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Un mois de lecture, Anne Besson – Juin 2014
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Un mois de lecture, Anne Besson – Juin 2014

Lacrimosa, Requiem pour Sascha 1 d’Alice Scarling (Milady)
 
Une nouvelle héroïne attachante et sexy
Pas trop ma tasse de thé, la « romance paranormale »… Et comme j’estime qu’il faut bien connaître un genre pour pouvoir en juger les variantes proposées, c’est pour moi un peu délicat de parler de ce début de série, qui prend la suite des Maeve Regan de Marika Gallman pour annoncer l’avènement d’une bit lit à la française dont la qualité rivalise à son tour avec les grands modèles anglo-saxons. Alice Scarling précisément est une spécialiste du genre, dont elle a accompagné l’arrivée en France avant de passer à l’écriture. Elle en respecte les codes – mélange de proximité avec les lectrices qui doivent se reconnaître dans l’héroïne, aux prises avec un quotidien qui contraste savoureusement avec ses mésaventures échevelées, et d’évasion de ce même quotidien, aux côtés d’une élue à laquelle ses pouvoirs surnaturels interdisent radicalement toute normalité. Ici Sascha, jeune femme d’aujourd’hui qui chante dans un groupe amateur et passe des soirées à jouer à Rock Band avec ses potes, mais qui possède aussi, outre un passé traumatique dont elle va au fil du roman mieux comprendre la signification, l’intéressante capacité de posséder à volonté d’autres corps que le sien, de se glisser dans d’autres peaux pour les manipuler à loisir. Pas mal, non ? 
Le roman déroule avec une grande efficacité son intrigue, qui ne m’a pas frappée par sa grande originalité (de la rencontre avec le mystérieux, séduisant et sombre inconnu à la malédiction qui menace). Il se distingue cependant par des atouts majeurs : son héroïne, donc, déglinguée à souhait, dont le malaise, derrière les apparats paranormaux, sonne toujours très juste, posant de vraies questions sur les hésitations que peuvent éprouver de jeunes adultes durablement installé(e)s dans un flottement relationnel et social ; et puis les scènes érotiques, très réussies alors qu’on sait combien l’exercice peut être difficile : il faut avouer que les changements de corps, et donc de sexe, offrent de ce point de vue d’intéressantes possibilités !
 
 
L’ombre du pouvoirLe Bâtard de Kosigan 1  de Fabien Cerutti (Mnémos)
 
James Bond, les elfes et les passages secrets
Premier roman de Fabien Cerutti, après plusieurs scénarios de jeux de rôle situés dans le même univers, ce Bâtard réussit une plaisante combinaison d’atmosphères romanesques – d’univers de genre – qui peut rappeler un Pierre Pevel par son foisonnement et son choix assumé du divertissement.
Soit, d’abord, une uchronie médiévale très bien faite, qui forme l’arrière-plan et le point fort de l’ouvrage (l’auteur est historien de formation) : une année 1339 où les rapports entre France, Angleterre, Bourgogne et Champagne seraient modifiés par une donnée importante, l’existence de peuples et de pouvoirs anciens, elfes et métamorphes, dragons et farfadets, hommes lions et nécromants. Ensuite un héros, Pierre de Kosigan, espion mercenaire à la tête d’une petite troupe d’élite, homme d’armes et homme à femmes, entre arrogance et désillusion – un James Bond du XIVe siècle, qui prend part aux intrigues entourant le mariage hautement politique de Solenne de Champagne, tout en espérant recueillir des indices sur sa véritable (mystérieuse) nature. Enfin son héritier Michaël, au tournant du XXe siècle, partant sur les traces de cet ancêtre dont il vient de découvrir l’existence, et dont on suit la quête en parallèle de l’intrigue principale, par le biais de lettres échangées avec un ami et correspondant : on est là plutôt dans le jeu de piste archéologico-ésotérique, faisant affleurer une Histoire oubliée, façon Pendule de Foucault ou Livre de Cendres. Très minoritaire (dans le nombre de pages occupées, et dans ce qu’on peut donc apprendre), cette dernière partie de l’ensemble peut sembler un peu frustrante, mais elle rythme et diversifie la lecture de façon appréciable.  
Le tout a le bon goût de ne pas se prendre au sérieux, enchaînant rebondissements, bagarres, révélations et machinations dans la grande tradition du récit feuilletonesque. Le risque de cette sympathique démarche est alors de se laisser aller à quelques clichés, comme si le sourire en coin qu’on imagine éternellement accroché aux lèvres du héros suffisait à les mettre à distance – cela nous vaut pourtant plusieurs remarques (et en particulier une scène) d’une misogynie pour moi gênante.
 
 
Fuir Malco, Lune et l’Ombre 1 de Charlotte Bousquet (Gulf Stream éditeur)
 
L’hommage d’une belle plume aux artistes femmes 
Saluons avant tout le plaisir qu’il y a à retrouver Charlotte Bousquet du côté des littératures de l’imaginaire auxquelles elle a brillamment contribué (avec entre autres ses séries L’Archipel des Numinées, pour adultes, et La Peau des rêves, pour adolescents) : après quelques années où elle a mis son talent et son engagement au service du thriller, du roman historique ou encore de la BD (Rouge Tagada), elle nous revient donc avec un roman, le premier d’une trilogie, visant un public plus jeune – l’héroïne a treize ans.
Depuis plusieurs mois, à peu près depuis que le sombre Malco, le nouvel amour de sa mère, a emménagé chez elles, la jeune Lune souffre d’un mal étrange qui semble absorber sa vitalité, attaquant le plaisir de ses sens, les uns après les autres : déjà, elle ne voit plus qu’en noir et blanc et s’étiole dans un quotidien morne, littéralement grisâtre. Cette affection d’un genre particulier, délicate métaphore de l’enfance abusée, est la première belle idée de l’ouvrage, qui en compte plusieurs – en particulier le salut par la création, l’explosion colorée de la peinture, le refuge qu’offrent les tableaux, semblant seuls à même de contrer le progrès des ombres maléfiques qui menacent Lune. Et puis la romancière en profite pour réhabiliter des artistes femmes aux trajectoires fascinantes, rebelles reconnues en leur temps et aujourd’hui oubliées, comme Rosa Bonheur ou Leonora Carrington. Malheureusement le récit, comme l’indique le titre, « Fuir Malco », s’organise en course-poursuite presque permanente, de gares en rues puis de tableaux en tableaux : une telle structure dynamise certes les enjeux, mais lasse un peu par son caractère forcément répétitif. Vivement que Lune prenne possession de ses pouvoirs, et cesse de courir ! Heureusement, le second volume ne saurait tarder… 
 
 
Anne Besson

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