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Zone cinglée

Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 30/04/2009  -  jeunesse
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Zone cinglée

"Zone cinglée" est le premier roman de Kaoutar Harchi. Un roman mi-jeunesse, mi-adultes d'une étonnante maîtrise stylistique et d'une tonalité originale. Une thématique égarée entre banlieue, mythologie, tragédie et fantastique. Entre l'Etranger, les héros de Mishima et la nuit des morts-vivants. Un cocktail plutôt inédit que la collection Xprim' ose et propose à son public de 15-20 ans.

D'origine marocaine, Kaoutar Harchi est passionnée de littérature algérienne et prépare actuellement une thèse sur Kateb Yacine, qu'elle cite en ouverture du roman. La zone cinglée, ce n'est pas l'Algérie postcoloniale en quête d'identité, mais le ghetto d'une Cité en perdition, où l'identité d'un adolescent se construit autant dans la fidélité au passé, aussi noir soit-il, que dans la quête d'inconnu (l'homosexualité, le Centre, la perte des proches).

C'est quand tout ce qui le rattache à son passé s'écroule dans un maelström maternel de béton et de feu que le jeune Taârouk trouvera la paix et pourra se construire un avenir apaisé. La destruction symbolique de la Cité est la condition d'une résurrection identitaire.

Loin des Mères, la lumière

Dans la cité de Taârouk, il y a au nord les pauvres, les survivants du quotidien et les Mères au sud, les folles enfermées dans un blockhaus qui se battent pour que les morts ne hantent pas les vivants. Celles qui luttent contre la mort prématurée des fils et le départ des filles vers la Ville-Centre.

Hanté par la mort tragique de sa mère, les souvenirs de la violence de son père alcoolique, Taârouk, lui, essaie de survivre. Tandis que son frère, Feyi, se shoote aux anabolisants, comme pour rendre, par sa masse musculaire, un dernier hommage à sa mère, Taârouk, 26 ans, se laisse enfin aller à ses pulsions homosexuelles libératrices.

Mais que faire face à la déchéance des frères et à la colère des Mères ?

L'arrachement

"Zone cinglée" n'est ni un roman de banlieue (au sens où l'on parle de "littérature de banlieue"), ni un roman sur la banlieue, mais plutôt un roman initiatique sur la conquête de son identité, écrasée par le lien familial et la Ville. La Cité de Kaoutar Harchi est une zone indistincte, un topos métaphorique, c'est un lieu d'enfance gâchée par la violence et l'errance du père, la soumission de la mère,  la chute des frères dans le trou noir périphérique et le départ des filles, attirées par la lumière du Centre.

La tonalité est sombre, l'air irrespirable. Il y a quelque chose de cinglé au royaume de la Cité. Même sortis de l'adolescence, les fils sont englués dans leur passé. Dans les cris des parents, les pleurs, dans la misère et le deuil des copains qui sombrent. Dans l'appel des Mères qui veulent reconstruire une Cité en enfantant des Monstres. En rasant tout. Seule issue : la fuite ou la mort. Les deux frères trouveront la sortie. Mais pas la même.

Si la question soulevée dans le roman est bien la quête d'une identité par arrachement à sa culture et son passé, le propos reste abstrait. Les pistes thématiques ne sont pas à prendre au premier degré (la déchéance individuelle, la femme battue, l'homosexualité, la fuite dans le corps). Les Mères déambulent tel un choeur grec (le roman est découpé comme une tragédie en cinq actes). Les garçons et les hommes tombent comme des mouches. Le fantastique, la dimension onirique, l'exagération tragique ne sont que des fonds de couleur au service du trait, car l'écriture de Kaoutar Harchi est une parole, un rythme plus qu'un instrument de narration. On peut dire que son désir d'écrire, canalisé par son éditeur, et ses fulgurances antiques (ou visionnaires) l'emportent sur le récit. Rien n'est très clair sur l'intention des Mères, sur le parcours du jeune éphèbe, sur l'au-delà de la zone. Au total, la démonstration est forte sur le ton, mais moins convaincante sur le fond.  L'écriture nerveuse et brillante est allusive, mais plus qu'une histoire, c'est un long poème, un récit à la prosodie électrique qu'il nous est donné de lire.

 Car l'on ressort de la lecture du roman enchanté, bercé par une superbe écriture, et si la violence, le malaise des personnages dérangent, le futur n'est pas aussi sombre qu'il paraît. C'est comme si les personnages déversaient leur bile en une longue litanie de phrases et d'actes syncopés. Comme si la ville était leur destin, même piégé. Comme si ceux qui avaient la chance de survivre à la folie de la zone, pouvaient espérer apaisement et bonheur.

C'est tout ce qu'on souhaite à Kaoutar Harchi pour ce premier roman réussi. Et gageons qu'il y en aura d'autres tout aussi envoûtants et encore mieux construits.


 

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