Le Diable l'emporte

Douze hommes et douze femmes enfermés dans un abri truffé de caméras à un kilomètre de profondeur sous le Sacré-Cœur. Non, ce n’est pas le script du nouveau concurrent de Loft Story. Les vingt-quatre habitants de l’Arche ne sont pas là pour titiller le voyeurisme des spectateurs mais pour sauver les hommes. Mais quoiqu’on entreprenne pour la perpétuer, l’humanité court à sa perte. Car sous des dehors de plus en plus évolués, sa barbarie et son égoïsme vont croissant. Peu importe le salut de l’espèce, chacun se préoccupe de sa propre survie. Du moins est-ce là les convictions du savant Hono, bras droit de M. Gé, fondateur de l’Arche. Pour justifier ce pessimisme, il se livre à une petite expérience : il fait croire aux douze femmes qu’à la suite d’un accident, il ne reste plus qu’un seul homme. Se déclenche alors une guerre sournoise, chacune convoitant le survivant et prétendant empêcher ses onze rivales de l’approcher. Cette lutte sans merci finira dans le sang. Mais comme la 3^ème Guerre Mondiale n’était qu’une fausse alerte, les passagers de l’arche recouvreront leur liberté.

Après l’alerte, la vie continue

La 3^ème Guerre Mondiale a tout de même causé de grandes inondations en faisant fondre une partie du Pôle Nord. Cependant, dès que le niveau des eaux s’est stabilisé, la vie reprend son cours. Et bien qu’on ait décidé de désamorcer les bombes nucléaires, la course à l’armement est toujours aussi acharnée. De nouvelles générations d’armes bien plus radicales encore que la bombe atomique sont mises au point dans le secret des laboratoires des grandes puissances. Monsieur Gé est persuadé que l’Arche n’offrira plus un abri sûr contre ces fléaux. Il demande donc à Hono d’essayer de trouver l’antidote au poison que l’un des belligérants se prépare à administrer à la Terre et qui éliminera toute trace de vie. Ou au moins de préparer la fuite d’un couple pour l’espace où il restera en cryogénisation le temps que la Terre redevienne viable. Mais ces plans seront un peu perturbés car à la dernière minute, certains protagonistes choisiront d’oublier la guerre au nom de l’amour.

Anticipation et condamnation

Avec son habituel regard critique sur la science sans conscience, Barjavel nous offre dans ce livre quelques grands moments d’humour en imaginant les dérapages d’un progrès incontrôlé. Le Civilisé Inconnu par exemple qui dispose de tout le confort matériel dont l’homme pouvait rêver dans les années 1950 a été purement et simplement transformé en automate de foire. Un poussin qui a ingurgité une gigantesque quantité d’aliments nutritifs devient une redoutable menace et dévore les hommes qu’il aurait dû sauver de la famine. Mais les scènes d’une grande cruauté sont plus nombreuses encore : l’homme ridicule dans sa quête insatiable de progrès est condamnable dans sa quête de puissance. Tel est le jugement sans appel de ce livre : peu importe que nous allions tous au Paradis, nous n’y emporterons pas grand chose. Parce que c’est le diable qui aura gagné la première manche et sans garantie de revanche.