L'Outremangeur
Après avoir essayé différentes carrières, pour la plupart très alimentaires (et qui viendront par la suite nourrir son inspiration de romancier), Tonino Benacquista s'est lancé dans la littérature en 1985. Il a souvent pris une trame policière comme toile de fond pour ses récits mais il s'amuse à détourner les ficelles du genre tout comme il aime à parodier les titres : ainsi sa Commedia des ratés ou encore Tout à l'ego. Sa notoriété va grandissante puisqu'il commence enfin à être récompensé d'abord pour Saga puis pour Quelqu'un d'autre. Très doué pour introduire subrepticement l'exceptionnel, l'extrême dans un cadre réaliste, il signe avec L'Outremangeur son premier scénario de BD.
Ferrandez sait saisir dans ses dessins les particularismes des paysages et des ambiances. Il a débuté chez Casterman par des histoires provençales et après un détour sous d'autres horizons via ses Carnets d'Orient, il est revenu à ses premières marques méridionales en adaptant l'univers de Pagnol dans son cycle L'Eau des collines.
Les deux hommes se connaissent bien : Ferrandez a d'ailleurs prêté, par jeu, au héros les traits de Benacquista (en forçant sur la silhouette) et au détour d'une planche, il transforme le nom de son complice en une enseigne de magasin. Deux ans après L'Outremangeur, ils récidivent dans la collaboration autour de l'album La Boîte noire aux Editions Futuropolis-Gallimard.
Des troubles du comportement alimentaire au comportement trouble
Richard Séléna, bien que reconnu dans son poste de commissaire, est mal dans sa peau. Sa boulimie lui a valu d'atteindre 160 kilos, réduisant à néant sa vie sociale et à un ou deux ans son espérance de vie. Quand un patron de PME est sauvagement assassiné, Séléna croit tenir sa chance. Il détourne les preuves qui pourraient accabler Elsa, la nièce orpheline de la victime, qui a malencontreusement laissé un cheveu sur les lieux du crime. En échange de cette malversation, il exige de la jeune fille un rendez-vous quotidien pour le dîner. Sous les yeux d'Elsa, la métamorphose de l'outremangeur peut commencer. Parviendra-t-il à perdre ses kilos en trop et à se débarrasser du lourd fardeau de la culpabilité ?
Sobre, essentielle, exceptionnelle
L'Outremangeur est une BD exceptionnelle. Sa sobriété sert parfaitement son propos. La narration et l'illustration vont à l'essentiel. Parfois les planches revêtent un caractère symbolique tant elles illustrent parfaitement une condition ou une situation. C'est le cas de celle qui a été reprise pour la couverture : la détresse et la solitude de cet homme obèse sur un banc entouré de pigeons sont palpables. Avec un art rare de l'ellipse, la narration suit la transformation du personnage. Si ce parcours est plutôt optimiste, l'histoire ne sombre jamais dans le sentimentalisme. Le dessin est minutieux et réaliste : on reconnaît facilement les lieux qui ont servi de modèle au décor. Les teintes, souvent sombres, transcrivent le huis-clos, les enfermements dans lesquels se dépêtrent tour à tour les personnages. Une BD qu'on dévore à la première lecture, notre curiosité étant mise en appétit par la noce subtile de tous ces éléments, puis qu'on le relit avec gourmandise pour mieux la savourer.