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Une forme de guerre

Iain Banks ( Auteur), Manchu (Illustrateur de couverture), Hélène Collon (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais UK
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/04/1997  -  livre
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Une forme de guerre

Alors, qui sommes nous ? (...)
Nous sommes glace et neige, nous sommes cet état captif.
Nous sommes cette eau qui tombe, itinérante et floue, toujours en quête d’un palier inférieur, cherchant toujours à s’amasser et à se rejoindre.
Nous sommes vapeur qui monte en s’opposant à nos propres créations, devenus nébuleux, emportés par le premier vent qui se lève. Pour recommencer à zéro, sous forme ou non de cristaux...
(...) Qui sommes-nous ?
Ce que nous sommes. Simplement ce qu’on croit que nous sommes. Ce que nous savons et ce que nous faisons. Ni plus, ni moins.
De l’information transmise. Les blocs d’écume, les galaxies, les systèmes stellaires, les planètes, tout cela évolue ; la matière brute se modifie, en un sens elle progresse. La vie est une force plus rapide, qui réorganise, qui se trouve toujours de nouvelles niches écologiques à investir, qui ne cesse de prendre forme ; l’intelligence - la conscience - encore plus rapide, sur un plan d’existence supplémentaire.”

En plein milieu de la guerre Idirans / Culture, un Mental endommagé trouve refuge sur le monde de Schar, une planète abandonnée et érigée comme monument à la mort par une super-espèce d’énergie pure. Cet astre préservé n’est accessible qu’à la race des Métamorphes, espèce neutre en charge de la guitoune du coin - ou plus noblement dit : du Complexe de Commandement.

Désireux de récupérer la connaissance et surtout l’armement de ce Mental, les Idirans, race farouchement fière et religieuse, mandatent le mercenaire Bora Horza Gobuchul, l’un des derniers Métamorphes, pour aller récupérer ce Mental.

Commence alors le long voyage d’Horza, qui hait profondément la Culture et sa politique colonialiste, vers le monde de Schar, avec à sa poursuite l’agent Balvéda, au service de Circonstances Spéciales, et tout un flot de sang, de cendres et de ruines.

Consider Phlebas (laissons tomber la traduction minable du titre ok ?) s’inscrit dans la première fournée des romans de Iain M. Banks s’attachant à la Culture. Cette immense société idyllique, régie par des IAs bienfaisantes et bien-pensantes, dont l’objectif principal - outre celui de satisfaire ses habitants - est de faire profiter de ses avancées aux autres civilisations, en leur appliquant pour cela leur modèle social et culturel.

Pacifique de nature, la Culture est ainsi amenée, via sa section Contact, et plus particulièrement son réseau d’agents Circonstances Spéciales, à convertir tous les autres peuples de l’univers connu à sa cause - quitte à employer la manière forte si le peuple concerné ne veut pas comprendre que c’est pour son bien.

Là où L’homme des jeux montrait la face “diplomatique” de Contact ; là où L’usage des armes s’attardait sur les mercenaires employés par Circonstances Spéciales ; Consider Phlebas voit les choses en grand et s’attaque au plus grand et au plus efficace des remèdes : la guerre.

La guerre est la toile de fond sombre de ce roman, qui suit les aventures de Horza jusqu’au monde de Schar, à la manière des serials qui firent les belles heures d’une science fiction pulp et populaire.

Deux aspects démarquent Consider Phlebas de ces serials.

Banks y voit tout en grand, en cinémascope. Des orbitales gigantesques, des lieux spectaculaires (le Temple de la lumière, le monde enneigé de Schar…), des poursuites de vaisseaux dans un Mégavaisseau... Banks semble s’amuser comme un gosse à écrire de la SF, de la vraie, avec des gros guns et des vrais héros - son attachement envers les différents personnages de la Turbulence Atmosphérique Claire, que Horza entraîne avec lui dans sa course, est trop prégnant pour être feint.

Sauf que.

Sauf que si Banks pousse à l’extrême ce grand spectacle, c’est pour le mettre à l’unisson de la guerre Idirans / Culture ; c’est pour accentuer les fresques sanglantes qui se déploient autour de Horza ; c’est pour mieux pousser le space opera dans ses derniers retranchements, pour le mettre face à face avec sa vraie nature, son vrai visage : le visage de la mort.

Des images macabres, des images incompréhensibles parsèment la mission de la TAC au Temple de la Lumière ; mission qui échoue pathétiquement et d’où Horza ressort comme d’un cauchemar.

L’orbitale de Vavatch est promise à la destruction ; des gens y organisent la cérémonie de leur propre mort - les Mangeurs - tandis que d’autres continuent jusqu’au dernier moment à assister au jeu tendance du moment : la Débâcle.

La partie de Débâcle constitue le point d’orgue de ce théâtre de mort. Des êtres humains - esclaves - y sont sacrifiés comme des pions par les différents joueurs. Au-dessus de la scène, en guise de décor, des animaux voltigeurs s’affrontent dans un duel à mort - un duel vain.

Avant de quitter l’auditorium, Horza leva la tête. Les animaux de combat ne combattraient plus jamais. Sous la boucle radieuse que dessinait la face opposée - et pour l’instant diurne de Vavatch, l’une des deux bêtes gisait sur le filet de sécurité, très haut, dans une petite mare de sang laiteux ; les quatre membres de son grand corps formaient un X au-dessus de la scène qui se déroulait dans l’arène. Sa fourrure sombre et sa grosse tête étaient toutes balafrées, toutes mouchetées de blanc. Quant à l’autre créature, elle se balançait doucement à son trapèze ; toute dégouttante de sang, elle tournait lentement sur elle-même, suspendue par une griffe refermée sur la barre, aussi morte que son adversaire déchu.

Horza fouilla ses souvenirs, mais en vain : il n’arrivait pas à se rappeler le nom de ces étranges animaux.”

L’anonymat de ces créatures mortes, celui qui attend tous les protagonistes de cette histoire sur le monde de Schar - cette planète des Morts, vestige d’un peuple qui s’est auto-détruit dans un temps lointain et qu’une espèce immatérielle préserve en souvenir depuis.

Comme le monde de Schar, Consider Phlebas est un monument aux morts. Comme un rappel à tous ceux qui comme Phlébas, ont cru être autre chose que ce qu’ils étaient.

À qui s’adresse cette apostrophe - Considère Phlébas ?

Aux Idirans, à leur fierté aveugle ; à Horza, à sa croisade absurde contre la Culture ; au Mental qui a cru échapper à sa condition ; à la Culture, à sa volonté de bien-faire contre tout et malgré tout ; à tous ceux qui ont oublié d’être ce qu’ils étaient et qui se sont rêvés immortels.

Que restera-t-il des Idirans au final ? Rien. Des Métamorphes ? Rien. De ces héros espérant laisser un sillage mémorable dans les stries du temps ? Rien. De la Culture ? Probablement rien non plus (même s’il faut se plonger dans Le sens du Vent pour que Banks aborde cet angle).

Ce néant achevé est enfoncé par les statistiques finales sur la guerre ; ce zoom arrière dément qui rend encore plus puériles les actions de Horza et des autres personnages de ce récit.

Ce gâchis est renforcé par la compréhension mutuelle qui finit pourtant par se faire entre Horza et la Culture. Quand Fal ‘Ngeestra, l’agent de Contact qui supervise toute l’opération, finit par comprendre Horza : “Et j’ai de la peine pour toi, car je crois savoir, maintenant, qui tu hais réellement.” Et quand Horza se remémore un souvenir lointain, celui d’un contact fatal, qui le met dans la même position que la Culture avec les Idirans : “Il contempla sans comprendre son expression atterrée, tandis que la toute petite créature des neiges mourait, victime de la chaleur de sa main.”

Perdu au milieu de tout cela, des scènes simples, des scènes qui se contentent d’être. Entre Horza et Yalson. Entre Kiérachell et Horza. Entre Fal ‘Ngeestra et la nature. Car, au final, il ne restera pas totalement rien de cette aventure. Il restera un conte fantastique perdue dans les décombres d’une planète morte. Il restera un Mental qui aime son nouveau nom - un nom humain. Il restera, derrière l’histoire et ses anonymes, toutes ces petites histoires aussi belles et volatiles que des flocons de neige tombant sur les ruines d’un champ de bataille.

Si Banks s’amuse avec son “Space Opera King Size”, il n’en est ni dupe, ni prisonnier.

Consider Phlebas est là avant tout pour nous montrer la futilité des aventures de Horza ; la futilité des motivations des différents protagonistes ; la futilité de leurs vie gâchées - et évidemment la futilité de la guerre. Et donc sa propre futilité.

Récit sur la fatalité de l’évolution humaine et du choc des civilisations, empreint de fragments de beauté perdus entre les ombres de la mort, Consider Phlebas est un grand Space Opera qui réfléchit sur sa propre condition ; sur la cruauté innée et involontaire des hommes, sur leur maladresse touchante ; sur la simple beauté de la suffisance du monde.

Consider Phlebas abandonne le lecteur, orphelin, avec dans la bouche un goût dual et atemporel : un goût de cendres et de poussière ; un goût de glace et de neige.

Avec Consider Phlebas, Iain M. Banks offre un superbe roman de science fiction adulte ; peut-être le premier space opera à regarder le monde avec une sagesse de vieillard et des yeux d’enfants.


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