Ce mois-ci j’ai lu… du space opera français ! Plusieurs parutions récentes semblent en effet augurer d’un renouveau de ce genre phare de la science-fiction, voué aux aventures et explorations du cosmos. Riche d’une vénérable histoire aux États-Unis, il revient en force depuis quelques années au cinéma, et, donc, en cet automne, dans les ouvrages de deux jeunes romanciers français. Parallèlement, c’est toute une collection consacrée à ce genre qui prend son envol chez Scrinéo, sous la direction avisée de Stéphanie Nicot.

En bon space op, le roman mêle, à une intrigue principale simple et efficace, des réflexions plus profondes sur le rapport entre la science et la foi (ici, les savants incapables d’expliquer ce qu’ils font, facilitant la tentation mystique), sur le prix respectif de l’obéissance ou de la rébellion (dans l’atroce situation martienne, où il n’y a pas de « bon » camp) ou encore sur l’embranchement des possibles (belle apparition d’une « histoire parallèle », d’une autre chronologie potentielle). Si le personnage de Franck Fervent, même doté d’une ligne d’intrigue consacrée, en alternance, à nous conter son histoire personnelle, reste cependant un peu conventionnel, Sorany pour sa part fait une héroïne étonnante et attachante dans sa vulnérabilité – elle lutte constamment, jusqu’au bout ou presque, pour ne pas être celle que chacun voudrait qu’elle soit, l’élue, le messie, la responsable.

Le roman, vous l’aurez constaté, est très compliqué à résumer ! Pourtant il ne s’y passe pas grand-chose en réalité (un Vaisseau voyage à la rencontre d’un autre, ils sont attaqués), mais l’arrière-plan, lui, est d’une richesse époustouflante, mêlant histoire antique, références à la littérature classique et invention d’une vie logicielle tout à fait fascinante. Le grand défi de l’ouvrage tient en effet à ce qu’il se passe de tout protagoniste humain, un choix radical en ce qu’il implique de se priver largement de l’affect, de l’empathie, voire de la communicabilité (d’ailleurs, l’auteur use à plusieurs reprises de l’expression « l’équivalent computationnel de… », qui nous permet de nous raccrocher à du connu !). Eurybiadès l’homme-chien ou la Plautine incarnée viennent ensuite faire office de relais plus « humains » auprès du lecteur, mais la démarche reste osée et le résultat très intéressant. Il permet notamment de multiplier les passages de genèse, qui rejouent l’origine du monde et du moi, cosmogonie ou théogonie : une machine s’allume, un être s’éveille, dans des laps de temps et des distances inconcevables, en autant de moments suspendus d’une grande beauté – sense of wonder maximal ! Une lecture pas toujours facile donc, au rythme lent et ample, mais qui m’a laissée rêveuse, et même émerveillée.

Ce gros livre joliment illustré est l’œuvre d’un jeune historien spécialisé dans les représentations du Moyen Âge : William Blanc, qui anime le magazine en ligne Histoire et images médiévales, a consacré un ouvrage à Charles Martel et prend régulièrement la parole pour s’opposer aux réécritures abusives du « roman national ». Historique et politique, érudit mais toujours accessible, c’est le ton de l’ouvrage, que j’ai dévoré d’une traite – l’arthuriana est un de mes sujets favoris, et d’avoir déjà travaillé sur ces corpus m’a permis d’apprécier la valeur des chapitres consacrés plus particulièrement à la fantasy, comme celui sur les représentations genrées, sorcières ou femmes guerrières, ou encore celui sur « Excalibur. Merlin contre-attaque », qui étudie l’inflexion de la réception contemporaine de la légende arthurienne, plus axée sur le merveilleux. Sans viser une exhaustivité sans doute impossible à atteindre, l’ouvrage couvre tout de même un nombre d’exemples assez hallucinant, en particulier des films, des BD, des comics, et, de façon originale, puise aussi du côté de la musique populaire, chansons, albums, comme participant à une culture commune définissant une époque. Il permet au passage d’explorer des pans entiers d’histoire socioculturelle, sur plus d’un siècle, dans le monde anglophone surtout (Angleterre et États-Unis chaque fois distingués comme deux contextes bien différents), mais pas seulement. William Blanc rend chaque fois compte des œuvres à travers le message qu’elles portent et transmettent : il les replace dans leur histoire politique et sociale immédiate, et lit les évolutions de la matière arthurienne à cette aune. Si de mon point de vue littéraire c’est négliger un peu l’intertextualité (la façon dont les textes s’influencent les uns les autres, parfois à long terme), j’avoue que les analyses produites sont toujours très convaincantes ! Plus précieux encore, cet ouvrage m’a donné envie de revoir ou de dénicher moult merveilles et bizarreries, du KnightRiders de Romero et ses chevaliers-motards au Wizards de Ralph Bakshi (celui du dessin animé du Seigneur des Anneaux) en passant, entre autres, par une trilogie de films espagnols sur des templiers-zombies – faites l’essai, vous y découvrirez sans aucun doute votre bonheur de curieux.
Anne Besson