Nouvelles 1959-2003
Flammarion avait publié le premier volume de l’intégrale des nouvelles de Richard Matheson pour inaugurer la collection Imagine. Son directeur de collection, Jacques Chambon, avait ce projet alors qu’il était encore chez Denoël. Aux cinq volumes prévus s’est ajouté le recueil Miroir, Miroir… qui contient ses tout dernier textes. Aujourd’hui, J’ai Lu nous offre le troisième et dernier volume de cette incontournable intégrale.
Une somme historique et incontournable
Au cours d’une carrière qui dépasse le demi-siècle, Matheson s’est imposé comme un des meilleurs novellistes avec Brown, Sturgeon ou Cordwainer Smith. Ne pouvant se cantonner à un seul genre ou à un seul format d’écriture, il donna pour le meilleur Je suis une légende et pour le pire La Traque (un thriller ridicule à moins de pouvoir le prendre au septième degré). Scénariste pour le cinéma et la télé, il délaisse l’écriture à partir des années 60 ce qui explique l’espacement entre les livraisons de ses textes et la longueur de la période que couvre le présent volume.
De très bons textes…
Date limite, Les Vampires n’existent pas, Thérèse font montre de sa fameuse économie de moyens et ses non moins fameux coups de théâtre, ceux-là mêmes que le cinéma a usé jusqu’à la corde.
Mantage est directement inspirée du cinéma à la fois dans le thème abordé et dans sa structure (description des fondus, travellings, zooms…). C’est une réflexion poétique sur la réalité, la réussite ou encore la notoriété.
Deus ex machina, texte très Dickien comme bien d’autres rencontrés dans les précédents volumes montre un homme qui en se rasant le matin voit couler de sa plaie non pas du sang mais de l’huile. Androïde ? Humain modifié ? et si tout notre univers n’était qu’un simulacre ? Un thème devenu classique mais une fois encore d’une maîtrise exemplaire.
Les Visages de Julie est peut-être le texte le plus moderne de Matheson, celui qui aurait le mieux résisté au temps. En cela, il n’est pas sans évoquer ceux de son fils (cf Dystopia). Le thème de la déviance sexuelle y est certainement pour beaucoup. Si jusqu’ici on pouvait reprocher un côté vieillot ou ancré dans les années 50, une chose est sûre, cette nouvelle de 1962 a la saveur d’une claque tout ce qu’il y a de plus actuelle…
Dans ce volume, on trouvera aussi Duel, la nouvelle mythique qui donna à Spielberg son premier grand scénario.
…même si le meilleur est déjà passé
Ombre et silhouette est triplement à signaler. C’est une des nouvelles les plus longues de Matheson, cette fillette qui découvre et refuse ses dons de médium est un de ses plus beau personnage. En conséquence, c’est aussi le texte le plus frustrant de l’auteur. Un goût d’inachevé, de roman avorté qui avait en lui les germes de ce que Sturgeon a réalisé de meilleur…
La Machine à jazz est à part puisque l’auteur poursuit l’exploration des narrations possibles. En fait, c’est la retranscription des paroles d’une chanson. La traduire sans laisser en parallèle le texte original fait perdre bien de la saveur à cette atypique nouvelle.
Enfin, les huit derniers textes que l’ont trouvait dans Miroir, Miroir… laisseront un bon souvenir même si on sent un Matheson routinier, beaucoup moins inspiré qu’il n’a pu l’être mais quand même efficace au final.
Pour la dernière fois : une intégrale INDISPENSABLE !
Afin d’enfoncer une dernière fois le clou, ces trois volumes contiennent une quantité de textes mémorables que vous soyez amateurs de SF et/ou de fantastique, néophytes ou confirmés ou encore écrivain en herbe (ça ne devrait pas vous faire du mal d’aller jeter un coup d’œil aux classiques, histoire de ne pas en faire de mauvaises resucées)… Lire tous ces textes dans l’ordre chronologique vous permettra de voir les évolutions, les recherches narratives ou stylistiques d’un maître des années 50 sans qui nos années 2000 n’auraient pas le même aspect…
Bref, si l’intégrale version Flammarion pouvait se révéler un peu chère, la version compactée de J’Ai Lu devient un must absolu, le rapport qualité/prix étant aujourd’hui imbattable.