire, qui se déroule 8 ans après son meurtre par Po et Katsa, les héros de Graceling. Une réflexion sur la répercussion des traumatismes, la difficulté des individus et des sociétés à dépasser leurs passés douloureux sans toutefois l’enterrer ou le renier, se mêle ainsi au parcours personnel de la jeune reine, d’abord coupée de son peuple, et qui doit ensuite se battre pour accéder à une connaissance dramatiquement occultée, et à sa propre vérité. L’héroïne, dans son mélange de force et de vulnérabilité, apparaît touchante et le plus souvent crédible, même si c’est moins le cas des personnages secondaires, nombreux et assez interchangeables. Il faut ajouter qu’un lecteur ignorant tout des précédents volumes sera sans doute perplexe face à certains développements, pour le moins rapides (la découverte du tunnel vers Dells, la visite de Rouge). L’occasion de lire tout le cycle ?
Pierre Grimbert, Les Gardiens de Ji, Les Vénérables, Octobre :
15 ans après…

Mark Lawrence, Le Prince écorché, Bragelonne :
Le trône d’épines

Cette noirceur des âmes et des enjeux, ces batailles de chiens où tous les coups sont permis, au réalisme appuyé (la carte nous permet de reconnaître « Lion », « Le Rhyn », « Ken », « Raims »…), troué de spiritualité magique (les pouvoirs des nécromanciens et autres sorciers) : Le Trône de Fer de George R. R. Martin est clairement à l’arrière-plan, et il est sans doute temps de noter, pour qui s’intéresse au genre d’un peu près, à quel point depuis quelques années c’est son modèle qui tend à s’imposer là où celui de Tolkien a régné en maître si longtemps. Moins héroïque et moins moral, il annonce des romans plus boueux, plus épineux, ayant faites leurs les dures leçons du polar contemporain sur la nature de l’âme humaine, et celles du roman historique sur le vrai visage de la guerre – et au-dessus de tout cela, portés par un goût du récit qui justifie à lui seul que, loin de reposer le livre, dégoûté par cet amas d’atrocités, on se surprenne à ne pas le lâcher, et à en demander encore… Le Prince écorché en est un excellent exemple.
Michael Grant, Bzrk, Gallimard Jeunesse (à paraître en septembre)
Le thriller dans la peau

Michael Grant, auteur de la série pour adolescents Gone (tout à coup, les adultes disparaissent), s’y connaît en pitch et en hameçonnage de lecteurs : ici, sans que nous le sachions, les nanotechnologies sont déjà exploitées par deux groupes rivaux (libertophobes visant la conscience de ruche contre valeureux libéraux défendant l’inaliénable droit à l’erreur), et curieusement, surtout à fin de manipulation mentale. Vous vous souvenez, toutes ses scènes de film ou de roman où un personnage devient fou en croyant que des insectes lui courent sous la peau : eh bien cette fois c’est bel et bien le cas, sauf que les victimes ne peuvent sentir les envahisseurs avant qu’ils n’aient pris le contrôle de leur cerveau. Le roman commence par deux scènes très fortes, à l’ambiance cinématographique en diable – une adaptation en vue, qui sait ? : l’une dans un hôpital psychiatrique, l’autre à bord d’un avion privé. Elles nous introduisent par la bande le futur couple de héros, Noah et Sadie, bientôt rebaptisés Keats et Plath quand ils se retrouvent embarqués, aux côtés des « gentils » (enfin, on suppose…), dans un combat de la dernière chance pour empêcher l’infiltration nanotechnologique des dirigeants des plus grands pays du monde.
Efficace et parfois haletant, le roman pèche toutefois par un certain nombre d’invraisemblances criantes : comment Sadie, héritière menacée, peut-elle se retrouver de nuit dans la rue à suivre un inconnu, échappant à un service de sécurité particulièrement défaillant ? Pourquoi les deux camps ne piratent-ils pas leurs technologies respectives – nanobots contre biobots, ces derniers étant plus performants mais en dangereuse osmose avec leurs pilotes, qui deviennent fous s’ils les perdent ? Pourquoi, surtout, ne les utilisent-ils que sur des corps et pas, que sais-je, pour des révolutions technologiques qui assureraient aussi un bon contrôle de la planète ? On n’est pas censés se poser ces questions (c’est un page turner, pas un roman de SF), donc on pourrait à la limite fermer les yeux. En revanche, l’exploration intérieure elle-même, qui pour le coup nous est plusieurs fois « survendue » depuis l’intérieur du livre, ne convainc guère : le top absolu du jeu vidéo, peut-être, mais ça fait une belle jambe au lecteur (des applis ludiques à venir – sans doute !) ; des merveilles ignorées, peut-être, mais comme les bots utilisent toujours les mêmes orifices pour pénétrer le cerveau, avec une nette préférence pour l’œil, on tourne en fait assez vite en rond. Le nez nous a pour l’heure été épargné, et c’est heureux car c’est loin d’être ragoutant tout cela : berzerk, berk ? Les courts paragraphes oscillant entre mises au point « nano » et « macro » (que se passe-t-il sur les champs de bataille intérieurs et extérieurs ?) évoquent un montage alterné particulièrement haché, et dans la longue scène finale, qui se déroule en bonne partie dans une benne à ordures, ça donne aussi un peu la nausée…
Anne Besson