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Zoo 3

Frank (Dessinateur), Philippe Bonifay (Scénariste)
Cycle/Série : 
Langue d'origine : Français
Aux éditions : Collection :
Date de parution : 31/10/2007  -  bd
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Zoo 3

Série très originale, chronique d’une arche de Noé imaginaire, Zoo figure ce que le récit graphique peut proposer aujourd’hui de plus personnel et de plus visuel sur la confrontation de l'amour et de la mort. Est-ce cette difficulté à communiquer sur l’incommunicable qui a valu treize ans au dessinateur Frank (Pé) pour commencer et clore les trois albums de la série ? Le premier album de la série Zoo est paru en 1994. Le troisième fin 2007. Au début du XXème siècle, Anna, défigurée, perdait son compagnon Mikaël en Sibérie, puis reprenait goût à la vie après avoir été accueillie par un trio insolite, Célestin, Manon et Buggy, entretenant un zoo privé en Normandie. Dans le second album (1999), la situation financière du zoo se dégradait et le premier conflit mondial contraignait Célestin, médecin de campagne et propriétaire du zoo, à partir à la guerre. La survie du zoo était en jeu. Dans ce troisième album, Anna quitte le zoo en perdition et part à la recherche de Célestin.

Philippe Bonifay, également scénariste des séries Pirates, Jane, Mon voisin le Père Noël et La Compagnie des Glaces, joue sur des registres variés. Dans Zoo, il développe un univers sombre, introspectif mais élégant, où le talent graphique de Frank prime sur les dialogues et sur la narration. Un univers à quatre cages où chacun des personnages est enfermé dans sa propre nostalgie et ses propres rêves. La réalité de la guerre brisera les cages, mais ne parviendra pas à en réunir les occupants. Fin du zoo humain.

Survivre à la destruction

Le zoo, Manon, Buggy et Anna sont perdus sans Célestin, parti sauver des soldats. Quand le maire et le curé du village annoncent sa disparition, c’est la consternation. Convaincue qu’il est toujours vivant et qu’il souffre, Anna, en femme courage, décide de le chercher et de le ramener, coûte que coûte.

En traversant les lignes françaises et allemandes, Anna découvre l’horreur de la guerre et finit, dans cette atmosphère d’outre-tombe, par trouver celui qu’elle cherchait. Son retour sera terrible.

L’enfer, c’est ailleurs

Résolument graphique, Zoo est un roman psychologique où les états d’âme des personnages sont sans cesse projetés dans les décors : une cage, un zoo en décomposition, un champ de bataille mortuaire, un désordre mortifère. Il ne reste plus aux héros qu’à rentrer en eux-mêmes (visages fermés, yeux clos, têtes baissées, corps arc-boutés) et à nier le monde délétère en le piétinant (traversée du zoo, des zones de combat). Ambiance flash-back. Ambiance sépia. L’enfer est ailleurs. Elle eut été si belle, au zoo, la vie en autarcie. Mais puisqu’il faut survivre au monde, ce grand prédateur, il faut apprendre à souffrir et à s’en protéger. Apprendre à le nier, même si la mort est au bout du déni.

Manon perd son passé et son père. Les rêves de Buggy s’effondrent. Le zoo est broyé. Anna affronte la mort et offre ce sacrifice manqué à ses amis comme une clé vers un monde moins tourmenté : l’avenir. Le récit s’écoule comme une métaphore de la disparition et du travail de deuil : la crainte du pire, l’absence intolérable, la torture du temps et le sacrifice cathartique de son passé. Les corps, les paroles et les mouvements ne sont que des chants d’accompagnement.

Manon est notre part d’enfance, Buggy notre irrépressible émotion, Anna notre part de maturité mal maîtrisée, d’illusions rentrées, de cicatrices et de rapport sans compromis avec la réalité. Le zoo, lui, est notre univers fantasmé, notre passé idéalisé à l’état de ruine après la mort d’un proche. Zoo est le récit polyphonique de notre rapport intérieur au deuil et à l’entrée dans l’âge adulte. L’histoire en elle-même est intemporelle, mais le choix du premier conflit mondial nous rappelle que c’est de ce désastre qu’est née la grande dépression morale de notre civilisation. Qui conduisit à la seconde apocalypse que nous n’avons jamais cessé d'exorciser. Anna ou notre destin.

Narration off. Narration épistolaire. Les dialogues sont rares. La moitié des pages est sans texte. Les instantanés graphiques et les déroulés d’actions continues prédominants. Les dessins, pour réalistes qu’ils soient, conservent une élégance, une rondeur et une fluidité cartoon. Sans être d’une grande originalité, ils sont d’une grande beauté plastique et sont très agréables à regarder. Ils sont remarquables par leur stabilité (pas de rupture de cohérence) et leur justesse (pas d’extravagance, tout mouvement paraît naturel et traduit l’effet attendu). Certains décors sont d’une précision photographique, mais toujours avec une dimension onirique qui leur vaut d’installer une atmosphère prenante.

Il y a du Franquin et du René Hausman dans l’élégance, la douce mélancolie du trait, mais aussi dans la palette chromatique et le rendu animalier de Frank. On imagine mieux le temps passé à la production d’un album.

Un troisième album triste, émouvant, nostalgique qui prend aux tripes et qui vient couronner une série remarquable. Qu’on aurait souhaitée plus longue et moins sombre. Vue de notre zoo.

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