Malgré le succès de La Guerre Eternelle ( Prix Hugo et Prix Nebula en 1976), Joe Haldeman est toujours resté un auteur assez discret, et bien que sa carrière ait débuté dès son retour du Viet-Nam en 1972, et qu'elle ait été florissante après, c'est surtout pour les aventures du soldat Mandella que le public français le connaît.
l'Acte de Conscription des Elites
Pour William Mandella et 99 autres étudiants de deuxième et troisème cycle, tout commence en 1997, avec l'Acte de Conscription des Elites (majuscules à tous les mots, s'il vous plaît).
La Terre, qui vient de découvrir le voyage luminique par le biais d'un phénomène astrophysique appelé collapsars, vient aussi de faire sa première rencontre interstellaire avec les Taurans. Une rencontre explosive. D'eux, on ne sait pratiquement rien, si ce n'est qu'ils sont responsables de la destruction de l'un de nos vaisseaux-colonies. Un acte de guerre caracterisé, qui va bien-sûr appeler à des représailles. Et puisqu'on parle d'appelés…
Résultat des cogitations fébriles d'un bureaucrate tout kaki, l'Acte de Conscription des Elites repose sur la mobilisation d'étudiants, plus aptes selon l'armée, à s'adapter à cette nouvelle forme de guerre. Ainsi débute pour William Mandella, diplômé de Physique, le Guerre Eternelle. Eternelle, du fait des distances relativistes à couvrir pour se rendre sur le théatre des opérations, et qui génère pour les soldats embarqués un déficit temporel de plusieurs dizaines d'années à chaque voyage.
S'ensuivent donc quatres campagnes non-sensiques, où l'ennemi lui aussi victime des lois de la relativité peut tout aussi bien venir de votre passé que de votre avenir. Elles vont amener Mandella et sa compagne (d'arme) Mary Gay Potter, en 3143, à défendre une civilisation terrienne dans laquelle ils ne se reconnaissent plus.
A lire ou à relire d'urgence !
On a souvent fait un parallèle abusif entre La Guerre Eternelle et Etoile Garde A Vous. Mais là où Heinlein s'attache à mettre en perspective une certaine idée du devoir, et de responsabilité civique, Haldeman, se contente de pointer du doigt l'inanité de toute démarche guerrière. Ecrit seulement quelques années après son retour du Viet-Nam, il y a dans ce roman une très grande part d'exorcisme. On y retrouve toute la frustration d'un jeune homme, arraché à sa vie paisible d'étudiant, pour être jeté sans autre forme de procès dans une guerre absurde qui ne lui appartient pas. C'est indubitablement plus l'histoire de Haldeman, que celle de Mandella qu'on lit tout au long de 270 pages. Et lorsqu'il dépeint cette injustice, à s'être vu voler une partie de sa vie, on compatit sincèrement. On frémit de cette résignation qui finira par habiter cet étudiant "pacifiste raté", au cœur de cet énorme malentendu militaire qu'il ne comprend pas, et ne se battra plus guère que pour sauvegarder le peu qui reste de son passé. De lui.
On ne trouve dans La Guerre Eternelle ni le dégoût de la chose militaire qui anime les héros de L'Usage de Armes de Iain Banks, ni le poids énorme de la culpabilité qui habite Ender, dans le cycle d'Orson Scott Card. On est simplement écrasé par l'atroce bêtise de nos semblables. C'est un roman à lire, ou à relire. Surtout en ce moment.