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Un mois de lecture, Anne Besson - Novembre 2015
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Un mois de lecture, Anne Besson - Novembre 2015

 Noël approchant, c’est ce mois-ci un « Spécial livres illustrés » que je vous propose – pour tout public, de l’album au beau livre.
 
La Bulle de Timothée de Fombelle et Eloïse Scherrer (Gallimard Jeunesse) est un court album au scénario limpide – une petite fille qui vit dans l’ombre de sa « bulle » pénètre le pays de ses rêves pour y affronter ses démons (littéralement) –, accessible dès 5-6 ans et sans limite d’âge supérieure. Timothée de Fombelle, qu’on ne présente plus, est ici associé avec une toute jeune illustratrice, dont il a suivi le travail depuis qu’elle a consacré son projet de fin d’études à Tobie Lolness. Eloïse Scherrer, à l’évidence, est une vraie découverte, et le grand auteur a le bon goût de s’effacer pour laisser toute la place au talent graphique de sa collaboratrice – de nombreuses doubles pages ne portent aucun texte, et celui-ci est toujours discret, court et simple, accompagnant parfaitement une esthétique au contraire foisonnante : dans un esprit de « réalisme  fantastique », on repère des éclats de Miyazaki, de John Howe, d’Alice, de Narnia, avec de nombreux grands formats et une gamme d’atmosphères très différentes donnant un bel aperçu d’une large palette (travail sur les cadres pendant l’exploration du monde, travail sur le noir et blanc lors de la poursuite finale…). J’aime un peu moins les expressions de la petite fille, mais les compagnons animaux sont parfaits !
 
Format traditionnel de la fiction pour jeunes lecteurs, le roman illustré connait de son côté un renouveau certain, porté par la vague du transmedia. Le Pinocchio raconte Pinocchio de Michael Morpurgo et Emma Chichester Clark (Gallimard Jeunesse) en donne un exemple de qualité, pour des lecteurs à partir de 9 ans ; si je n’ai pas adoré, en revanche mon fils a bien accroché, et il est clairement plus dans le cœur de cible ! Le livre a tout pour lui a priori : un grand auteur pour la jeunesse, dont la version d’Arthur par exemple est à juste titre fameuse, une illustratrice également très reconnue et pour base de travail un classique du conte merveilleux, le chef-d’œuvre de l’italien Collodi, paru à la fin du XIXe siècle. On est en effet face à un retelling, très fidèle d’ailleurs à la trame originale, le procédé affiché dès le titre consistant ici à donner la parole à Pinocchio, qui raconte à la première personne sa propre histoire, instaurant par là même une distance bienvenue vis-à-vis du moralisme un peu massif de l’original – ici c’est le pantin insouciant, idiot, menteur, et cependant attachant, qui conduit sur un rythme enlevé un récit évacuant joyeusement le symbolisme au profit des mésaventures bien connues (le cirque, le pays des jouets, le grand requin etc.). Le lifting était-il cependant si nécessaire ? C’est la question qui me gêne un peu, cette version rafraichie, que les illustrations tirent vers l’enfantin, risquant davantage de faire de l’ombre à la précédente. Collodi en effet est spectaculairement absent du paratexte – il en est question une fois dans les premières pages, alors que c’est déjà Pinocchio qui parle et c’est bien vite évacué. Pour moi, son nom devrait figurer en couverture ! 
 
Pour la tranche d’âge encore supérieure (à partir 11 ans), La Boutique vif-argent 1. Une valise d’étoiles de P.D. Baccalario (Gallimard jeunesse toujours) est une grande réussite, évoquant celle des Miss Peregrine de Ransom Riggs – pour le cadre, ici un paisible village sur la côté des Highlands écossais, pour le type de fantastique (faisant intrusion au sein de ce quotidien et suscitant sur le jeune héros une fascination, une identification, que des moments de terreur n’entachent pas) et enfin pour l’esthétique renvoyant un bon siècle en arrière – dans une belle mise en page soignée, ce sont ici les illustrations de Iacopo Bruno, scandant les chapitres par des sortes de fiches consacrées à un des objets magiques qu’abrite la fameuse « boutique vif-argent » qui vient de surgir à Applecross. Le jeune Finley, sympathique cancre toujours flanqué de son chien Chiffon, voit son existence bouleversée par l’apparition de la jeune Aiby, à la tête avec son père de ce commerce familial un peu particulier, et plutôt dangereux. Si ce premier volume ne fait guère que planter le décor, autour d’un très tolkienien duel de devinettes (pas toutes excellentes, malheureusement, les devinettes…), les éléments posés, indices et mystères, donnent très envie de suivre les aventures à venir. 
 
A saluer pour l’originalité de son travail sur le roman illustré, la nouvelle maison d’édition Ofelbe lance sur le marché français les premières traductions d’un genre romanesque japonais très  populaire auprès du public adolescent-jeune adulte : le light novel, « roman léger », petit roman/petit format, dont la parution originale se fait par épisodes. Ces textes sont avant tout destinés aux fans de manga et d’anime, avec lesquels les light novels dialoguent, les uns adaptant les autres selon la logique de « media mix » caractéristique de la culture pop nippone. Mais ici le plaisir de lecture est avant tout textuel, les illustrations, d’un beau classicisme manga, étant regroupées en deux cahiers couleurs en début et fin d’ouvrages, tandis que des pleines pages ou doubles pages noir et blanc rythment la progression toutes les 30 à 50 pages. Enfin, les volumes Ofelbe rassemblent deux de ces « romans » de 200 pages, l’équivalent de deux aventures complètes.
 
J’en ai reçu deux, Sword Art Online (de Reki Kawahara, ill. Abec), que je n’ai fait que feuilleter mais dont la thématique, déjà classique en roman pour adolescent (l’immersion dans un jeu vidéo-monde où les combats, à l’épée ici, sont une question de vie ou de mort) en séduira plus d’un. Et Spice and Wolf d’Isuna Hasekura, ill. Jyuu Ayakura, dont l’image de couverture m’avait d’emblée attirée et que j’ai lu avec grand plaisir. On y suit les tribulations du marchand itinérant Lawrence et de la délicieuse Holo, esprit des moissons dont la forme naturelle est une « Sage Louve », et celle qu’elle a adoptée pour son voyage une irrésistible jeune femme aux oreilles et à la queue repérables… Les rapports entre les deux personnages, jeux de séduction et jeux de pouvoir entre le jeune homme trop solitaire et timide et le kami féminin, à la fois puissante et puérile, orgueilleuse comme une divinité et vorace comme un enfant-loup, font l’objet de toutes les attentions de l’auteur : on s’y croirait, même si ça finit par être un peu lassant à mon gré. La bonne surprise, ce sont les intrigues de chaque épisode, à prétexte exclusivement commercial et cependant palpitantes : comment Lawrence, avec l’aide surnaturelle d’Holo, évitera-t-il la faillite, se montrera-t-il plus malin et impitoyable que ses concurrents en affaire et conclura-t-il le meilleur marché ? Décidément une belle découverte, très conseillée aux amateurs !
 
Pour amateurs encore (le contrat est clair !), World of Warcraft, Le Guide d’Azeroth (Panini Books) est une mine et un beau cadeau : 200 pages grand format sous couverture cartonnée, très riches en textes et en illustrations, avec des dizaines d’artistes participants, dont on peut regretter que leurs noms ne figurent que dans les « remerciements », l’éditeur du jeu et propriétaire de la licence-monde, Blizzard, ayant en revanche la part du lion. Selon un modèle encyclopédique désormais bien rôdé pour de tels « univers » dont il s’agit de ressaisir les données narratives éparses, l’ouvrage nous propose des « chroniques » historiques, des chapitres sur les différents peuples et héros, Horde, Alliance, neutres, non-alignés. Il est un peu plus en retrait (c’est dommage) en ce qui concerne l’espace, faune, flore, villes, à l’exception de quelques « hauts lieux » ayant droit à leur double page. Il faut aimer les paragraphes obscurs au profane sur les origines et les compétences de telle ou telle créature, mais dans ce cas c’est un régal !
 
Hors concours, toute catégorie et tout public, il faut donc faire une place particulière au Panorama illustré de la fantasy et du merveilleux dirigé par André-François Ruaud aux Moutons Electriques. Il s’agit de la nouvelle version, sortie en octobre après une campagne de crowfunding à succès, du classique de 2004, épuisé. Je dois préciser que j’y ai très modestement participé en fournissant une des nouvelles contributions qui sont venues enrichir le sommaire, mais ce n’est pas ce qui suscite mon enthousiasme. Affichant l’ambition d’être « le beau livre ultime » sur le sujet, l’encyclopédie est bel et bien une pure merveille : on ne saurait assez souligner la qualité de l’iconographie réunie, de l’ordre du millier d’illustrations souvent méconnues ou oubliées, des plus anciennes aux plus contemporaines, d’un goût parfait, superbement mises en valeur par une mise en page de grande classe. Et mine de rien, il n’y a que là qu’on trouve des articles érudits et accessibles sur, au hasard, T.H. White, Elizabeth Goudge ou James Blaylock, la fantasy animalière ou la peinture féérique victorienne ! Bravo et merci aux passionnés qui engrangent et diffusent un tel savoir, un vrai trésor…
 
Anne Besson 
 
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