Enfer

Enfer

Parmi les couples phares de la bande dessinée, on peut noter le duo Ange/Varanda. Le trio devrais-je dire, Ange constituant l'alter ego singulier de Anne et Gérard Guéro, quoique la relation quasi-symbiotique qui unit ces deux-là mène souvent à négliger ce détail. Après avoir longtemps sévi chez Vents d'Ouest avec les séries Bloodline, Reflets d'écume et la première édition du tome 1 de La Geste des chevaliers-dragons, cette paire (ce "brelan") à succès poursuit sa collaboration chez Soleil. Premier fruit de cette migration : le tome 1 de Paradis Perdu, une série longtemps attendue et qui n'a pas déçu les amateurs.

"Rien à voir avec l'archange du même nom. Je ne suis qu'un sous-fifre..."

Qui irait imaginer qu'une bouche du métro parisien puisse abriter une porte des enfers ? C'est pourtant cette porte que Gabriel, le veilleur aux ailes immaculées, est censé garder. Ce jour-là, le train qui entraîne les damnés eux enfers emmène dans ses rangs la belle et sombre Anya, celle qui jadis fut un ange. Lorsque Gabriel l'aperçoit, il entreprend la folie de plonger dans les abysses pour la délivrer. A peine prend-il le temps d'abandonner Julien, son petit protégé égaré au pied des enfers, au soin des anges. Mais Julien ne l'entend pas de cette oreille : il perçoit à travers le ton douceureux des anges un sombre destin, et pour leur échapper, il se jette lui aussi dans le puits qui mène aux enfers. Seul Gabriel, dévoué tout entier à sa tentative de rédemption de la belle Anya semble ne pas voir que le jeune Julien attise les convoitises des démons comme des anges.

"Nous avons de la chance, les enfers sont calmes en ce moment."

Une fois de plus, j'ai été emballé par ce petit bijou d'Ange/Varanda. Autant pour le scénario (et l'ambiance) que pour le dessin. La guerre éternelle entre anges et démons semble sur le point de reprendre de plus belle avec comme nouvel alibi l'arrivée du petit Julien dont on nous laisse entrevoir l'importance cruciale. A ce titre, le dénouement de ce tome 1 (que je ne trahirai pas ici) est une pure merveille.

Du côté du dessin, les bras m'en tombent. Varanda n'est pas seulement un dessinateur doué au graphisme acerbe et précis, mais c'est aussi un redoutable preneur de vues. La plupart des planches d'Enfer se présentent sous un angle improbable ou au contraire très mesuré, qui ménagent ainsi leur richesse et leur splendeur. Il est peu de BD dont je puisse dire que je n'en jetterais pas une case ; Paradis perdu en fait indéniablement partie. Les créatures démoniaques présentent toute la palette stylistique des démons illustrés, le décor des enfers étant lui un mélange de technologie baroque et d'une nature de pierre comme germée dans le sang.

La mise en couleur de Lyse est somptueuse et mérite bien de la faire figurer dans le trio d'auteurs. Le second tome, prévu pour le deuxième trimestre 2004, s'annonce également de toute beauté, et la patience me manque déjà.