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Univers zéro
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Univers zéro

Avec une vision du monde particulièrement inquiétante, Jacques Sternberg fut sans conteste l’un des plus remarquables auteurs francophones à avoir abordé le domaine de la science-fiction. Journaliste et illustrateur, amateur de femmes et de voiliers, il participa au non-mouvement de chaos artistico-lubrique Panique avec Arrabal, Topor, Jodorowski… Pour Arrabal, « Panique, c’est l’explosion de la raison ! » À la lecture des nouvelles de Jacques Sternberg, ou de romans tels que La sortie est au fond de l’espace, on comprend mieux cette définition... Univers Zéro est constitué d’un choix de textes que l’on retrouve dans d’autres recueils, Contes glacés et Entre deux mondes incertains. Souvent très courtes, à la manière de celles de Fredric Brown et en avance de près d’un demi-siècle du courant de micro-littérature actuellement en vogue, ces nouvelles fustigent vigoureusement les pires travers de l’humanité. De l’humour noir, cynique, pessimiste, misanthrope en Diable, le contact avec un ouvrage de Jacques Sternberg est souvent une expérience terrifiante, une descente au plus profond des ténèbres du cœur humain. Vous êtes prévenus !

L’homme est minuscule, la vie est absurde…

À l’échelle du cosmos, l’homme est effectivement insignifiant, mais de là à souhaiter sa disparition ! Il n’y a guère que Cioran qui s’y soit risqué avec talent. Tout le problème réside dans une question de point de vue : « La réalité rétrécit tout… Vivre les choses, c’est les banaliser. » Sternberg semble aspirer à une impossible grandeur, et ça le désespère. L’une des premières nouvelles d’Univers zéro, « Le Navigateur », fait intervenir un astronaute blasé, littéralement revenu de tout. L’homme est petit, faut-il le répéter, et comme ses réalisations sont vaines, la notion de travail salarié constitue une autre des cibles privilégiées de notre auteur, car elle regroupe à elle seule la majorité des défauts et turpitudes humaines. On devine entre les lignes que Jacques Sternberg n’a pas été un employé heureux, lui qui a multiplié les emplois alimentaires. Les rouages de la société sont visiblement grippés… Au fil des pages, le lecteur aura l’impression tenace de consulter un recueil des plus bas instincts : violence, meurtre, armée, non seulement l’homme est ridicule mais en plus il est dangereux ! Il suffit pour s’en convaincre de lire « Guerre et paix » ou encore « Les Conquérants », l’un des sommets de la science-fiction misanthropique.

Une approche géométrique des passions.

Observons la vie avec Jacques Sternberg : on peut même tenter de la décrire mathématiquement, et puisqu'elle occupe l’espace, elle possède donc un aspect géométrique. Incertaine, impossible, elle devient passionnelle dans la dernière partie du recueil et l’on se prend à espérer qu’un peu d’amour arrondira les angles. Mais c’est compter sans la rigueur scientifique intrinsèque et nécessaire à l’étude de l’homme. La géométrie, c’est donc occuper l’espace, mais l’infini se contente ici d’être répétitif et l’immortalité n’est qu’une inutile redondance existentielle. L’amour peut-il transcender tout cela et nous faire pénétrer dans une de ces dimensions supérieures au sein desquelles tout ne serait que « luxe, calme et volupté» ? Les trois dernières nouvelles vont démolir impitoyablement nos dernières illusions… À quoi rime ce cynisme en apparence gratuit ? La sortie se trouve-t-elle vraiment au fond de l’espace ? Peut-être ne s’agit-il que d’une réaction contre la mélancolie engendrée par la quête impossible d’une rencontre authentique, comme celle d’une femme croisée presque par hasard dans « Le reste est silencieux ». Une femme bien trop authentique, finalement… Il ne reste plus qu’à prendre le parti d’en rire… jaune ! 

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