
Le meilleur de l’ouvrage à mon sens est constitué des longs commentaires qui s’intercalent entre les nouvelles et en viennent peu à peu à constituer un témoignage inestimable. Asimov, avec à l’appui son fameux journal où il notait le moindre détail (au dollar près !), nous y raconte les circonstances d’écriture et de publication de chacun de ses textes. Le monde de la SF d’alors, celui des pulps qui se créent et disparaissent, celui de Joseph Campbell régnant sur le tout-puissant Astounding, de Frederick Pohl, Robert Heinlein, Van Vogt et les autres, surgit alors devant nous – et désormais, ils font partie de l’histoire… La personnalité d’Asimov enfin, assez sûr de ce qu’il est devenu pour se représenter rendant visite dans son bureau mois après mois à Campbell pour se voir refuser ses nouvelles, d’abord chaque fois, puis souvent, puis de moins en moins, ne reculant devant rien pour « placer » ses textes, fait aussi de cette petite autobiographie fragmentaire un manuel de persévérance à l’intention des auteurs débutants : surtout, ne jamais se décourager !

L’intrigue se centre sur l’Angleterre, durant quelques semaines, à l’automne 1941 : envahie, humiliée, elle subit l’occupation allemande, tandis que les Etats-Unis maintiennent strictement leur doctrine de non-intervention. Si quelques mouvements de résistance existent, à tous les niveaux de la société, l’essentiel de la population britannique s’efforce simplement de survivre, dans des conditions de restriction qui rendent le quotidien difficile. Notre héros, Douglas Archer, est un brillant enquêteur de Scotland Yard, spécialisé dans les affaires criminelles. Anglais, il n’en travaille pas moins sous les ordres d’une hiérarchie allemande – pour eux, selon certains. Sa position se complique quand on lui confie l’enquête sur le meurtre d’un physicien, le Dr Spode, dont il s’avère rapidement que ses travaux avaient à voir avec l’arme atomique, pas encore mise au point. Il va dès lors se trouver au carrefour d’intérêts divergents, quand il s’agit de retrouver des plans de conception ou de faire évader le roi de la tour de Londres où il est gardé prisonnier – comme dans tout roman d’espionnage, c’est ce qui fait tout le sel de l’histoire, et que Deighton décrit de façon très subtile, avec un sens consommé des rebondissements : les motivations complexes, les guerres internes (entre armée allemande et parti nazi par exemple), les petites traîtrises et les grands complots. D’autres aspects sont moins convaincants, comme la place des femmes (le rôle de la journaliste américaine), mais là encore, c’est une loi du genre, surtout dans les années 70 !

« Maintenant ou jamais » : face à cette injonction, au téléphone, Patricia a fait un choix. Mariage malheureux d’un côté, épanouissement florentin dans l’autre, solidarité d’une famille élargie d’une part, belle harmonie d’une famille homoparentale de l’autre : deux destins se déroulent, au fil de l’alternance des chapitres, et dans la longue durée ; de 1949 à 2015, il s’en passe, des choses ! On comprend progressivement, grâce aux événements historiques qui jalonnent l’arrière-plan, qu’aucun des deux mondes n’est le nôtre, et aussi que tout est toujours moins simple qu’il n’y parait : il n’y a pas de tout bon ou de tout mauvais, la vie où Patricia est la moins heureuse est aussi celle où le monde devient meilleur. Le roman, en couvrant toute la deuxième moitié du XXe siècle, propose aussi un commentaire poignant sur les évolutions, avancées et blocages de la condition des minorités : celles des femmes, des mères, et aussi celles des homosexuel(le)s et des handicapés, dans leurs aspects les plus quotidiens, car le récit a l’élégance de rester toujours au ras des choses, au plus près des existences concrètes. Une vie, fois deux. Petit bémol (qui pèse peu face à l’émotion ressentie) : je n’ai pas aimé la fin – mais sans doute fallait-il finir.
Anne Besson