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Un mois de lecture, Anne Besson - juin 2016
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Un mois de lecture, Anne Besson - juin 2016

Thomas Burnett Swann, Plus grands sont les héros, Hélios : Bible, boys’ love et fantasy. 
 
Paru il y a un an et demi déjà dans la traduction inédite de Patrick Marcel, ce roman de 1974 permet au lecteur contemporain de découvrir un peu mieux Thomas Burnett Swann. A la tête d’une œuvre pas du tout négligeable rédigée dans les années 60 et 70, notamment deux trilogies à cadre antiquisant (la Crète minoéenne pour la « trilogie du Minotaure », les origines de Rome inspirées par l’Enéide de Virgile pour le « cycle du Latium »), cet auteur américain demeure en effet largement méconnu – sans doute parce que sa singularité (une influence bucolique, pastorale, peu présente ailleurs dans le genre) l’a vouée à rester marginal, sans vraie postérité. Plus grands sont les héros, court roman, relève quant à lui de la rare « fantasy biblique » : il raconte la relation de David et Jonathan, et le combat de David et Goliath, en restant très fidèle à l’intertexte biblique (en l’occurrence le livre de Samuel de l’Ancien Testament) mais en faisant du prince Jonathan le fils d’une sirène ! Swann met en lumière la forte charge mythologique, de ce monde archaïque, aux toponymes exotiques, où combattent des tribus soutenus par leurs prophètes et leurs rites : « Le roi Saül et ses Marcheurs du Désert avaient affronté les Philistins à Micmas… », c’est le début de la première phrase. Il introduit ensuite dans ce cadre plusieurs éléments qui lui sont propres : d’abord il développe le fort sous-texte de la relation amoureuse des deux jeunes hommes, pour en faire une très belle passion homosexuelle consommée, mais cela ne relève encore que d’une réinvention qui pourrait être de l’ordre du roman historique ; ensuite et surtout, il développe le personnage d’Achinoam, femme de Saül et mère de Jonathan – il en fait une sirène, une femme ailée de la mer venue de Crète où elle vivait dans le Bois d’Errance, espace merveilleux propre à la fantasy de Swann, déjà apparu dans ses autres récits.
 
Cette coexistence des deux inspirations prend la forme d’une polarité entre deux divinités : Yahvé, le dieu d’Israël, qui se détourne de Saul et fait de David son nouvel élu, dieu local colérique et jaloux, celui qui interdit, et face à lui, Astarté, la Dame, celle qu’honore l’amour sous toutes ses formes, notamment homosexuelles. Il n’y a cependant jamais condamnation de Yavhé, ce qui irait à l’encontre de la cohérence biblique ; bien au contraire la beauté des deux jeunes gens, leur entente secrète dans le dos du père, les qualités de poète de David, la grandeur du combat contre Goliath, sont constamment exaltés. Il y a curieusement peu en fantasy d’exemples comme celui-ci, qui retravaillent de façon à la fois singulière et respectueuse le matériau biblique, qui se saisissent d’une histoire et de personnages sans être d’abord et seulement « pour » ou « contre », alors que bien entendu la Bible regorge de merveilleux. La langue, d’une poésie simple et incantatoire, participe également de la grande séduction de ce texte. Petit bémol cependant concernant la présentation matérielle de mon exemplaire : un « cahier » entier (soit 12 pages tout de même) était placé tête bêche (texte à l’envers, pagination inversée) ; une telle gêne à la lecture, ça se rencontre rarement, et c’est tant mieux.
 
Jim C. Hines, Magie ex libris. Le bibliomancien, L’Atalante : la vraie magie des livres !
 
Un rêve devenu réalité pour les amoureux des livres, un hymne aux pouvoirs magiques de l’imagination collective activée par la fiction, tel est le point de départ tout à fait excitant de ce roman d’urban fantasy signé Jim C. Hines, un américain qui n’en est pas à son coup d’essai. Qu’on en juge : Isaac Vainio, sous ses apparences de simple bibliothécaire, est en fait un puissant « bibliomancien » - détenteur d’un pouvoir magique qui lui permet de plonger dans les livres (la main, pour l’essentiel) pour en ramener ce qu’il souhaite (un sabre laser, disons, au hasard). Le pouvoir des livres passionnément investis par de nombreux lecteurs donne de la même façon naissance à la matérialisation de leurs inventions – ainsi les vampires du type « meyerii », familièrement appelés « les pailletés » car, rappelons-le, leur peau brille au soleil, se sont-ils terriblement multipliés dans la péninsule du Michigan où se déroule notre histoire. Les possibilités ouvertes par une telle idée sont assez vertigineuses, tout particulièrement pour les fans d’imaginaire – d’ailleurs, un lecteur qui ne connaitrait rien au genre serait sans doute assez vite largué, et c’est une excellente chose qu’un grand spécialiste, en la personne de Lionel Davoust, se soit chargé de la traduction ! Sans égaler l’inventivité d’un Jasper Fforde (la série des Thursday Next), ces implications sont plutôt bien exploitées dans l’ensemble, de façon diversifiée et maligne – des limites et contraintes nombreuses sont posées à l’exercice et à l’étendue de ce pouvoir, et de terrifiants abus commis par le mystérieux ennemi qui semble décidé à déclencher une guerre entre les Gardiens et les Vampires (les humains magiciens et les créatures dont ils encadrent les méfaits) et semble lié à la disparition de Gutenberg, chef historique des Bibliomanciens. J’ai juste trouvé qu’il y avait quelques flottements dans la représentation de ce pouvoir, dont je ne suis pas toujours parvenu à me faire une idée très claire. Mais l’essentiel dans ce roman tient dans une courte-poursuite rythmée où le malheureux Isaac, heureusement secondé par une belle dryade, aura fort à faire pour se dégager des nombreux obstacles qui se dressent sur sa route, dans une surenchère « pulp » qui demande d’avoir recours à moult armes de space opera ! Beaucoup d’action, beaucoup d’humour, de la réflexion aussi, sur le libre-arbitre des êtres définis par les pages des livres d’où ils sortent, pour une aventure complète dans ce seul volume, tels sont les ingrédients d’une lecture fort agréable. 
 
Aurélie Wallenstein, Les Loups chantants, Scrinéo
 
Ah, les loups ! Après Le Roi des fauves, Aurélie Wellenstein poursuit l’exploration de sa problématique majeure – l’animal en nous : ce qu’il nous apporte, ce qu’il nous prend et nous apprend, ses risques et ses séductions. Après avoir perdu son amour de jeunesse, hypnotisée par le chant des loups jusqu’à les rejoindre dans le froid sibérien, Yuri, musher d’exception qui a le don de communiquer télépathiquement avec ses chiens, voit sa sœur adorée, Kira, menacée de mort à son tour : sa peau se couvre de cristaux de glace et le chaman du village veut sans tarder l’exiler, la condamnant à rejoindre le Blizzard, forme extrême de tempête hivernale qui sévit six mois de l’année dans ce monde légèrement décalée par rapport au nôtre. Peut-être est-ce une malédiction de Korochun, démon de l’hiver, peut-être une maladie, selon Anastasia, élève infirmière revenue de la grande ville – en tout cas, il faut sauver Kira, et les trois jeunes gens se lancent dans un terrible voyage sur leurs traîneaux, au cœur de l’hiver, en quête de guérison. Mais tout de suite, les loups chantants les poursuivent et s’insinuent dans les pensées et les rêves de Yuri. 
 
L’intrigue peut sembler parfois un peu linéaire, concentrée tout du long sur ses enjeux de départ. On regrette en ce sens que certaines bonnes pistes amorcées, comme le conflit entre la pensée magique et la rationalité scientifique (Anastasia, les parents de Yuri et Kira) ne soient davantage exploitées. Reste que le roman adresse très directement, de façon intelligente et nuancée (parfois presque trop) des questions essentielles pour son public, grands adolescents/jeunes adultes. Comment faire le bon choix – où est la « liberté » ?, où est la « vie » ?, dans la nature sauvage, la métamorphose, la puissance, ou du côté de l’humanité, avec ses faiblesses ? eros, thanatos, tout ça… Et surtout, la beauté de la nature glacée, comme la profondeur du lien avec les animaux, sont rendus avec une sensibilité évidente qui à notre tour, nous les rend presque palpables.
 
Anne Besson
 

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