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Cent ans de solitude

Aux éditions : 
Livre
ISBN : 2020015374
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Aldwin   - le 31/10/2017

Cent ans de solitude

En mars 1928, la Colombie n’a pas vu venir au monde son plus grand magicien. Pas évident non plus de l’attendre à Aracataca, un petit village du nord de la Colombie, le Macondo dont parle toute son oeuvre. Gabriel Garcia Marquez donc. Journaliste, activiste politique et auteur discret dans un premier temps, il connaît le succès et la célébrité en 1967 avec la publication de Cent ans de solitude. Œuvre foisonnante et jubilatoire qui donne tout son sens au terme « Réalisme merveilleux » qui défini une narration réaliste où s’enchevêtre de façon naturelle des faits surnaturelles. Une magie quotidienne en quelque sorte.

Naissance,  vie et mort d’une dynastie

Tout commença avec la mariage de Jose Arcadio Buendia et Ursula, issus de deux lignées séculaires trop longtemps entrecroisées. Ce sang emmêlé dissuada Ursula de laisser son mari s’approcher trop près et trop nu, par peur de mettre au monde des iguanes. Le bruit couru dans le village qu’Ursula fut toujours vierge, parce que son mari était impuissant. Aussi la situation demeura- t-elle inchangée jusqu'à ce dimanche, où après un combat de coq remporté par Jose Arcadio, tombe la sentence : « Félicitations ! Voyons si ce coq va enfin combler ta femme ». Dans la même journée Jose Arcadio lave l’affront dans le sang, et ordonne à sa femme, cordialement, mais en tenant fermement sa lance (en fer celle-là), d’ôter sa ceinture de chasteté. « Peu m’importe d’avoir des petits cochons pourvu qu’ils parlent ».
Hantés par le fantôme de Prudencio Aguilar, le malchanceux à la langue trop pendue, ils partent vers la mer, et après vingt-six mois fondent Macondo pour éviter de revenir sur leurs pas.

Ce livre, c’est donc l’histoire de la fondation, de la grandeur et de la décadence de Macondo, et de sa plus fameuse famille de pionniers, les Buendia, aux prises avec l’histoire invraisemblable d’une de ces républiques latino-américaines.
Ce village qui doit faire face à la fièvre de l’insomnie, qui prive les gens de leur sommeil et bientôt de leur mémoire. Pour lutter ils inscrivent sur chaque chose son nom et son utilité. C’est pour cette raison que l’on trouve à l’entrée de Macondo, une pancarte proclamant « Dieu existe. »
Ce même village qui voit défiler les caravanes des gitans et leurs découvertes merveilleuses. Découvertes qui font d’ailleurs s’exclamer Jose Arcadio « Voici la plus grande invention de notre époque ! » lorsqu’il pose sa main sur un bloc de glace.
Mais à l’intérieur même de ce village, c’est le sort des Buendia qui nous est conté. Dynastie  de timbré cosmique, où les garçons se prénomment tous Jose Arcadio ou Auréliano. Dynastie solitaire et vouée à tourner sur elle-même, sur laquelle veille avec désespoir sa doyenne Ursula qui voit les générations se suivre et se ressembler : « Je connais déjà tout ça par cœur, c’est comme si le temps tournait en rond et que nous étions revenus au tout début ». En vérité la seule chose qui unit cette descendance détraquée, c’est leur immuable solitude et leur destinée désaxée et impayable.

Le romanesque dans tous ses états

Toujours Omniscient et jamais hautain, le narrateur laisse glisser laisse s'emballer le cours impétueux de ce temps qui baigne ses personnages, et les faits semblent s’inviter d’eux même avec un réalisme remarquable. Il suit tour à tour l'incroyable galerie de portraits, comme l’eau d’une rivière, son lit. Imperturbable et prodigue, de méandres en rapides, de cascades en eaux mortes. Des personnages qui sont privés d’une vie banale, car, et ce n'est pas là l'un des aspects les moins remarquables de Cent ans de solitude, l’ordinaire leur est refusé. Et comme le dit si bien Ursula « les Buendia ne meurent pas de maladie ».

Si les personnages masculins se taillent la part du lion, les personnages féminins ne sont pas en reste. Leurs histoires personnelles sont au moins aussi hautes en couleurs et leurs sentiments et comportements jamais stéréotypés ni réducteurs. Chaque personnage apporte sa pierre à l’édifice, même si certains ne font que passer avec l’évanescence d’une étoile filante et d’autres avec l’impact d’une météorite. Certains useront leur vie à déchiffrer des parchemins sanscrits, d’autres mèneront trente-deux guerres, tandis que d’autres organiseront des beuveries homériques en déclarant : «Hors de mon chemin les vaches, la vie est si courte
Une épopée grandiose coincée dans une boucle du temps, sous la chaleur du soleil de Macondo. Un foisonnement où se mêle habilement les guerres historiques, un quotidien fabuleux, et les initiations successives des Buendia à leurs passions.

Marquez réussit le tour de force de rendre la vie de tous les jours d’un village aussi excitante qu’une grande épopée. Le réel rencontre le merveilleux sans heurts, sans même un bruit, on devine à peine le bruissant sourire de l’auteur.

En fait dans ce brouhaha humain, cette apparente cacophonie littéraire, la cohérence du livre doit énormément au style enlevé de Marquez, très imagé et surtout toujours surprenant. L’éloquente démesure de sa plume lui permet de nous prendre toujours à contre-pied, et confère à des thèmes classiques (Initiation amoureuse, débauche, soif de connaissance, solitude) un mystérieux attrait.
On pourrait, si l’on était pervers, reprocher à Marquez un risque de confusion dans les histoires croisées, notamment avec l’itération insistante des prénoms masculins Auréliano et Jose Arcadio. Malheureusement pour nos instincts pervers, la cohérence presque fantastique qui chaperonne le récit et la profusion de détails et d’anecdotes quotidiennes, permettent au lecteur un suivi toujours clair et jamais barbant.

 Dans un lumineux tour de magie littéraire, Gabriel Garcia Marquez nous livre un roman tellement authentique et spontané qu’on en vient à se demander s’il ne s’est pas écrit par lui-même.
Et qui pourra dire après l’avoir lu, que pour une vie de Buendia, on n’accepterait pas volontiers cent ans de solitude.

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