Lia Habel, New Victoria, Bragelonne

L’héroïne, Nora Dearly, étouffe entre son pensionnat pour jeunes filles de bonne famille et la superbe maison de New London qu’elle partage avec sa tante depuis le décès de son père chéri. Seuls des échos lointains lui parviennent du vieux conflit qui oppose, dans ce futur post-apocalyptique, son peuple aux Punks, libertaires et bricoleurs, qui ont choisi la sécession. Bien sûr, ça ne va pas durer, et la nouvelle qui va réduire à néant ce statu quo ne va pas seulement bouleverser Nora et sa meilleure amie Pamela, mais le monde tout entier, ébranlé sur ses bases : une épidémie « zombifie » la population, les morts se relèvent, et le gouvernement le cachait depuis des années aux habitants des territoires protégés. Victor Dearly, le père de Nora, grand médecin, qui n’était en fait pas mort, est entraîné dans un piège par des officiers s’opposant à la protection dont bénéficient certaines victimes du « syndrome de Lazare ». L’énergique jeune fille, enlevée, se retrouve au milieu d’une force militaire secrète de gentils zombies, aux côtés de Bram, leur charmant meneur, tandis que Pamela et sa famille assistent aux progrès fulgurants de l’épidémie dans leur ville.
Du steampunk plus des zombies, telle est donc la formule de ce premier roman dont les chapitres font alterner les points de vue à la première personne : l’idée est maligne, et l’association des deux raideurs (politesse et ombrelles des jeunes gens bien élevés, démarche hésitante et mécanique des morts-vivants) fonctionne plutôt bien. En revanche, l’auteur, toute jeune Américaine, cède à certaines faiblesses de scénario : les motivations des méchants traîtres sont ainsi vraiment faiblardes, ou bien trop évidentes pour qu’on fasse la moindre confiance, si bien que les rebondissements ne sont guère crédibles. Et surtout, surtout, la romance entre Nora et Bram m’a arraché en permanence des gloussements nerveux… J’avais eu une conversation hilarante cet été sur l’injustice faite aux zombies – pourquoi tous ces séduisants vampires, et rien pour eux ? La réponse soulevait un certain nombre de « légers » problèmes physiologiques, assez peu ragoûtants tout de même, ceci expliquant cela. Eh bien, c’est fait, le petit ami zombie est arrivé, il est mignon comme tout ! Et comme dans le cas des vampires, on se retrouve avec un groupe de « gentils » – minoritaires, mais imposant une réhabilitation du « monstre », face à de plus traditionnels « méchants », chairs pourries, borborygmes et bras tendus vers leurs proies. Un petit hybride parvient-il à naître (pas évident, son père n’ayant plus de circulation sanguine !) ? Réponse au prochain épisode…
Julien d’Hem, L’Œil et le Poing, Sohl, tome 1, Asgard « Reflets d’ailleurs »

Rien que de très classique donc, ce qui a ses très bons côtés et ses limites évidentes, dont on espère qu’elles seront dépassées par la suite : on prend plaisir à retrouver des figures imposées (et un dragon réveillé dans la montagne, et une épée maudite voleuse d’âme, et un farouche peuple nordique), mais en même temps on n’a guère de surprises dans le déroulement du scénario de ce volume : Lorne, barde qui est évidemment plus que ce qu’il paraît, et Lhèm, jeune apprenti Ombre (assassin/espion) à l’Œdipe encombrant, partent pour une mission qui sent le piège à plein nez, à la recherche de la jeune Naelys mystérieusement enlevée. La quête va les mener, ensemble puis séparément, jusqu’à une forteresse glacée des montagnes, où ils affronteront sorciers démoniaques et puissances surnaturelles surgies du passé. Ce même petit manque d’inventivité, d’originalité, se fait sentir dans le choix des noms de lieux et de personnages, ou dans les caractéristiques du monde, bien peu « alternatif » (à Sohl on mange les mêmes choses, on joue aux mêmes jeux, on élève les mêmes animaux que dans notre réalité). En revanche, les personnages, Lhèm tout particulièrement, sont très sympathiques, l’écriture d’une grande qualité et certains passages superbement menés : je pense à la traversée de la forêt, tout en flashbacks, où la seule construction parvient à rendre haletant un épisode là encore bien connu – la nuit de poursuite qui semble ne devoir jamais finir. Prometteur, vraiment !
Nathalie Dau, La Somme des rêves, Le livre de l’énigme tome 1, Asgard « Reflets d’ailleurs »

Tous les codes de la grande fantasy cosmogonique sont là, carte, chants, mythes, précisions calendaires, profondeur historique, superbement gérés par l’érudition de l’auteur : l’annexe sur les différentes fêtes annuelles de ce monde imaginaire est un petit bijou. L’action, quant à elle, avance à un rythme plutôt lent : elle se donne le temps de la plus grande profondeur psychologique (Cerdric, l’enfant non désiré, et la solitude de son enfance entre un père disparu, le dernier mage bleu, et une mère plus que distante, l’aristocrate Nerasia), et déploie les charmes d’une écriture particulière dans son lexique et sa syntaxe, littéralement envoûtante.
C’est donc superbement écrit et très convaincant au niveau de la cohérence du monde secondaire. Je ne cacherai pas cependant un certain malaise qui peut accompagner la lecture, et qui est peut-être bien d’ailleurs un effet voulu par l’auteur. Si l’harmonie de l’Équilibre (au-delà de la matière, au-delà du bien et du mal) est régulièrement évoquée à travers quelques moments de plénitude, la méchanceté et la douleur du monde sont pour leur part omniprésentes : Nerasia a ses raisons, elle n’est pas absolument condamnée d’ailleurs, mais elle se montre épouvantable, tout du long, et autour d’elle, les « pourris » se multiplient. Il y a un peu de complaisance parfois (pourquoi des bandits iraient-ils découper leurs victimes en morceaux dignes des pires serial killers ?), ou une indifférence un peu cruelle envers de « petits » personnages, qui ne servent que d’utilités dans l’intrigue (le petit garçon traumatisé, éliminé à la première occasion, la jolie bergère, également sacrifiée). Reste que ce premier volume pose les fondations d’un édifice qui a désormais tout pour atteindre des hauteurs impressionnantes.
Anne Besson