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Un mois de lecture Anne Besson - Février 2017
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Un mois de lecture Anne Besson - Février 2017

 Isaac Asimov, Période d’essai, Folio SF : plus de mille pages ! Aux amateurs de l’inégalable Asimov, dont je suis, Folio SF fait ici un copieux cadeau : la réunion en un seul (très gros) volume,  conformément à l’original, The Early Asimov qui date de 1972, de 27 nouvelles jusqu’alors dispersées et largement introuvables – car éditées en France dans 4 volumes différents, dans les années 70. Des nouvelles de jeunesse donc, parues sur une période de 10 ans, de la toute première publiée, en novembre 1939, « Dangereuse Callisto » (qu’est-il arrivé aux sept premières expéditions à s’être posées sur son sol ?), à « La mère des mondes » (1949), sur l’escalade au conflit entre Terriens et Spaciens. Cette décennie, c’est celle qui est restée comme « l’âge d’or » de la science-fiction américaine ; c’est aussi celle où Asimov a écrit nombre de ses plus fameux textes courts, ceux des premiers volumes des « Robots » et de « Fondation ». Pourtant, force est d’avouer que ces nouvelles-ci sont loin d’être toutes excellentes, loin de là… Elles apparaissent souvent d’une invraisemblance scientifique affolante (les conditions de vie sur les autres planètes ! les extraterrestres !!), et d’une morale naïve, même si (et c’est remarquable dans cette période) Asimov, juif, enfant d’une famille russe émigrée, garde en permanence le cap d’un message de tolérance à l’Autre, étranger mais riche de sa différence.
 
Le meilleur de l’ouvrage à mon sens est constitué des longs commentaires qui s’intercalent entre les nouvelles et en viennent peu à peu à constituer un témoignage inestimable. Asimov, avec à l’appui son fameux journal où il notait le moindre détail (au dollar près !), nous y raconte les circonstances d’écriture et de publication de chacun de ses textes. Le monde de la SF d’alors, celui des pulps qui se créent et disparaissent, celui de Joseph Campbell régnant sur le tout-puissant Astounding, de Frederick Pohl, Robert Heinlein, Van Vogt et les autres, surgit alors devant nous – et désormais, ils font partie de l’histoire… La personnalité d’Asimov enfin, assez sûr de ce qu’il est devenu pour se représenter rendant visite dans son bureau mois après mois à Campbell pour se voir refuser ses nouvelles, d’abord chaque fois, puis souvent, puis de moins en moins, ne reculant devant rien pour « placer » ses textes, fait aussi de cette petite autobiographie fragmentaire un manuel de persévérance à l’intention des auteurs débutants : surtout, ne jamais se décourager !
 
Len Deighton, SS-GB, Denoël « Sueurs froides » : Encore une uchronie sous-titrée « Et si Hitler avait gagné la guerre ? », se diront ceux qui connaissent déjà Le Maître du Haut Château, par le roman de Philip K. Dick ou son adaptation libre en série télé, ou encore ceux qui dans leur jeunesse ont dévoré le Fatherland  de Robert Harris ? Oui… et non ! Par rapport au texte de Dick, métaphysique et réflexif, SS-GB, dont on nous annonce également l’arrivée imminente sur nos écrans, est aussi et surtout un roman d’espionnage, par un des grands maîtres anglais du genre ; et puis, il a été écrit en 1978, et traduit une première fois chez Fayard à ce moment-là : bien avant Fatherland donc !
L’intrigue se centre sur l’Angleterre, durant quelques semaines, à l’automne 1941 : envahie, humiliée, elle subit l’occupation allemande, tandis que les Etats-Unis maintiennent strictement leur doctrine de non-intervention. Si quelques mouvements de résistance existent, à tous les niveaux de la société, l’essentiel de la population britannique s’efforce simplement de survivre, dans des conditions de restriction qui rendent le quotidien difficile. Notre héros, Douglas Archer, est un brillant enquêteur de Scotland Yard, spécialisé dans les affaires criminelles. Anglais, il n’en travaille pas moins sous les ordres d’une hiérarchie allemande – pour eux, selon certains. Sa position se complique quand on lui confie l’enquête sur le meurtre d’un physicien, le Dr Spode, dont il s’avère rapidement que ses travaux avaient à voir avec l’arme atomique, pas encore mise au point. Il va dès lors se trouver au carrefour d’intérêts divergents, quand il s’agit de retrouver des plans de conception ou de faire évader le roi de la tour de Londres où il est gardé prisonnier – comme dans tout roman d’espionnage, c’est ce qui fait tout le sel de l’histoire, et que Deighton décrit de façon très subtile, avec un sens consommé des rebondissements : les motivations complexes, les guerres internes (entre armée allemande et parti  nazi par exemple), les petites traîtrises et les grands complots. D’autres aspects sont moins convaincants, comme la place des femmes (le rôle de la journaliste américaine), mais là encore, c’est une loi du genre, surtout dans les années 70 !
 
Jo Walton, Mes vrais enfants, Denoël « Lunes d’encre » : là encore, à première vue on pourrait avoir affaire à un « exercice de style » : à partir d’un point de divergence, deux pistes possibles s’ouvrent pour un destin dont on nous montre ainsi à quel point il ne tient qu’à un fil, à un choix,  - à une polarité quantique : « Pile ou face », « Smoking/No Smoking », « Cours, Lola Cours »… nous ont déjà fait le coup. Mais Patricia Cowan, l’héroïne devenue une vieille dame et atteinte, dans ses deux vies, de la même maladie d’Alzheimer qui a touché sa mère avant elle, oublie tout mais se souvient des deux, simultanément impossibles. Sous la plume sensible de Jo Walton, déjà auteur de Morwenna et qui s’impose comme la maîtresse d’une forme nouvelle où l’imaginaire croise l’intime (et le féminin), l’exercice devient un bouleversant récit de vie.
 
« Maintenant ou jamais » : face à cette injonction, au téléphone, Patricia a fait un choix. Mariage malheureux d’un côté, épanouissement florentin dans l’autre, solidarité d’une famille élargie d’une part, belle harmonie d’une famille homoparentale de l’autre : deux destins se déroulent, au fil de l’alternance des chapitres, et dans la longue durée ; de 1949 à 2015, il s’en passe, des choses ! On comprend progressivement, grâce aux événements historiques qui jalonnent l’arrière-plan, qu’aucun des deux mondes n’est le nôtre, et aussi que tout est toujours moins simple qu’il n’y parait : il n’y a pas de tout bon ou de tout mauvais, la vie où Patricia est la moins heureuse est aussi celle où le monde devient meilleur. Le roman, en couvrant toute la deuxième moitié du XXe siècle, propose aussi un commentaire poignant sur les évolutions, avancées et blocages de la condition des minorités : celles des femmes, des mères, et aussi celles des homosexuel(le)s et des handicapés, dans leurs aspects les plus quotidiens, car le récit a l’élégance de rester toujours au ras des choses, au plus près des existences concrètes. Une vie, fois deux. Petit bémol (qui pèse peu face à l’émotion ressentie) : je n’ai pas aimé la fin – mais sans doute fallait-il finir.
 
Anne Besson 
 

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