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Un mois de lecture, Anne Besson - octobre 2017
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Un mois de lecture, Anne Besson - octobre 2017

Charles Yu, Guide de survie pour le voyageur du temps amateur, trad. Aude Monnoyer de Galland, Folio SF. 

Publié l’an dernier par les éditions Aux forges de Vulcain, toujours audacieuses dans leurs choix, ce premier roman d’un auteur américain de nouvelles, Charles Yu, vaut le détour pour sa grande inventivité – inégal et bizarre, il n’en est pas moins brillant, et parfois fascinant. C’est l’histoire de Charles Yu, réparateur de machines à voyager dans le temps pour « Time Warner Time » et grand solitaire : il ne partage sa vie à l’écart de la chronologie qu’avec un chien non-existant, rescapé d’un brouillon de roman, et une IA féminine franchement névrosée. Si de tels postulats de départ sont d’abord très très drôles (notre héros va sauver une fois Linus Skywalker qui tentait de réécrire son histoire familiale), le titre évoquant Douglas Adams ne doit induire en erreur : non seulement le roman nous entraîne au cœur des paradoxes les plus complexes d’une boucle temporelle (le narrateur se tue lui-même, puis il écrit et il lit le roman même que nous lisons !), mais encore il est grave, empreint d’une profonde mélancolie. Issu d’une famille dysfonctionnelle, CY, dont la mère vit dans une boucle temporelle de son choix qui lui permet de revivre indéfiniment une soirée paisible, part à la recherche de son père disparu après avoir (presque) inventé le voyage dans le temps. C’est avant tout une méditation sur les occasions ratées et la nature du temps - sa plasticité grammaticale et psychologique, sur laquelle repose la « technologie » de voyage : du désir et de la syntaxe ; nos tendances à refaire les mêmes erreurs, nos tentatives vaines pour changer le cours des choses, sont au cœur du propos : selon La question du titre original, « How to live safely in a science fictional universe », devient « comment vivre », tout court.
 
Elisabeth Ebory, La Fée, la pie et le printemps, ActuSF.
 
La collection Bad Wolf continue en cette rentrée à faire entendre de nouvelles voix de la fantasy française, talentueuses et très différentes entre elles. Ce premier roman d’Elisabeth Ebory explore une veine que j’apprécie, celle du folklore contemporain – imaginant une survivance des peuples faes et comment leur point de vue, décalé, métamorphose notre monde. On peut citer La Compagnie des Fées de Gary Kilworth, penser à certains textes de Neil Gaiman (Stardust, Sandman) ou encore aux romans de Léa Silhol. Les fées d’Elisabeth Ebory sont elles aussi belles et maladroites, magnifiques et malfaisantes, différentes et intenses. Le roman suit deux d’entre elles en alternance, Philomène la voleuse compulsive qui traverse la barrière des mondes grâce à sa monture Nightmare, elle-même fruit d’un larcin, et Rêvage, qui s’éveille pour restaurer sa puissance ancienne et celle des siens qui pourraient déferler sur le monde. Elles vont croiser la route d’un quatuor hétéroclite dont chaque membre est étrange à sa façon : Clem le beau spadassin sentimental, Vik l’aventurière altière, le vieil Od qui semble apparaitre un peu partout, et S, l’orphelin magicien, toujours perdu. Une Angleterre pseudo-victorienne, et sa grande capitale londonienne, voisinent avec des espaces-temps mythiques, landes et toundra, dans ce roman du voyage et de l’errance. J’ai trouvé les personnages et l’ambiance très réussis, le style rendant à merveille le frémissement magique de leurs sentiments. Le déroulement de l’intrigue elle-même m’a un peu moins convaincu ; l’intensité étant sans cesse maintenue à un niveau également élevé, les péripéties s’enchaînent sans véritable climax – ou plutôt, il y en a beaucoup, sans qu’on sache jusqu’où on sera encore emporté. On passe en tout cas un très joli moment auprès de ces fées.
 
5 Mondes, tome 1 : Le Guerrier de sable, Mark Siegel et Alexis Siegel (scénario), Xanthe Bouma, Matt Rockfeller et Boya Sun (dessin), trad. Isabelle Troin, Gallimard
 

Coup de cœur pour ce gros volume de BD jeunesse à l’agréable format souple, aux dessins éclatants et au world building prometteur. Ce premier volume nous donne en effet accès à une histoire complète – le parcours initiatique d’Oona, la moins douée de la prestigieuse école des Danseurs de sable, qui va parvenir à canaliser la puissance annoncée par une ancienne prophétie –, tout en mettant en place, au fil d’un scénario enlevé, de multiples pistes de développement : une histoire mythique, celle du peuple des Félidés et des Phares qui éclairaient le monde ; un vaste espace planétaire, puisque la richesse de peuples et de paysages de Mon Domani, la planète centrale, ne fait qu’annoncer celles qu’on peut attendre des 4 Lunes ; des intrigues qu’on a envie de suivre, autour d’Oona et sa sœur disparue, mais aussi de ses deux comparses, An Tzu à la mystérieuse maladie, Jax Amboy la vedette de starball et son lourd secret. Si le scénario surfe intelligemment sur des éléments hyperclassiques du space opera (désastres écologiques, Force maléfique), ici bien agencés, c’est peut-être surtout le traitement graphique qui séduit : fruit d’un processus collectif du groupe de tout jeunes dessinateurs, il est à la fois évocateur et original. On pense à Myizaki ou à Moebius, entre autres ; on ne sait pas bien si on a affaire à un manga, à un comics, à un album français – un peu de tout cela, et pourtant rien de tout cela. Une réussite donc – dommage que le tome 2 se fasse attendre encore un an !
 
Anne Besson
 
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