Vivant à Annecy, fonctionnaire au Ministère de la Justice, et trentenaire de justesse Jean-Paul Renoux cache mal un regard espiègle derrière la - toute relative - austérité qu'impose sa fonction. Sur son site perso il confesse quelques romans de tiroirs, la quatrième de couverture du présent nous informe, quant à elle, qu'il a été finaliste du concours de jeunes écrivains du Monde (ce qui doit suffire, manifestement, à vous remplir un C.V.), et il signe avec Zanimarre son entrée dans le grand bain de l'édition.
Une entrée qui s'est faite en juin 2005, donc qui date un peu, mais nous avons une excuse. Jean-Paul Renoux est convaincu d'avoir écrit un polar. Nous, c'est ActuSF, pas ActuPOLAR, et les frontières des genres sont plus perméables qu'on ne le croit. Le temps que s'abaissent quelques barrières douanières et Zanimarre est arrivé chez nous. Et l'étude préliminaire du cas nous apprend qu'il aurait certainement dû faire le chemin plus tôt. Car nous, avec nos petites bésicles de essefeux, de polar nous ne voyons que pouic, en revanche, bien vite, l'affaire prend des allures de politique-fiction.
Le jour, Jean-François Zéphane est un kiné qui manque d'enthousiasme. La nuit, il est un guitariste de jazz qui manque de conviction. Lorsqu'il arrive ce matin de décembre à son cabinet, l'étui de sa guitare sous le bras, c'est pour découvrir que Micheline, sa secrétaire médicale a décidé de quitter le navire tant que son tirant d'eau déclinant lui permettait encore de mettre à l'eau un canot de sauvetage. Car les affaires de Jean-François Zéphane vont mal. Et pour reprendre un sinistre euphémisme médical "on peut craindre le pire".
Sensiblement au même instant, on découvre dans sa résidence, le corps sans vie de Sylvio Perdirot, trente et unième représentant des consommateurs auprès de l'Organisation Mondiale de la Consommation. Visiblement, l'homme s'est suicidé. D'une balle dans la tête.
Un peu plus tard ce même matin, Arthur Legrand, saxophoniste, de jazz lui-aussi et incidemment membre du même quatuor poussif que notre héros, trouve la mort dans un centre commercial, victime de l'un de ces attentats aveugles qui depuis quinze mois, endeuillent les pays solvables et font peser sur le marché une sourde menace.
Cette menace, Taylor Sprice, n'aura plus à s'en soucier. Balayeur loser au zoo de Londres, il vient tout juste de se faire pousser dans la fosse aux lions par le gorille du parc, une sale bestiole vindicative qui n'en est pas à son coup d'essai. Et pour la première fois, Taylor Sprice se dit que, finalement, les lions ne sont peut-être pas uniquement de grosses feignasses placides qui laissent leurs femmes alors au turbin pendant qu'ils se les roulent peinards à l'ombre.
Alors qu'il songe lui-aussi à la mort – pour faire un peu comme tout le monde sans doute – Jean-François Zéphane est enlevé par deux barbouzes qui vont l'emmener à Azéarc, siège de l'OMC, où le sort l'a désigné pour reprendre le siège désormais vacant du trente et unième représentant. Une nouvelle vie s'ouvre à lui.
Une couverture moche qui laisse à peine deviner le nom de l'auteur, un titre pourri (si, si, 'faut le dire !), et voilà comment on passe à côté d'une délicieuse gourmandise qui mixe habilement polar et politique-fiction. Habilement, parce que tout d'abord, Jean-Paul Renoux écrit très bien. C'est tendu, rythmé, bien troussé et c'est surtout bourré d'humour. Sur son site, lui dit : "Burlesque". Soit, mais alors tendance radicale. A la lecture de Zanimarre, on pense irrésistiblement à James Morrow. Même veine sarcastique – un brin plus cynique chez Renoux peut-être -, même causticité brillante et jubilatoire. Ensuite, lorsqu'il met cette écriture au service d'un univers aussi personnel, on se prend au jeu avec plaisir. Son Organisation Mondiale de la Consommation, avec son credo pour la Satiété et son évangile simpliste qui se réduit à deux commandements sacrés : Tu consommeras ! et Tu ne voleras pas !, résume assez bien le propos. Nous sommes dans la caricature surréaliste de nos travers consuméristes. Mais l'immense intelligence de Jean-Paul Renoux, c'est de ne pas nous faire la leçon. Il se sert de son petit monde pour y faire évoluer son intrigue, ce polar tranquille qu'on suit avec bonheur au gré de la découverte que Zéphane fait de cette nouvelle vie.
Alors bien-sûr, puisque c'est un premier roman, trouvons-lui des défauts ! Bon d'accord, l'intrigue flotte bien de-ci, de-là. On dira alors que sa justification du comportement des animaux n'est peut-être pas amenée avec l'implacabilité requise. Quoi d'autre ? On s'étonnera bien un peu de rouerie dont le représentant débutant saura bien-vite faire preuve. OK, la vingt-sixième représentante, il se l'emballe un peu trop facilement. Mais quoi ? Au final tout c'est reste assez mineur en regard du plaisir de la lecture. Zanimarre vaut le détour parce que Zanimarre va vous faire du bien. Allez citoyens solvables ! Consommez Zanimarre.
Jean-Paul Renoux annonce une suite. Tant mieux, on l'attend ! Et en temps et en heure cette fois.