- le  
 Un mois de lecture, Anne Besson - Décembre 2013
Commenter

Un mois de lecture, Anne Besson - Décembre 2013

Peut-être parce que la période est propice à l’esprit de Noël, j’ai encore été frappée – écœurée, à vrai dire - par l’escalade à laquelle se livre toute une part de la fantasy, à qui sera le plus atroce et répugnant. Bonnes fêtes quand même !

Champion toute catégorie, Le Wunderkind et la pièce d’argent d’Andra G.L., chez Bayard, dans une collection « jeunesse », même si de multiples warnings en couverture déconseillent fortement toute lecture d’un public non « averti ». Même averti, dirais-je, le choc est rude ! C’est Harry Potter au pays des horreurs : un jeune garçon, Caius, voit son quotidien dévasté et découvre qu’il est un élu longtemps caché aux yeux des forces du mal (en l’occurrence, l’atroce Marchand, Herr Spiegelmann) ; la réalité parisienne qui l’entoure s’avère elle aussi cacher des bas-fonds et tréfonds, tous plus innommables les uns que les autres. Aidé par une poignée d’alliés bigarrés – mais à l’histoire personnelle chaque fois, comment dire, chargée, il va devoir affronter un plan complexe visant à s’approprier une puissance dont il ignore à peu près tout.

Le roman ambitionne manifestement de renouveler les topoï de l’horreur – les fantômes des enfants morts hantant le pensionnat,  la réalité qui se déforme en monstruosité, les chasseurs et prédateurs parcourant les ruelles sombres, les démons sortis de leur dimension, les objets malveillants ; jusqu’à la main coupée, motif qu’on retrouve de Maupassant à la famille Adams, et qui ressurgit à des milliers d’exemplaires dans une scène paroxystique. Le problème justement, c’est qu’on est constamment dans ce « trop » et qu’on n’a même pas le loisir d’être effrayé ou même touché, que déjà un autre tableau vient rivaliser dans l’épouvantable et le répugnant. La saturation guette vite dans l’enchaînement des créatures aux corps et pouvoirs se voulant toujours plus affolants (je commence d’ailleurs à être à bout de synonymes), ou dans celui des corps torturés avec une inventivité morbide qu’il convient de saluer, mais qui mériterait d’être un peu mieux dosée.

Dans un genre légèrement différent, Le Sang que l’on verse, premier roman du français Yann de Saint-Rat (Mnémos), peine également à soutenir pleinement l’intérêt au long d’une intrigue de 300 pages à l’intensité constante – un concentré d’ultra-violence revendiqué : le héros, Etreham, est le meilleur combattant au monde, entièrement voué à son Art de Mort (les majuscules sont dans le texte). C’est à ce titre qu’il est choisi par la belle demi-déesse Asa pour suivre à ses côtés une formation qui lui permettra affronter Mérydès, le dernier dieu endormi, le père de la jeune fille. Ainsi présentée d’emblée, et toute interrogation éthique résolument évacuée (Etreham tue pour rien, parce qu’il aime ça et qu’il en a le pouvoir : bien bien…), cette note est tenue au fil d’une progression rythmée par des alternances de points de vue : on suit également une créature, Eyll, qui poursuit Etreham pour le détruire. Donc attention là encore, amis bisounours, on patauge dans la tripe, littéralement, d’un bout à l’autre (d’une bataille aux milliers de morts jusqu’au « boss » ultime, une montagne de chair avalant toute réalité). Au total, malgré de beaux passages évoquant Morcoock, dans d’autres plans de réalité, je me suis un peu ennuyée, faute de saisir les enjeux de l’expérience. En effet, un message un peu punk, nihiliste, sur la mort des pères et des dieux, l’amour et la foi comme illusions qui font accepter la mort, le chaos comme horizon, cohabite avec une écriture esthétisant fortement la violence, un style travaillé, hiératique, largement fondé sur les répétitions, qui se donne comme une litanie lancinante et trouve sa limite évidente dans les dialogues, qui sonnent chaque fois assez artificiels. Si on peut parfois, dans cette histoire d’anges de la mort, penser à un Lautréamont (c’est un sacré compliment), qui travaille sur ce type de contraste entre noirceur abyssale du fond et lyrisme poétique de la forme, il faudrait alors aller jusqu’au bout du propos, ici parasité par des souvenirs de petite sœur et de bon copain…

Par contraste, que le trio réuni par Patrick McSpare dans sa nouvelle série « Les Héritiers de l’Aube » (tome 1, Le Septième sens, Scrinéo) apparait mignon ! Trois jeunes gens de trois époques différentes reçoivent la même étrange visite, au moment même où ils sont confrontés à un danger mortel : Alex, 18 ans, sorti de notre époque et qui fonctionne à ce titre largement comme relais des connaissances du lecteur par la suite ; Laure, superbe aristocrate rebelle un peu plus expérimentée, puisqu’elle a rejoint la troupe de brigands de Cartouche, au début XVIIIe (mémo : à quand une héroïne ne serait-ce que vaguement moche ?) ; et Tom, le plus jeune, orphelin du Whitechapel de Jack L’Eventreur et Dickens. Ils sont les héritiers de dynasties de sorciers, et en tant que tels dotés de pouvoirs qu’ils vont développer, les rendant aptes à accomplir la mission confiée par Merlin : retrouver une pierre magique avant leur adversaire maléfique, un Hermès Trismégiste ici donné comme l’avatar de diverses déités et le champion des démoniaques Fomorés. Une fois ces personnages vite (trop vite pour Alex et Laure), rassemblés, dans le but certes louable de lancer l’intrigue sans trop tarder, nous suivons leur progression dans le contexte tourmenté du Paris de 1413, en proie à la guerre civile et aux renversements d’alliance, avec pour leur venir en aide un allié de taille, le célèbre Nicolas Flamel, ici doté de pouvoirs magiques et ancêtre de Tom.

De bons effets sont tirés de la coexistence des époques, qui s’annonce comme le point fort de la série : c’est ainsi le cas dans la confrontation des trois personnages, qui ne partagent pas les mêmes valeurs et présupposés (même s’ils condamnent à l’unisson tout exercice inutile de la violence et souffrent de devoir en faire usage : voilà qui nous change en fantasy, au point que de tels scrupules apparaissent presque étonnants !) ; mais aussi dans l’exploration d’un Moyen Âge tardif fort peu traité et mal connu, alors qu’il s’avère particulièrement propice aux échauffourées comme aux apparitions de la magie (Jeanne d’Arc n’est pas loin dans l’avenir…). Le duo des deux moines martyrs, porte-paroles de Merlin, autorise un humour noir très bienvenu. En revanche, les caractères m’ont semblé encore trop peu définis pour être attachants, et surtout j’ai été assez agacée par le gloubiboulga mystico-mythologique qui nous est régulièrement assené sur le ton de l’évidence – sous l’égide des Tuatha de Dannan, on croise le comte de Saint-Germain et Raspoutine et Merlin et Flamel dans un camp, Hermès et Taliesin et que sais-je dans l’autre ! Soit le même syncrétisme que pour les époques, cette fois sur les références : mais cela commence à faire beaucoup, et je vois d’ici les profs tentant de désemberlificoter tout cela…

Anne Besson
 

à lire aussi

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?