
On ne peut que se féliciter de découvrir un tel ouvrage, le premier de cette qualité consacré à la série phénomène par un universitaire spécialiste de littérature et d’iconographie de la Renaissance, qui plus est dans une nouvelle collection, « Serial », dont il faudra guetter les prochains opus. Malgré le choix du titre français, c’est bien sur la série télévisée que porte l’essai, qui plonge résolument dans le monde de Westeros : il s’agit en effet ici de le décrire « de l’intérieur » plutôt que de l’’analyser de l’extérieur. Après une courte première partie « Genèse », donnant quelques informations sur les conditions de l’adaptation puis sur l’espace et la société décrits, dont l’auteur constate que les références picturales les rattachent à la Renaissance (plus qu’au Moyen Âge), le chapitre « Parcours » occupe l’essentiel du volume, suivi d’une galerie de « Portraits » de héros choisis, avec parfois d’intéressantes surprises (ainsi les pages consacrées à Ros la prostituée, ou à Oberyn Martell, pas forcément les personnages qu’on s’attendait le plus à trouver là !). Au total, un ensemble d’informations très complet se trouve mis à la disposition de l’amateur, ce qui est précieux : l’organisation permet la multiplication des sortes d’encarts thématiques sur des objets très variés – pour qui s’intéresse à la manière dont la série représente les voyages en bateau, les duels, les animaux ou de multiples motifs encore, pistes de compréhension et exemples nombreux seront chaque fois fournis. La limite du travail tient me semble-t-il dans ce même caractère vaguement encyclopédique, qui rappelle fort les excellents sites Web consacrés à l’œuvre de Martin et/ou à son adaptation par des équipes de passionnés (en France, la « Garde de Nuit ») : ce type de description précise et fouillée existant déjà, il est un peu dommage que Stéphane Rolet n’ait pas choisi aussi une autre approche, plus distanciée, abordant par exemple des questions de réception (comment les spectateurs réagissent-ils à la série ?, qu’y trouvent-ils ?), ce qui lui aurait permis de renouveler un propos ici assez répétitif, où les mêmes remarques tendent logiquement à revenir, sous différentes angles, dans les différents chapitres. On peut regretter également que les superbes choix iconographiques se traduisent, sans doute pour des questions matérielles, par une multiplication de toutes petites vignettes qui ne laissent pas voir grand-chose de la beauté des images évoquées. Mais face à ce premier ouvrage de référence en français sur la série, ne boudons pas notre plaisir !

Pour cause de cliffhanger insoutenable en fin de premier volume, et donc de risques majeurs de spoiler, cette chronique tient de la mission impossible ! Elle sera donc courte et évasive, mais je tenais à saluer la belle ampleur que prend ce cycle au long cours, et dont ce deuxième volume permet de prendre un peu mieux la mesure. Comme dans un Game of Thrones que Haut-Royaume évoque nettement dans son ambition et sa structure, mais de plus en plus indirectement dans ses contenu précis, on comprend dans ce second roman que l’aventure de quelques-uns prend place dans une suite de générations, passées et à venir, qu’un ordre ancien du monde est en jeu, et que les actions des uns et des autres se comprennent dans ce contexte plus vaste – cela ne les empêche pas de fournir leur lot de péripéties et de retournements inattendus, car le destin, précisément, ne s’écrit pas tout seul… Du coup, les appuis qui accompagnent habituellement ce type de wordbuilding exigeant font un peu défaut : une carte qui permettrait de mieux se repérer, une liste des personnages, des familles ou des forces politiques en présence, pour le lecteur qui n’a plus bien en tête la totalité du volume précédent, un peu d’historiographie, ce genre de choses ! Puisqu’on semble parti pour passer un bon moment (dans tous les sens du terme) ensemble dans les Royaumes, cela viendra sans doute.

Ma curiosité a été plus qu’aiguisée quand j’ai appris l’existence de cette bande dessinée, impliquant que l’exclusivité mondiale de l’adaptation de la très fameuse trilogie A la croisée des mondes de Philip Pullman ait été confiée à des auteurs français. A plus forte raison quand ils repartent du festival d’Angoulême avec un convoité Prix du public Jeunesse… C’est bien sûr un défi que d’adapter le chef-d’œuvre de Pullman, intrigue complexe, langue somptueuse, personnages riches et attachants, mélange de vivacité et de noirceur – et la réussite est là pour cette bande dessinée qui couvre environ un tiers du premier volume (ce qui, avouons-le, est un peu frustrant) : élevée en orpheline parmi les érudits d’Oxford, Lyra surprend les projets de voyage vers le Grand Nord de son parrain Lord Asriel ; tandis que Mme Coulter la prend sous son aile, semblant répondre à son désir de changement, Lyra veut retrouver son ami Roger, enlevé par un mystérieux groupe de kidnappeurs d’enfants.
Pour entrer dans cette proposition esthétique originale, il faut cependant accepter d’abord d’oublier la joliesse des images qu’on tend à associer à cette histoire, pour l’essentiel depuis l’adaptation cinématographique de La Boussole d’Or (Chris Weitz, 2007), véritable accident industriel, échec critique et commercial. Lyra n’a pas ici de jolies boucles blondes, elle est même plutôt ingrate, profil plat, grands yeux un peu obliques et pas très symétriques – on retrouve le trait que Clément Oubrerie a par exemple développé dans la série des Pablo¸ comme aussi les cases aux bords tremblés et certains choix de coloris sepia. Mais la petite fille gagne une telle expressivité au passage, c’est tellement « elle », une gamine intrépide et menteuse, désobéissante, généreuse, avide d’amour, qu’on ne peut vite plus la dissocier de cette nouvelle apparence. Le scénario est suffisamment ingénieux pour parvenir à nous faire comprendre le fonctionnement d’un monde complexe (notamment la présence des daemons et leur lien aux humains sont bien pensés), et surtout l’atmosphère, essentielle, est superbement rendue – du Dickens steampunk dans les décors de la grande ville, une superbe palette de teintes nocturnes pour les cieux lumineux qui répondent à la robe bleu-vert de Lyra en fuite…