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Vampyria, livre 1 : La Cour des Ténèbres - Les secrets d'écriture de Victor Dixen
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Vampyria, livre 1 : La Cour des Ténèbres - Les secrets d'écriture de Victor Dixen

"Fondamentalement, cette histoire est une manière pour moi d’aborder une figure qui me fascine depuis toujours : le vampire. Le vampire, en effet, c’est la créature littéraire suprême, vraiment immortelle, car elle renaît toujours de ses cendres, de siècle en siècle, de livre en livre."

A l'occasion de la sortie du premier volet de Vampyria, La Cour des Ténèbres, Victor Dixen revient sur l'écriture de cette nouvelle série aux éditions Robert Laffont.

Actusf : Le tome 1 de Vampyria, La Cour des Ténèbres, doit paraître le 15 octobre aux éditions Robert Laffont. Comment est née cette série ?

Victor Dixen : Après la fantasy dans Animale, après la science-fiction dans Phobos, Cogito et Extincta, j’avais une furieuse envie d’aborder à ma manière un genre que j’adore : l’horreur, et plus précisément l’horreur gothique.

Ce désir est venu en rencontrer deux autres. D’une part, celui d’écrire sur Versailles et le Grand Siècle, une page de l’histoire qui m’intéresse beaucoup ; et d’autre part, celui de livrer mon interprétation du mythe vampirique, qui m’a fait rêver et frissonner à travers tant de lectures depuis mon adolescence.

Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’intrigue ?

Victor Dixen : Pour ce qui est de La Cour des Ténèbres, premier tome donnant le coup d’envoi à la saga Vampyria, je laisse parler le synopsis que voici.

En l'an de grâce 1715, le Roy-Soleil s'est transmuté en vampyre pour devenir le Roy des Ténèbres. Depuis, il règne en despote absolu sur la Vampyria : une vaste coalition à jamais figée dans un âge sombre, rassemblant la France et ses royaumes vassaux. Un joug de fer est imposé au peuple, maintenu dans la terreur et littéralement saigné pour nourrir l'aristocratie vampyrique.

Trois siècles plus tard, Jeanne est arrachée à sa famille de roturiers et catapultée à l'école formant les jeunes nobles avant leur entrée à la Cour. Entre les intrigues des morts-vivants du palais, les trahisons des autres élèves et les abominations grouillant sous les ors de Versailles, combien de temps Jeanne survivra-t-elle ?

Actusf : La série est présentée comme « épique et horrifique », mais également des « jeux de masques paranoïaques et frissons d’épouvante ». Cela semble beaucoup plus sombre que les séries Phobos et Animale. Vous vouliez tester d’autres choses ?

Victor Dixen : Il y a souvent une partie « sombre » dans mes romans, cela m’intéresse d’explorer les ombres, à la fois comme lecteur et comme auteur. Je pense à la face cachée des contes dans Animale, puisant dans les méandres dangereux de la mythologie nordique, et au complot machiavélique ourdi à l’ombre des écrans dans Phobos.

Dans la série Vampyria, la matière obscure constitue la trame même de mon monde et de mon histoire, je vais donc sans doute un cran plus loin. Pour l’écriture de ce roman, je me suis inspiré de l’esthétique baroque du Grand Siècle : je pense aux toiles ténébristes, aux vanités et aux memento mori.

Fondamentalement, cette histoire est une manière pour moi d’aborder une figure qui me fascine depuis toujours : le vampire. Le vampire, en effet, c’est la créature littéraire suprême, vraiment immortelle, car elle renaît toujours de ses cendres, de siècle en siècle, de livre en livre.
Adolescent, je me suis immergé dans le Dracula de Bram Stoker, mais aussi la Carmilla de Sheridan Le Fanu et les Chroniques des vampires d’Anne Rice.

Aujourd’hui je ressens le besoin d’une nouvelle incarnation du vampire – alchimique, englué dans toute l’épaisseur du passé. Un « vampyre » terrifiant et fascinant à la fois, qui questionne notre rapport au temps. Au-delà des frissons d’horreur pure, dans Vampyria j’aborde une question qui m’interpelle profondément : le sens de l’histoire et du progrès.

Alexandre et Jeanne

Actusf : Dans ce 1er tome, les lecteurs sont propulsés à la cour du Roy-Soleil en 1715 (date de sa mort historique). Pourquoi choisir cette époque ? Ce moment charnière ?

Victor Dixen : Je m’intéresse depuis longtemps au Grand Siècle – qui, pour bien des historiens, se poursuit jusqu’à la mort de Louis XIV en 1715, date que je retiens moi aussi. C’est un moment absolument charnière de notre histoire, qui regorge de paradoxes. C’est l’époque de Descartes, de Pascal et de l’avènement de la raison, préfigurant le siècle des Lumières. Mais, paradoxalement, c’est aussi un âge de ténèbres, qui voit une incroyable résurgence des superstitions et de l’occultisme. On n’a jamais tant pratiqué la sorcellerie en France que sous Louis XIV (la sulfureuse Affaire des Poisons en témoigne), tandis qu’en Espagne l’Inquisition atteint sa sinistre apogée et qu’en Amérique on brûle de prétendues sorcières à Salem. C’est comme s’il y avait eu à cette époque un formidable retour du refoulé. C’est un sujet qui m’interpelle – surtout au prisme de notre époque, qui est elle aussi menacée par la montée de l’irrationnel, entre théories du complot et fake news.

Au-delà de ces manifestations mystiques, sur le plan culturel, politique et social, le Grand Siècle a façonné la France telle qu’elle est aujourd’hui : centralisation du pouvoir, développement de l’architecture et des arts, essor de la gastronomie et de l’art de vivre. Mais là encore, paradoxe : l’envers peu reluisant de l’héritage lumineux du règne de Louis XIV, c’est l’intolérance religieuse (révocation de l’édit de Nantes) et l’iniquité abjecte (promulgation du Code noir dans les colonies).

Enfin, le dernier paradoxe tient à la personnalité même de Louis XIV, un être humain qui a entièrement mis en scène sa propre vie, des siècles avant l’avènement des réseaux sociaux, mais dont la psychologie demeure mystérieuse. Tout montrer pour cacher… quoi ? C’est ce que j’ai essayé d’imaginer, livrant mon interprétation de ce personnage complexe, sur qui les sources sont nombreuses sans jamais réussir à le percer.

"Ainsi, par le biais de l’uchronie, j’ai voulu venir ébranler le Grand Siècle, ce monument des manuels d’histoire, rendre grâce à ses splendeurs et lui demander des comptes pour ses crimes."

Lucrèce et Tristan

Actusf : Quelles ont été vos sources d’inspiration ? (cinématographiques , littéraires) Avez-vous du faire beaucoup de recherches ?

Victor Dixen : Comme je le disais, le Grand Siècle est une période qui m’attire depuis longtemps, et sur laquelle j’ai beaucoup lu. J’ai aussi fait une partie de mes études à Versailles. Cela m’a permis de bien connaître le château et la ville qui, aujourd’hui encore, vit dans son ombre portée. Telle est la force d’attraction du mirage de pierre imaginé par le Roy-Soleil : trois siècles après, le seul mot de « Versailles » fait encore rêver, partout dans le monde !

Au niveau des recherches historiques, outre les visites sur place, je recommande le Dictionnaire du Grand Siècle (Fayard), une vraie bible sur l’époque. Une lecture plus légère mais très utile pour voir Versailles de l’intérieur, aux côtés de Louis XIV : Le Roi-Soleil se lève aussi (Philippe Beaussant, Gallimard). Pour la partie sombre du règne, je recommande la petite étude très bien faite 1679-1682 , L'Affaire des Poisons (Arlette Lebigre, éditions Complexe). Pour la face lumineuse, je recommande l’essai en anglais The Essence of Style: How the French Invented High Fashion, Fine Food, Chic Cafes, Style, Sophistication, and Glamour (Joan DeJean, Free Press), qui montre bien la fascination que Versailles continue d’exercer jusqu’à nos jours. Enfin, comment ne pas évoquer ce coup de foudre littéraire qu’a été pour moi L’Allée du Roi, autobiographie rêvée de madame de Maintenon : une ode au Grand Siècle et à sa langue ! (Françoise Chandernagor, Gallimard).

Pour ce qui est de mes inspirations artistiques, je me suis placé sous les auspices de trois géants que j’admire. Anne Rice pour l’ambiance gothique, intoxicante et l’épaisseur psychologique des personnages. Alexandre Dumas pour l’inspiration résolument française et le souffle d’aventure épique. Quentin Tarantino, enfin, pour le rythme effréné, l’irruption de motif « pop » dans le récit et la tension psychologique.

Enfin, d’un point de vue esthétique, j’avais très envie de peindre une fresque qui mêle le merveilleux et l’horrible – ou, comme disait Victor Hugo, le sublime et le grotesque. J’ai fait appel à de talentueux artistes pour matérialiser cette vision dans l’objet-livre lui-même, car c’est un aspect très important pour moi : les Espagnols Nekro et Loles Romero pour la couverture et les camées baroques de personnages, les Français Tarwane et Misty Beee pour la titraille et la somptueuse cartographie intérieure.

Actusf : Comment avez-vous construit votre univers ? Vous saviez dès les premiers paragraphes comment se déroulerait l’intrigue et quels seraient le destin de vos personnages ?

Victor Dixen : Comme pour toute uchronie, le point de départ a été la question « Et si ?... » : et si Louis XIV n’avait jamais quitté le trône ? Les manuels scolaires nous enseignent que Louis le Grand a connu le plus long règne de l’histoire de France ; j’ai imaginé un monde où ce règne se serait poursuivi jusqu’à nos jours. Et pas seulement le règne : aussi toute la hiérarchie sociale, la culture, la « science », le système de valeurs du Grand Siècle. Le fantastique a rendu cette hypothèse possible… et le vampirisme l’a rendue effroyable !

Dès lors, j’ai su qu’il fallait que je parte à la découverte de cet univers ténébreux aux cotés d’un personnage « outsider », qui en découvre avec moi les détails et les coulisses. C’est ainsi qu’est née Jeanne. J’ai voulu faire d’elle une héroïne romantique, à la fois fougueuse et torturée (d’après l’antique théorie médico-alchimique des humeurs, qui a toujours cours dans l’univers du roman, Jeanne est diagnostiquée « mi-sanguine, mi-mélancolique », témoignant à la fois d’un surplus de sang et d’un surplus de bile noire). Elle se sent à l’étroit dans son village, dans son temps, dans son monde où tout horizon est bouché. En la créant, j’ai pensé aux sources du romantisme, au « mal du siècle » qui hantait les jeunes gens de la génération de Musset, de Châteaubriand et d’Hugo. Mais Jeanne porte en elle le mal de plusieurs siècles : tous ceux qui sont restés figés depuis la transmutation du Roy des Ténèbres !

Ce qui m’amène au thème du Temps, qui imprègne toute la série. Et c’est d’ailleurs pourquoi j’ai décidé d’écrire une uchronie. On vit aujourd’hui dans un monde tiraillé entre un futur incertain et un retour des peurs issues du plus profond de la psyché humaine et du passé. Épidémie, menaces sur la démocratie, creusement des inégalités sociales… le monde paraît vraiment effrayant. Comment être jeune dans un monde menacé par le passé ? Comment faire advenir l’avenir ? J’ai convoqué la figure autoritaire absolue, celle du Roy-Soleil, et je l’ai rendue plus écrasante encore : immortelle.

"Le combat de mon héroïne contre le règne éternel des vampires, dans ce premier tome mais aussi dans toute la saga, c’est le combat de la jeunesse pour exister."


Victor Dixen - copyright Samantha Rayward

Actusf : Vampyria est une série classée en Young-adult. Est-ce une volonté d’écrire dans ce registre ? Pourquoi ?

Victor Dixen : La littérature jeunesse offre aujourd’hui une très grande liberté, et permet à l’imagination de se déployer dans toutes ses dimensions. Il y est plus facile qu’ailleurs de croiser les genres littéraires et les influences, avec une seule contrainte : raconter une histoire qui emporte le lecteur. En tant qu’écrivain, c’est un territoire qui me stimule énormément. À bien des égards, je considère que la littérature jeunesse contemporaine est l’héritière de la grande littérature d’aventure qui fait partie de notre culture française (Victor Hugo, Alexandre Dumas, Jules Verne et tant d’autres) – on y retrouve le souffle et l’ampleur des feuilletons de jadis.

Plus particulièrement, la littérature ado ou « jeune adulte » m’intéresse parce qu’elle met en scène des personnages qui, pour la première fois de leur vie, prennent des décisions existentielles sans la tutelle et la protection de leur famille. C’est un âge follement romanesque !

Et d’ailleurs, les lecteurs plus âgés ne s’y trompent pas : depuis des années, ils sont très nombreux à lire aussi du « Young Adult », comme on dit ! En particulier, je constate dans les festivals et sur les réseaux sociaux que la moitié de mes lecteurs sont des adultes.

Actusf : Quels sont vos projets en cours et à venir ?

Victor Dixen : Je me suis d’ores et déjà attelé à la suite de la saga Vampyria, qui occupe bien mes nuits d’écriture ! J’ai une immense envie d’explorer la Magna Vampyria, l’empire sur lequel règne le Roy des Ténèbres, jusque dans ses recoins les plus secrets… les plus dangereux.

L’autre grand projet qui m’occupe depuis plus d’un an, c’est l’adaptation en roman graphique de ma série de science-fiction spatiale Phobos. Pour cela, je travaille avec une superbe équipe et un dessinateur brésilien très talentueux, dont les planches m’impressionnent beaucoup. Le premier tome paraîtra mi-2021 chez Glénat !

Actusf : Où peut-on vous rencontrer dans les prochaines semaines ?

Victor Dixen : Je vis actuellement de l’autre côté de l’Atlantique, à Washington DC, et la situation sanitaire actuelle ne favorise malheureusement pas les voyages – surtout internationaux ! J’espère pouvoir venir en France en fin d’année. Dans l’immédiat, les réseaux sociaux offrent de belles opportunités de rencontres virtuelles.

Les différents événements à venir sont listés sur mon site :

Je signale notamment un « live » organisé par la libraire Decitre le 20 octobre :

Et un autre organisé par la Fnac Suisse le 6 novembre.

Enfin, je donne rendez-vous pour sûr aux lectrices et aux lecteurs au printemps 2021, pour le festival des Imaginales que j’adore entre tous et que je ne manquerais pour rien au monde !

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