A l'occasion de la sortie de Vertèbres, Morgane Caussarieu revient sur l'écriture de ce roman paru aux éditions Au Diable Vauvert en octobre dernier.
Actusf : Vertèbres, votre dernier roman, vient de paraître aux éditions Au Diable Vauvert. Comment celui-ci est-il né ?
Morgane Caussarieu : Les premiers romans que j'ai écrit, Dans les veines et Je suis ton ombre, sont des romans d'horreur pure. Entre temps, je m'étais écartée un peu du genre en écrivant du young adult plus fun (Rouge Toxic), ou de la littérature générale underground (Techno Freaks). Je pense qu'il était temps de revenir à l'horreur, c'est le genre qui me correspond le mieux et dans lequel je suis le plus à l'aise, et en plus il est en train de revenir au goût du jour, avec des séries comme The Haunting of Hill House, ou des films comme Titane (qui partage étrangement beaucoup de thème avec Vertèbres, comme quoi il est dans l'air du temps). J'ai beaucoup d'affection pour Je suis ton ombre, et je voulais refaire de l'horreur à hauteur de regard d'enfant, car je trouve le contraste entre monstruosité et naïveté diablement efficace.
Actusf : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’intrigue ?
Morgane Caussarieu : L'histoire se passe en 1997, dans une petite station balnéaire des Landes. Le petit Jonathan, un enfant obèse et souffreteux de 10 ans vient d'être kidnappé. La ravisseuse est étrange, car selon le signalement, il s'agit d'une femme à barbe. Une semaine plus tard, Jonathan réapparaît, mais il est totalement mutique, très maigre, et une vertèbre supplémentaire lui a poussé au bout de la colonne vertébrale. On va suivre les affres de la mère très possessive de Jonathan, Marylou, qui peine à supporter les changements déroutants qui s’opèrent sur son fils au fil des pages. Mais on suit aussi Sasha, la meilleure amie de Jonathan, une fillette qui veut devenir un garçon, qui elle s'émerveille devant la métamorphose de son copain. Deux points de vue sur une même histoire.
Actusf : Avec ce roman, vous faites quelques infidélités à la figure du vampire, autre créature nocturne. Pourquoi ? Vous en avez fait le tour ?
Morgane Caussarieu : Non, je n'ai pas encore fait le tour du vampire. Cette créature me fascine toujours autant, et elle est bien trop pratique et malléable pour parler de son époque. A l'origine, Vertèbres était une histoire de vampire. Je voulais écrire un vampire enfant déroutant, effrayant, dégoûtant, en faire un vrai monstre, une figure alien. Mais au fur et à mesure que je confectionnais le synopsis, je me suis rendu compte qu'une autre créature du bestiaire fantastique satisferait davantage mes besoins pour cette histoire-là.
Actusf : Avec Vertèbres, vous abordez donc une autre créature, le loup-garou...
Morgane Caussarieu : Oui, mais j'ai tenté au maximum de me l'approprier, et de l'amener petit à petit. Pour moi il est crucial qu'on croit à la créature, ce n'est pas parce qu'elle a mille fois était revisitée et acceptée dans la culture populaire, qu'on doit se dispenser de la rendre crédible et de la révéler étape par étape. C'est pour moi la base du fantastique : un élément surnaturel qui vient perturber un réel tellement établi qu'on l'accepte presque comme réel lui-même.
Mais dans Vertèbres, le loup-garou n'est qu'un prétexte. C'est davantage une histoire de « body-horror » que de loup-garou. La métamorphose est plus cruciale que le loup final. C'est d'ailleurs plus proche de La mouche de Cronenberg, que d'autre chose je pense. La métamorphose est aussi un bon moyen de faire le parallèle avec la transidentité de Sasha.
Actusf : Un roman plein de nostalgie avec des références aux tamagochis, aux Chair de poule… Sasha, c’est un peu vous ?
Morgane Caussarieu : Oui, Sasha est très proche de moi à son âge. J'étais garçon manqué, j'aimais mon chien à la folie, comme elle, et j'avais aussi 10 ans en 1997 ; elle apprécie les choses que j'appréciais et elle est bercée de cette pop culture colorée propre aux années 90, faite de dessins animés chouettes et de slogans de pubs. Plus de 20 ans se sont écoulés, c'est le bon moment pour un fix de nostalgie, non ? Moi en tout cas j'ai adoré me replonger dans cette époque, et j'ai fini le premier jet de Vertèbres en deux mois, portée par cette jolie époque. Je suis quelqu'un de très nostalgique, de toute façon, je pense que les années 80 et 90 sont toujours un peu présentes d'une manière ou d'une autre dans mes romans.
Certains éléments de la culture 90 ont une vraie importance dans le récit, ils ne participent pas juste à l'ambiance comme les tamagotchis et DBZ, qui filent la métaphore sur la transidentité et la métamorphose, ou le minitel, un élément d'intrigue qui permet à Jonathan de communiquer et qui permet à sa mère de le nourrir, ainsi que les Chair de poule qui servent de modèle structurel au roman.
Actusf : Comment avez-vous construit votre récit ? Vos personnages ont-ils suivi le chemin que vous aviez prévu ? Je pense bien entendu à Jonathan, Sasha et Brahim, mais également à Marylou.
Morgane Caussarieu : Pour la plupart, oui, car je ne m'embarque pas dans un roman sans un synopsis précis établi à l'avance. Ça me permet d'avoir une histoire plus solide. Mais j'avoue que le personnage de Marylou a beaucoup évolué au fil des versions et des corrections. Au départ elle était juste une mère trop possessive. Ses différentes spécificités se sont imposées à moi plus tard, et ont été rajoutées au fil de mes relectures et de celles de mes bêta-lecteurs et éditeur, pour faire le personnage paradoxal et torturé qu'elle est aujourd'hui.
Actusf : Avec Vertèbres, aviez-vous envie d’aborder des sujets en particulier ? Lesquels ? L’horreur animale vs l’horreur humaine ? Ou est-ce juste un récit pour le plaisir.
Morgane Caussarieu : Quelque part, tous mes romans, même les plus dérangeants, sont pour le plaisir, car il me plaît de les écrire. Mais sur Vertèbres, il me tenait à cœur d'évoquer ce thème fort qu'est la transidentité et qui m'a plus ou moins touché à un moment de ma vie. Je voulais aussi parler de ma peur de la maternité, de ma peur de faire tout mal, si jamais je deviens mère un jour. Marylou est tout ce qu'une mère ne devrait pas être, elle cristallise le pire du pire, c'est un vrai cauchemar, cette femme.
Et je développe encore une fois dans Vertèbres cette idée lancée avec Dans les veines et développée au fil de beaucoup de mes romans, que les plus monstrueux ne sont pas toujours ceux que l'on croit. Que l'être humain est un monstre pire que le monstre.
Actusf : Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Morgane Caussarieu : La bande son de Vertèbres ce sont des slogans de pub, la chanson « Mélissa, non ne pleure pas » des Minikeums, et les tubes de Roch Voisine et Lara Fabian qu'écoute Marylou. Je ne sais pas si c'est une inspiration, ce n'est évidemment pas ce que j'écoute en boucle, mais ça donne le ton kitsch et décalé. Je ne pense pas avoir eu de vrai inspiration musicale pour ce roman.
Par contre, c'est sûr qu'en écrivant je pensais au plus grand roman de Stephen King, Ça, auquel je fais ouvertement un clin d’œil, et aussi à des films comme ET, ou des séries comme Strangers Things. Les Chair de Poule étaient bien sûr aussi là avec moi, il me tenait à cœur d'écrire un Chair de poule pour adulte, car c'est ce que j'ai envie de lire, moi, vingt ans après la série de livre à succès de R. L Stine.
Pour le côté « body-horror », Cronenberg n'était pas loin, je suis fan. Mes films de loup-garous préférés sont Ginger Snaps, Wolf, et Le loup-garou de Londres, et je les ai revu avant de me lancer dans l'écriture, car je ne suis pas spécialement une spécialiste de la créature. Le post-modernisme et l'ultra référence ont toujours fait partie intégrante de mon œuvre. Je me suis toujours considérée comme une pure enfant de ma génération, et j'aime bien faire du neuf en m'appuyant sur du classique.
Actusf : Et maintenant ? Sur quoi travaillez-vous ?
Morgane Caussarieu : Je reviens aux Vampires. Ce sera un roman futuriste décalé dans lequel les vampires ont envahi le monde et font de la télé-réalité. Une seule femme pourra s'opposer à eux : Barbie, la tentatrice blondasse, la bimbo au sang empoisonné. Ça va s'appeler Barbie contre les vampires, et ce sera une fausse suite à Dans les veines, Je suis ton ombre, et Rouge Toxic. Comme toujours, ça se lit totalement indépendamment.
Ce sera un roman pour adulte, entre humour noir, SF et horreur.
(Et pourquoi ne pas se laisser tenter par un extrait ?)