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Un mois de lecture, Anne Besson - septembre 2017
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Un mois de lecture, Anne Besson - septembre 2017

Angélica Gorodischer, Kalpa Impérial, trad. Mathias de Breyne, La Volte : découverte d’une voix
 
 
Comme quoi, tout n’a pas été dit, lu, traduit… Les éditions La Volte et le traducteur Mathias de Breyne permettent au public français de découvrir avec Kalpa Impérial une autrice curieusement restée inconnue jusqu’ici de notre horizon culturel – alors qu’Angelica Gorodischer, née en 1928, a écrit 16 romans et été couronnée de plusieurs prix prestigieux (dont le Word Fantasy Award !). Elle est la contemporaine d’Ursula Le Guin, et que cette dernière ait pris la peine de traduire l’Argentine en anglais nous en dit long sur leurs autres points communs : une stature égale, des ambitions similaires – c’est dire ! 
 
Kalpa Impérial, paru à l’origine en 1990, est en effet un grand livre, placé sous les auspices divers de « Hans Christian Andersen, J.R.R. Tolkien et Italo Calvino » (dans la dédicace) : et il est vrai que l’ouvrage mêle ces influences, des contes délicats et cruels, de l’épopée dans un monde secondaire, et avec le Calvino des Villes invisibles, auquel on pense souvent à la lecture, un imaginaire post-moderne littérairement exigeant. Onze chapitres autonomes, onze nouvelles si l’on veut, composent une sorte de fresque fragmentaire, ou plutôt une mosaïque, du « plus vaste empire qu’on ait jamais vu », si infini dans le temps et dans l’espace qu’on ne peut en saisir que des fragments. Certains se font écho (« Portrait de l’Empereur », qui nous fait assister à un cycle de destruction et de renaissance, et « Portrait de l’impératrice », très beau portrait de femme), mais aucun ne se recoupe : parmi les innombrables noms de dynastie qui émaillent le texte, très original dans ce travail de création des noms propres, pas une seule ne revient, ce qui donne un aperçu, vertigineux, de la longueur des temps évoqués. Tous les récits sont unifiés cependant, par une voix, celle du « conteur de contes » : « Le narrateur dit » fait office de formule rituelle ouvrant la majorité des textes et venant rythmer leur éternel recommencement.  Profondément dépaysant, parfois déroutant, comme ce qu’on n’a pas le souvenir d’avoir déjà lu ailleurs (ou pas comme ça), Kalpa Impérial s’impose par sa grande puissance suggestive – et, à la façon de « Tel est le Sud », mon chapitre préféré, reste longtemps en mémoire. 
 
Peter Brown, Robot Sauvage¸ trad. Alice Marchand, Gallimard Jeunesse : robots et animaux
 
Auteur-illustrateur reconnu d’albums pour enfants (Ma Maîtresse est un monstre, M. Tigre se déchaîne…), Peter Brown livre avec Robot Sauvage son premier roman, accessible à partir de 9 ans, projet au long cours et vraie réussite. L’histoire est toute simple : c’est Robinson version robot ! Suite à un naufrage qui détruit tout le reste de la cargaison, un robot (une robote plutôt, Roz) s’éveille sur une île déserte et sa programmation lui dicte de faire ce qu’il faut pour survivre. Elle se retrouve bientôt responsable d’un œuf, puis d’un oison, Joli-Bec, jusqu’à ce que la migration appelle celui-ci vers d’autres horizons. On n’en sait guère sur le monde extérieur, qui ne fait que progressivement son apparition (agressive) sur l’île des animaux ; la fin, ouverte, nous invite, qui sait ?, à l’explorer dans de prochaines suites des aventures de Roz.
 
Les illustrations, incroyablement adorables, constituent un point fort du livre – les loutres, les ours, le renard, les cerfs, l’écureuil, n’en jetez plus, on les veut tous version figurine ou peluche (sérieusement, si un fabricant de produits dérivés me lit : il y a là un vrai potentiel). Mais la narration n’est pas en reste : si elle manque un poil de rythme dans sa partie centrale (tant il ne se passe pas grand-chose dans cette nature paisible), elle ne cesse d’ouvrir de fructueuses pistes de réflexion pour les plus et moins jeunes : sur l’instinct, maternel notamment, et sur l’adoption ; sur les rapports entre nature et culture ; sur la manière dont se construit une identité, sur la part d’adaptation qu’implique l’intégration sociale. Roz, la machine, devient végétale ou minérale quand il le faut, et elle explore toutes les facettes de son animalité. 
 
Nicolas Allard, Star Wars, un récit devenu légende, Armand Colin 
 
Ce récent ouvrage d’analyse de la saga Star Wars, tout à fait accessible au plus large public, porte sur les huit films sortis, jusqu’à Rogue One donc, et en propose une approche « littéraire » - tel est en effet le domaine d’expertise de l’auteur, Nicolas Allard, enseignant de lettres. Ces deux originalités suffisent à recommander l’ouvrage. 
 
En réalité, on pourrait parler plus justement de perspective « narratologique » : faute de style écrit à étudier dans une série de films, c’est bien la narration qui est étudiée, film par film dans l’ordre chronologique de l’histoire, en commençant donc par la « prélogie ». Et même si un peu de vocabulaire littéraire est employé (« analepse » ou « horizon d’attente », dûment expliqués dans un glossaire final), l’essentiel de l’attention se tourne vers des questions de motivation narrative (tel ou tel épisode est-il « nécessaire », telle ou telle action « bien motivée » ?) mais aussi de motivation psychologique (pourquoi les personnages se conduisent-ils ainsi et pas autrement ?). 
J’avoue que ce ne sont pas des questions que j’ai tendance à me poser (pourquoi untel gagne-t-il ce duel ?), me contentant fort bien de « le scénario veut ça ». J’ai été en outre un peu surprise du ton souvent critique de l’auteur, qui multiplie les « pour être honnête » et autres « soyons réalistes » pour dégommer à peu près tous les films, à l’exception de L’Empire contre-attaque. Jusqu’au début du Retour du Jedi, jugé « lent et redondant » : tout l’épisode chez Jabba le Hutt devrait être supprimé pour « gagner en efficacité » ! Rogue One, de même, est jugé très sévèrement. Certes les fans de Star Wars sont connus pour avoir la dent dure et des sentiments contrastés vis-à-vis de leur objet de passion, mais tout cela désigne, sous l’expertise narratologique très bienvenue, une expression de subjectivité sans doute excessive compte tenu du projet.
 
Anne Besson
 

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