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La Traque

Richard Matheson ( Auteur), Hélène Narbonne (Traducteur), Getty Images (Illustrateur de couverture)
Aux éditions :   -  Collection : 
Date de parution : 31/08/03  -  Livre
ISBN : 2080683748
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Xavier   - le 20/09/2018

La Traque

Matheson a écrit quatre polars sur treize romans. La majeure partie de son œuvre reste ancrée dans un mélange savoureux de fantastique et de science-fiction qui offre a son apogée les inoubliables Je suis une légende et L'homme qui rétrécit. Nouvelliste hors pair, ce maître du genre dont la majorité de la production se situe - tant sur le plan qualitatif que quantitatif - entre 1950 et 1960 a livré de véritables bijoux : Né de l'homme et de la femme bien sûr mais aussi La robe de soie blanche, L'examen, La chose, Escamotage… La dernière fois que Matheson avait écrit du policier, c'était en 1960 pour De la part des copains. Quarante ans plus tard, il y fait un retour calamiteux.

Retour au roman noir

Bob est écrivain célèbre (espérons que cet aspect n'est pas autobiographique, Matheson risquerait de chuter durement dans notre estime). Pour son prochain roman qui doit se situer en pleine nature, il décide de partir avec Doug, un acteur sur le déclin qu'il fréquente de temps à autre. Doug, pour sa part, est un randonneur accompli. Il doit guider Bob et lui donner un maximum de détails afin que le récit sonne le plus vrai possible. Petit à petit, l'acteur laisse transparaître son ressentiment puis sa haine envers l'écrivain. Ce qui devait être quelques jours de marche et de camping dans un parc du Colorado va tourner à la chasse à l'homme.

Un rythme lent au début

Optant pour un rythme très lent à l'instar de Jackie Brown de Tarentino, Matheson fait monter la pression sans qu'il ne se passe rien. La tension grimpe car il va obligatoirement se passer quelque chose vu ce à quoi ces deux là nous ont habitués. C'est grâce à cet efficace procédé que Matheson nous fait lire la première moitié de La Traque. Cependant, ça se gâte très vite. On regrette tout d'abord le caractère trop manichéen des deux protagonistes : le gentil boy-scout à qui la vie sourit et le méchant aigri qui en a bavé durant son enfance.

Le premier est tellement mou, peureux et bouffi de bonnes intentions qu'il se transforme très vite une insupportable tête à claques. L'aversion du lecteur pour ce type atteint son paroxysme lorsqu'il explique sa foi en une " justice ultime " par delà la mort qu'aucune réflexion véritablement approfondie ne vient étayer. En effet, sa philosophie sur l'au-delà est proche de l'hindouisme avec sa succession de réincarnations. L'âme est éternelle, nos bonnes et nos mauvaises actions conditionnent nos existences suivantes. En clair, si tu as été méchant, tu vas en chier dans ta prochaine vie. Telle est sa vision de la " justice ultime ". Effrayant n'est-ce pas ? Une conception foireuse car cela revient à dire par exemple que les enfants tabassés ou violés payent les saloperies d'une existence dont ils n'ont pas conscience. Puni pour un crime qu'en définitive un autre a commis puisqu'ils n'en ont aucun souvenirs, belle conception de la justice ! En fait, pour y voir pointer l'ombre d'une justice, il faudrait qu'à la fin de toutes nos incarnations, nous ayons une vision globale de nos erreurs, nos crimes et nos bonnes actions afin que notre âme puisse réellement en tirer les leçons et ainsi parvenir à s'élever. Voilà ce qui énerve dans ce personnage : en une phrase, on est allé plus loin dans la réflexion que lui après une quarantaine d'année à philosopher…

Et le lecteur de s'écrier : " Quel con ce Bob ! Non mais quel CON ! "

Le second est tellement caricatural qu'il en devient ridicule. Seul garçon entouré de quatre sœurs, ses parents picolent, le tabassent, le font dormir dans la cave alors que les filles partagent une chambre digne de ce nom, filles qui doivent manifestement subir des attouchements sexuels de la part du père… Bref, le terreau idéal pour devenir un looser haineux. Et c'est le cas, Doug est un petit acteur qui ne trouve plus un rôle, sa femme l'a quitté, sa fille ne lui parle plus et son fils s'est tiré une balle dans la tête (vous ne rêvez pas, il pourrait s'agir d'un personnage de La petite maison dans la prairie). A quarante ans, Doug est cynique, raciste, antisémite et violent. Tout concorde pour qu'il pète les plombs en beauté.

Le lecteur se voit dans l'incapacité de s'identifier à l'un ou à l'autre, ce qui est peut-être fait exprès mais cependant raté. Si vous voulez rencontrer un personnage faible et pathétique qui sonne vrai, allez lire Le rat blanc de Christopher Priest. Vous serez confronté à un lâche pris dans la tourmente d'une guerre civile mais à aucun moment vous ne pourrez le mépriser pour ses actes indignes car au fond de vous, vous savez que peut-être, dans les mêmes conditions, votre conduite serait aussi pitoyable que la sienne.

Et une couche de plus !

Passons maintenant aux incohérences. Un randonneur chevronné tiquera sûrement sur certains détails techniques (dont on ne dressera pas ici le catalogue) mais lorsque notre malheureux écrivain attaque une paroi verticale à mains nues, sans cordes ni autre système d'assurage, on se voit forcer de sourire (un tic nerveux faisant tressauter la paupière droite quand même) devant l'improbable réussite de ce sportif du dimanche.

Le roman s'achemine vers une happy end digne des plus belles bouses Hollywoodienne : le gentil con tout frêle vaincra le méchant tout fort pour la seule et mauvaise raison qu'il est LE gentil de l'histoire. La dernière fois qu'on a eu quelque chose d'aussi risible à la montagne, ça devait être Cliffhanger avec le très crédible Stalone en sauveteur. Enfin risible, façon de parler, lorsque l'on est capable de mépriser autant la crédibilité d'une histoire, c'est que l'on a vraiment très peu de considération pour le public. Hollywood n'en a aucune, on le sait depuis longtemps, mais de la part de Matheson, ça fait mal.

Le génie de Matheson gangrené au contact d'Hollywood ?

Le roman semble déjà calibré pour le cinéma bas de gamme de grande consommation et on peut être certain que la seule scène choc du livre (un viol à déconseiller aux âmes sensibles) sera virée du scénario. Le lecteur n'échappera pas à la happy end merdique qui se dessinait dès les premières pages ni au retour-du-méchant-qu'on-croyait-enfin-mort. Matheson remplit le cahier des charges suspense/tension/coup de théâtre/happy end sans se soucier d'être convainquant. L'écrivain traqué se met à parler aux animaux sauvages (plantigrades, reptiles venimeux et félins acculés) et va jusqu'à délivrer un puma coincé sous une branche au mépris du risque de voir l'animal blessé se retourner contre lui. Le récit se déroulant à notre époque, on sera surpris qu'un randonneur novice ne prenne pas de téléphone portable. Clichés, grosses ficelles, invraisemblances et personnages à la psychologie plus que grossière sont les mamelles de ce ratage retentissant. Ajoutons à cela un rectificatif nécessaire sur la bibliographie présente dans ce volume : Richard Matheson n'a pas écrit Cauchemar cathodique, par contre son fils Richard Christian Matheson, si, dommage ce n'est pas tombé loin…

Une traque à oublier bien vite

Pour conclure, achever serait un terme plus juste, si Les seins de glace était décevant, La traque tient du foutage de gueule absolu et du vol à l'étalage éhonté. Trois explications viennent à l'esprit pour comprendre cet échouage :
Hypothèse n° 1 : Matheson, autrefois génial, est totalement has been.
Hypothèse n° 2 : il a perdu toute forme de respect pour son public
Hypothèse n° 3 : Flammarion est allé récupérer une raclure de fond de tiroir dont personne n'a jamais voulu jusqu'ici (que le petit Richard aurait par exemple écrit à huit ans).

Choisissez n'importe quoi mais pas ce truc !

Si vous avez 20 euros à mettre dans du Matheson, allez voir chez Folio SF et achetez ses trois meilleurs romans : Je suis une légende, L'homme qui rétrécit et Le jeune homme, la mort et le temps. Si vous êtes plutôt nouvelles, vous avez l'intégrale en trois volumes chez J'ai Lu. Sur le thème de la traque, on pourra aussi se diriger vers La dixième victime de Robert Sheckley (Gallimard Série Noire n° 1073). Mais dans tous les cas de figures, fuyez cette (¿) œuvre (?) minable dont la parution est une insulte au talent de l'auteur.

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