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Les chants de la Terre lointaine

Arthur Charles Clarke ( Auteur), Manchu (Illustrateur de couverture), France-Marie Watkins (Traducteur)
Langue d'origine : Anglais US
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/12/2009  -  livre
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Zen City

Zen City est le second roman de Grégoire Hervier. Dans son premier roman Jeunesse Scream Test, qui a obtenu le Prix Polar « Derrière les Murs » et le prix Méditerranée des Lycéens, il fustigeait le sadisme et la bêtise des émissions de téléréalité. Dans Zen City, l’auteur voit plus grand. Il s’attaque à la société de consommation et au potentiel destructeur de l'hypermarketing et du High Tech sécuritaire. S’appuyant sur les documentaires de Bruno Fay (Total contrôle, Résistants.com, Big Brother City), sur l’essai de Michel Alberganti « Sous l’œil des puces, la RFID et la démocratie » et sur de multiples sources anglo-saxonnes, l’auteur nous conduit à une visite 3D dans les affres synthétiques et dépersonnalisées de la société du contrôle. Big Brother version mercantile. Big Brother veut votre bien. Et Big Brother vous dit ce qu'est votre bien. 

Pour dénoncer les dérives sécuritaire et identitaire de la société moderne,  il choisit là encore la forme policière (assassinat sadique), le thriller (individu traqué, terrorisme, cambriolage) et le mode humoristique. Il tourne en dérision les stéréotypes de la séduction, le fonctionnement de l’entreprise, le recrutement, le downsizing, le coaching, le développement personnel. De nombreux clins d'oeil aux futurs jeunes cadres et au monde fourbe qui les attend.  

Le récit prend forme dans un futur très proche où les modes de communication actuels progressent juste d’un cran. Cette faible distance technologique fait de Zen City et de ses répliques mondiales une ville tout à fait plausible et c’est ce qui fait le sel de l'anticipation à la Hervier. L'avenir qu'il nous décrit est inquiétant parce qu'il est pertinent. Nous ne sommes pas plongés vingt ans après dans une nouvelle société orwellienne (1984 + 20), mais bien dans un futur immédiat boosté aux NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Un monde d’autant plus angoissant qu’il apparaît comme le prolongement paradisiaque naturel de notre société de consommation.

Saine Cité

Le récit est présenté sous la forme a posteriori d’une publication du blog et du journal de Dominique Dubois, grain de sable désigné du projet Zen City.  Après avoir perdu son travail de statisticien-économètre, Dominique Dubois postule pour un emploi dans la ville de Zen City, cité expérimentale en pointe dans le domaine des technologies de l’information, située dans les Pyrénées. Il déménage et découvre avec délectation son nouveau mode de vie, rendu simple et douillet, grâce aux appareils domotiques interactifs, aux réseaux sociaux mobiles, aux puces implantées dans le corps, au tout marketing, au Zen marché.

Mais le rêve va peu à peu se gâter. De « commun »,  de « suiveur », Dominique Dubois va se métamorphoser en rebelle. Il va prendre conscience du caractère oppressif d’une société qui s’empare des cerveaux et des corps pour mieux servir ceux qu’elle asservit. A l’occasion de quelques maladresses, tout son univers va basculer. Zen City aussi. Ou presque.

No Zen future

La forme narrative choisie par Grégoire Hervier (blog avec commentaires + journal intime) a l’avantage d’être cohérente avec le sujet (une société jeune, des modes de communication avancés) et vivante (tout est vécu quasiment dans l’instant avec peu de recul sur l’événement). Même si l’auteur ne multiplie pas les points de vue sur  une même action, il orchestre d’intéressantes juxtapositions de styles (compte-rendu anthropologique sur la vie du héros, mise en scène de sa vie par Dominique Dubois, écriture SMS des commentaires, ton plus intime du journal). Toute l’attention est centrée sur le personnage principal, plutôt zélé et effacé, un « jeune homme tout le monde » attiré par la nouveauté, mais conformiste et introverti. C’est à travers lui que nous découvrons Zen City.

D’une plume alerte et sur le ton détaché d’une expérience , Grégoire Hervier nous livre une version très désenchantée d’un univers aseptisé et toxique. Le parcours initiatique du héros (candidature, embauche, installation, relations professionnelles, amour,…) est vécu comme une promotion sociale, mais le lecteur perçoit cette ascension comme une déchéance. Dominique Dubois se dépersonnalise, il devient le consommateur modèle secrété par la société modèle. Les rapports humains paraissent factices (y compris dans la relation amoureuse : la fille à la photocopieuse, Isabel qui part avec le premier venu, Natouchka livrée comme une marchandise). But ultime d’une société d’hyperservices, les humains ne font que remplir des rôles. Tout est pensé pour eux. Tandis que la machine (puce RFID) envahit le corps, leur monde intérieur se vide.

On apprécie particulièrement les moments où l’auteur tourne en ridicule les outils de catégorisation (recrutement, coaching, profil psychologique) qui nient la singularité de chaque personne. Ces outils censés promouvoir le développement personnel sont autant d’instruments de torture psychologique au service d’une société totalisante. Ils enferment l’individu dans des désirs factices liberticides. On sourit également aux clins d'oeil sur la société actuelle : "les néologismes involontaires à la Royale", "Legrand-Moreno" de PerfectChip). On sourit moins à l'évocation de la Chine et du potentiel écrasant des technologies de traçage. On sourit moins à la lecture de l'annexe et du tableau historique de l'hybridation du cerveau et de l'électromagnétisme. Une façon pour l'auteur de nous dire que la réalité qu'il décrit pourrait être pire...

Grégoire Hervier sait ménager le suspens et varier les genres.  Il passe d'un récit initiatique quasi-linéaire à une atmosphère de polar tendance gore serial killer, d'une romance multiculturelle moderne à un roman d'espionnage. Dès que l'on s'installe dans un genre, l'auteur nous fait basculer dans un autre univers. Jusqu'à l'aboutissement, une pirouette intelligente où tout le monde sort son épingle du jeu.

Si les évocations sanglantes et policières, les circonvolutions professionnelles et amoureuses du héros seront plus appréciées d’un public de 15-16 ans (et au-delà), le livre de Grégoire Hervier peut être lu par des adolescents plus jeunes. C’est un livre salutaire, citoyen qui donne à réfléchir. Un livre d’anticipation préventive qui interroge, par le biais du futur, nos modes de vie et de pensée actuels.

Ceux qui veulent se faire peur en touchant du doigt le futur imaginé par Grégoire Hervier peuvent utilement rendre une visite au site www.zencity.fr

 

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