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Un mois de lecture, Anne Besson - Avril 2013
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Un mois de lecture, Anne Besson - Avril 2013

Larry Correia, Magie Brute (tome 1 des Chroniques du Grimnoir), L’Atalante : comme au cinéma…
En notre époque de syncrétisme échevelé, voici un nouveau mélange bien séduisant inauguré par Larry Correia dans le premier volume, remarqué, d’un cycle prometteur : un peu de steampunk, un peu de Japon, beaucoup de film noir et de bandits des années 1930, incorruptibles, mafieux et femmes fatales…  Jake Sullivan, « privé » au lourd passé et au physique d’armoire à glace, possède le pouvoir d’agir sur la gravité : dans ce monde uchronique où l’apparition de la magie a laissé quelques traces, il est un « actif » de type « lourd », beaucoup plus courant que les « voyageurs », les « bougeurs » ou encore les « guérisseurs ». Mais la brute taciturne a plus d’un tour dans son sac, à l’image de ce roman qui ne cesse de nous entraîner avec des chemins inattendus tout en maintenant une exemplaire tension narrative. On découvre peu à peu, aux côtés de Jake, les dessous des missions que lui a confiées Edgar J. Hoover, l’opposition secrète entre deux groupes d’actifs bien différents, l’Imperium et le Grimnoir, les plans machiavéliques des uns et des autres, la mystérieuse nature de la magie, etc. Des combats titanesques opposent des groupes de héros aux super pouvoirs parfaitement exploités – c’est pourtant la limite de l’exercice à mon goût : le roman est rythmé, début, milieu et fin, par trois grandes « scènes », il n’y a pas d’autre mot. On se croirait devant Les Incorruptibles ou la série Heroes, avec des effets pyrotechniques dans tous les sens – sauf qu’on n’est pas devant un écran, et que lire l’équivalent sur des dizaines de pages, moi ça me lasse… Mais ça fait partie du divertissement, et c’est vrai qu’on passe un très bon moment, façon pop corn, et surtout pop ! 
 
 
Colin Meloy, Les Chroniques de Wildwood (tome 1), illustrations Carson Ellis, Michel Lafon (Jeunesse) : la fantasy animalière retourne à l’état sauvage :
Cet ouvrage à la présentation soignée fait partie des très belles découvertes de l’année. Dans un esprit qui rappelle un peu les réussites de Reckless de Cornelia Funke ou du Livre des choses perdues de Michael Conolly – noirceur des contes et dangers des merveilles –, Colin Meloy revisite des codes attendus de la fantasy pour la jeunesse, forêt magique et animaux parlants, en leur insufflant une gravité qui n’ôte rien à leur charme. Qu’on en juge : le roman s’ouvre sur une scène « hitchcockienne », le brutal enlèvement d’un bébé par des corneilles, au beau milieu d’une aire de jeu déserte et sous les yeux de sa grande sœur. Celle-ci, Prue, douze ans, sera notre guide dans les Territoires Infranchissables qu’elle décide de rejoindre, à la recherche de son frère disparu. Accompagnée contre son gré par Curtis, garçon maladroit et mal-aimé qui va se révéler à lui-même durant l’aventure, elle pénètre cet autre monde tout proche de son Portland natal, mais l’enchantement de la nature sylvestre est encore de courte durée. Les deux amis se retrouvent de tout de suite séparés, Curtis fait prisonnier par l’armée des coyotes tandis que Prue tente de comprendre les enjeux politiques qui régissent les relations entre Southwood (siège d’un gouvernement dévoyé et d’une administration aveugle), Northwood (et ses Mystiques en lien mental avec la forêt), le domaine des oiseaux et celui, sauvage, où la belle et abominable Alexandra prépare sa vengeance. Marque de la bonne fantasy, la lecture nous amène sans cesse de la familiarité au dépaysement : Prue chevauche un aigle, de sympathiques bandits se cachent au plus profond des bois pour prendre aux riches, et pourtant on est en territoire étranger, à la merci de l’inconnu. Les deux héros, habités par le doute quant à leurs rôles, renvoient une image guère glorieuse des parents, de l’école, qui les attendent à l’extérieur. Les animaux, qui se mêlent aux hommes de façon parfaitement naturelle, ne sont jamais tirés vers les facilités du cute, mais élevés au rang de véritables personnages, participant à ce qui devient une lutte épique pour la survie du monde. En dépit de quelques longueurs, à cause de l’aspect « terrien » très accentué de l’ouvrage, le dépaysement est garanti avec ce Seigneur des Anneaux (ici, une Impératrice du Lierre) dans la forêt d’à côté…
 
 
Marie Pavlenko, La Fille-sortilège¸ Le Pré aux Clercs coll. « Pandore » : un bel univers trop tôt dévasté
Déjà auteur de la trilogie Le Livre de Saskia (Scrinéo), fort appréciée des lecteurs (lectrices), Marie Pavlenko nous revient avec une autre héroïne « fragile-et-forte-à-la-fois », Erine, mais cette fois d’emblée dans un autre monde, la Cité des Six, qui prospère dans le désert grâce à l’équilibre entre la magie de Six Clans, chacun dotée de leur spécialité (agriculture, élevage, combat…). Erine en a été bannie et c’est donc de l’extérieur, par les yeux d’une « orkla » qui survit en déterrant des cadavres, qu’on découvre cette ville dont bien entendu l’harmonie nous apparait vite comme une façade. Le roman commence très bien, sur un excellent rythme, aux côtés du sympathique duo que forment Erine et Arkadi, en ouvrant de multiples pistes narratives séduisantes : le fonctionnement de la ville, le mystère de l’Ombre, celui des baumes… J’ai en revanche été déçue par la manière dont elles étaient (ou non) prolongées, et surtout conclues. Certains des coups de théâtre orchestrés ne m’ont pas du tout surpris, car je les avais vus venir de très loin (le coup de la vieille voisine), d’autres m’ont semblé ne présenter qu’un maigre intérêt (les autres habitants de la X), les derniers enfin, et c’est plus embêtant, me sont apparus comme proches de l’incohérence. À quoi diable rime l’exclusion d’Erine lors de la cérémonie de l’Échange ? Pourquoi nous faire attendre que Naria, qui détient des informations vitales, daigne enfin les partager ?? Qu’est-ce que c’est que ces relations plus que tordues qu’elle entretient avec son père, le chef psychopathe du Clan des Guérisseurs ??? La psychologie des personnages, pour la plupart peu attachants, semble évoluer au gré des besoins. Quant à l’intrigue, elle consiste à nous faire assister à la destruction de la fausse utopie, en même temps qu’Erine comprend qu’elle ne doit pas s’attacher au passé et que sa vie est ailleurs, au nom d’une histoire d’amour dont le protagoniste est déjà mort quand l’intrigue commence ! L’ouvrage visant les adolescents et jeunes adultes, on peut comprendre que ce message de mutation leur parle, mais il n’en est pas moins frustrant – un peu comme si on nous montrait un beau jouet pour le casser tout de suite après et en laisser la réparation à d’autres bonnes volontés…
 
Anne Besson

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