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Un mois de lecture, Anne Besson - Juin 2013
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Un mois de lecture, Anne Besson - Juin 2013

Régis Goddyn, Le Sang des 7 Rois (L’Atalante) :
Début remarqué d’une ambitieuse saga française en 7 tomes et 7 royaumes, le roman de Régis Goddyn s’ouvre sur une scène presque classique en fantasy : deux enfants sont kidnappés, dans un village anonyme de la région reculée d’Hautterre, et les circonstances mystérieuses de cet enlèvement indiquent qu’ils sont probablement détenteurs de pouvoirs qu’on croyait disparus, annihilés par les exterminations « préventives » d’une puissante inquisition, la Théocratie. J’ai écrit « probablement détenteurs », car après cette introduction classique, le roman, au lieu de s’attacher aux deux jeunes gens pour en faire les traditionnels élus garants du renouveau du monde, prend un chemin de traverse en suivant plutôt les pas de celui qui est chargé de les retrouver – Orville, officier auprès du Seigneur du Hautterre, qui part à la tête d’un détachement spécial. Il va longuement les poursuivre, en vain, mais découvrir en chemin ses propres incroyables pouvoirs. Cette introduction, quoique nécessaire pour présenter l’histoire des Royaumes, une histoire marquée par le pouvoir de surhommes au sang bleu, dont les héritiers forment la noblesse, mais ne doivent pas resurgir parmi la populace, apparaît un peu longue à la lecture. L’intrigue s’anime nettement plus dans la seconde partie du roman, lorsqu’Orville arrive dans les îles du Goulet, et qu’on suit en parallèle le début du périple de la jeune Rosa, sympathique orpheline élevée loin de tout. Elle sera l’héroïne du prochain volume, ça tombe bien !  
 
 
Oliver Péru, Martyrs (J’ai lu) :
puisque, décidément, la jeune fantasy française a décidé de prendre à bras le corps les codes traditionnels du genre, voici un autre début remarqué de saga ambitieuse, cette fois sous influence directe de George Martin, influence pour ainsi dire revendiquée – morts-vivants en embuscade à l’arrière-plan, blasons des maisons et corbeau noir du Reicorax, intrigues de palais pour conserver l’unité imposée aux royaumes et points de vue multiples. Jusqu’aux héritiers du sang des dragons légendaires, le peuple presque disparu des Arsekers auquel appartiennent les héros du roman, deux frères, Helbrand et Irmine. Assassins de haut vol, ils se retrouvent gardes du corps de Kassys des Ronces, belle princesse prisonnière de son château, dans la ville marchande d’Alerssen, où vont progressivement converger des lignes d’intrigue parties presque de tous les coins du Palerkan. Outre un univers graphique très réussi (cartes du tarot, vitrail, blasons, qui rythment le récit), il faut saluer la construction vraiment magistrale de l’ouvrage : outre les belles coupes, sèches, qui font de chaque fin de chapitre une réussite, la succession des surprises finales suffit pleinement à justifier ce qui pouvait apparaître comme des longueurs dans certaines sous-intrigues (où veut-il en venir ? ah, c’était donc ça ? d’accord !). J’ai en revanche été fréquemment arrêtée par une tendance vite pesante à répéter les mêmes informations (le roi Karmalys qui se dégoûte lui-même, et surtout, surtout, les Arsekers qui ont des yeux d’or – cette caractéristique apparaît une fois par page au minimum, dès le milieu du premier chapitre j’en avais déjà assez !), insistance qui peut même devenir dérangeante quand il s’agit des descriptions de l’obésité comme monstruosité. George Martin, lui, présente plutôt le défaut inverse, n’accompagnant guère son lecteur dans l’écheveau entremêlé des généalogies et des intrigues : son héritier français, qui n’a pas à rougir face au maître, ne doit pas hésiter à s’en inspirer davantage sur ce point-là !  
 
 
Manon Fargetton, Le Choix (Mango) :
ce second tome de la trilogie de Manon Fargetton m’avait échappé à sa sortie, alors que j’avais bien apprécié la fraîcheur de l’héroïne et la sincérité du ton du premier volume, Le Souffle. On retrouve ces grandes qualités ici, mais, comme il se doit peut-être pour un deuxième épisode, l’atmosphère s’assombrit quelque peu en même temps que l’intrigue se complexifie. On se rappelle que la quête de June l’amène à rétablir les « flux » garants d’une circulation harmonieuse, en retrouvant des « sources » depuis trop longtemps perdues, bouchées, mais cela ne va pas sans mal. June et son frère Locki, déjà éprouvés par le début de leur quête, vont devoir, le titre l’indique, faire des choix difficiles, tandis que du côté des Veilleurs, des pertes s’annoncent également. L’aventure elle-même prend place dans le paysage désolé d’un marais où rien ne pousse, où tout pourrit, à l’exception d’une fière cité de tours d’un verre indestructible, où une élite décadente s’étourdit de fêtes éternelles. La solution de l’équation posée à June fera intervenir la musique, les émotions et la solidarité… Il s’agit de se trouver, d’être fidèle à ce qu’on est et surtout à ce qu’on peut devenir, dans ce roman où le plus réussi tient dans la retranscription du cheminement intérieur des personnages. On y croit !
 
 
Mark Hodder, L'Étrange affaire de Spring Heeled Jack (Bragelonne) :
Richard Burton, l’explorateur et écrivain, et Algernon Swinburne, poète décadent et excentrique, composent l’improbable duo de détectives menant l’enquête à la recherche d’un mystérieux agresseur perché sur des échasses à ressorts. Dans l’Angleterre uchronique de ce génial premier roman, nouveau témoignage réjouissant du renouveau du steampunk, Victoria ayant été assassinée au début de son règne, les  « sectes » concurrentes des ingénieurs, des Eugénistes et des Libertins, explorant respectivement les limites de la technologie, de la biologie et de la morale, redessinent le paysage, particulièrement glauque, d’une Londres parcouru par d’excitants engins, où la boue comme le brouillard présentent des niveaux élevés de danger toxique, où des loups-garous hantent les bas-fonds tandis que des perroquets atteints du syndrome de Tourette portent les messages urgents. Très ingénieux dans son choix de personnages, le plus souvent historiques (savoureuse apparition d’Oscar Wilde, entre de nombreux autres), très inventif dans les moindres détails de son univers, le roman peut en outre se targuer d’une intrigue à la précision millimétrique. Il faut toutefois attendre la seconde partie, qui reprend l’histoire du point de vue de l’évanescent Spring Heeled Jack, pour en apprécier pleinement la construction : sachez donc que ce qui peut sembler obscur dans l’enquête, ou au contraire trop évident pour les lecteurs, qui ont une longueur d’avance sur les détectives, sera pleinement expliqué en temps utile. Et puisqu’il s’agit d’une histoire de temps… 
 
 
Anne Besson

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