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Un mois de lecture, Anne Besson - Février 2013
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Un mois de lecture, Anne Besson - Février 2013

Les Sorcières de North Hampton de Melissa de la Cruz (Orbit)
Merlin, les années oubliées de T. A. Barron (Nathan)
 
Je les rapproche car il s’agit de deux réinterprétations de personnages mythiques par de grands professionnels américains et de deux amorces de cycles, plutôt réussies dans leur genre. 
Melissa de la Cruz est célèbre pour son cycle des Vampires de Manhattan, quelque part entre Twilight et Gossip Girl, et cette fois, ce sont des avatars de la Triple Déesse qu’elle déplace dans le cadre très chic des plages des Hamptons. La vieille femme, la mère et la vierge – sagesse et contact avec les morts, vie du foyer et fertilité, jeunesse et sexualité – ces trois visages de la femme qui forment une trinité dans les mythes nordiques et germaniques, deviennent donc une mère, l’excentrique Joanna Beauchamp, et ses deux filles, l’ainée Ingrid, austère bibliothécaire, et l’irrésistible Freya, barmaid de profession. La forte invraisemblance initiale d’un tel postulat (mais que diable font-elles là ? pourquoi personne ne s’aperçoit-il qu’elles sont immortelles ? et d’ailleurs, comment peuvent-elles former une famille, quel âge ont-elles au juste ?) s’atténue en partie au fil de la lecture, à mesure que quelques explications nous sont fournies. De même, si la scène d’ouverture nous lance sur une ligne narrative franchement convenue (Freya, fiancée au gentil et riche Bran Gardiner, est irrésistiblement attirée par le magnétique Killian, petit frère du premier et mauvais garçon), la romancière nous réserve suffisamment de surprises pour tenir à distance le pire du cliché.
Quant à T. A. Barron, c’est aux jeunes années de Merlin s’il s’attaque, estimant, comme il l’explique dans sa préface, qu’elles ont été passées sous silence par la tradition médiévale. Je ne suis pas franchement d’accord, mais qu’à cela ne tienne, la réinvention n’est pas interdite non plus ! Le roman original date de 1996, et il précède donc un certain nombre de « mises à jour » récentes de ce même jeune Merlin, et notamment la série télévisée éponyme. Ici Merlin se réveille à sept ans, amnésique et perdu, sur un rivage du Pays de Galles au début de l’invasion saxonne. Après avoir passé 5 ans auprès d’une femme qui se dit sa mère et avoir perdu la vue dans un terrible accident marquant l’éveil de ses pouvoirs magiques, il décide de partir à la recherche de ses origines, et se retrouve bientôt sur l’île mythique de Fincayra, pays de forêts, de géants, de légendes. Très habilement rythmé, ce roman qui retravaille la matière celtique mérite largement sa place dans le corpus des réécritures arthuriennes contemporaines, et sa traduction tardive se révèle une excellente initiative.
 
Les Lumières de Haven de Pauline Bock (Scrinéo Jeunesse) est cette fois le premier roman d’une toute jeune auteure, et il a pour lui sa fraîcheur et sa relative originalité. Un groupe de cinq lycéens se retrouve projeté, sans espoir de retour, dans un autre monde apparemment parfait, volontairement bloqué à un stade de développement correspondant à celui de nos Lumières. Les amis « Arrivants », 4 filles et un garçon, sont aidés dans leur exil par leur fusion mentale avec des animaux, leurs « Égaux » (un loup, un tigre, un aigle…), et par l’amitié du petit Fennec, orphelin surdoué que sa jeunesse n’empêche pas d’occuper le poste de Conseiller du dirigeant du pays, Old Jack. Pauline Bock raconte en un tome unique une histoire complète, au risque d’un certain éparpillement. Une première partie pose les personnages et les enjeux : de grands adolescents aux caractères peu développés mais aux réactions convaincantes, pas parfaits, pas univoques ; et un mystère qui voile de doute la perfection d’Haven, sa stabilité trompeuse, son passé trop oublié. Et puis un peu brutalement, au milieu du livre environ, une accélération brusque se produit, avec l’apparition d’un méchant, Equinoxe, et les péripéties qui s’enchaînent alors à un rythme d’autant plus rapide qu’elles sont fortement dramatiques. En dépit de ce problème de maîtrise de la tension narrative, très irrégulière, c’est au final une lecture riche, émotionnellement et intellectuellement : peut-être justement l’auteur a-t-elle voulu faire passer trop de choses en un seul roman…
 
Bandes dessinées : j’ai lu et aimé Les Contes de l’ère du Cobra de Enrique Fernandez (2 tomes, chez Glénat), découvrant ainsi le travail de ce talentueux Uruguayen, dont j’avais entendu le plus grand bien à l’occasion de sa levée de fonds pour Brigada, son projet heroic fantasy. « Cobra » développe un imaginaire très syncrétique, où se mêlent des souvenirs du Capitaine Fracasse, des 1001 Nuits, des palais indiens et du gothique anglais (pour le beau personnage de l’artificier), dans un graphisme très particulier, dont je conçois qu’il puisse rebuter certains lecteurs (occupation originale de la page par de longues cases panoramiques, visages anguleux et expressifs, ambiances lumineuses contrastées). C’est, en deux tomes, l’histoire de l’essor et de la chute d’un tyran, et, en parallèle, de la damnation et de la rédemption d’un amant : ou comment des artistes, armés de leur seul talent et d’un peu de magie, mettront fin à un règne de terreur. 
 
Très réussi également, le dernier volume (tome 5) des excellents Freaks’ Squeele de Florent Maudoux (Ankama) : l’univers de cette école de super-héros, qu’on découvre à travers le trio de (faux) loosers constitué de Chance, Xiong Mao et Ombre, est toujours aussi hilarant et addictif. Bourré de bonnes références, mêlant les qualités du comics, du manga et de la BD « franco-belge », avec ses beaux volumes mêlant noir et blanc et planches couleurs… n’en jetez plus, mais on en veut encore !
 
Découverte pour moi, Le Héros de David Rubin (livre 01, chez Rackham) : du comics, mais fait par un espagnol ; les douze travaux d’Hercule-Héraclès, pas moins, mais dans un contexte antico-futuriste où les oracles passent à la télé et les héros, entre moto et radio, ont quelque chose des armes guerrières que sont les soldats d’aujourd’hui ; moult combats avec des créatures monstrueuses au design ingénieux, mais aussi une réflexion poussée sur le destin et la valeur individuelle. Je dois avouer avoir été plus séduite par le fond que par la forme : un choix de dessins volontairement schématiques (j’ai pensé aux Scott Pilgrim), avec un côté organique parfois un peu répugnant, des gros plans et des explosions de couleur un peu criards à mon goût, un gros travail de découpage de la page qui donne un résultat très dynamique mais, là encore, un peu écoeurant dans le tourbillon visuel ainsi créé. Mais c’est si furieusement original et puissant qu’il faut y aller voir par soi-même !
 
Anne Besson
 

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