Côté face, Dominique Babin est sociologue, spécialiste de prospective sociale, culturelle et esthétique. Côté pile elle est une sorte de cool hunter, comme Cayce Pollard l'héroïne d'Identification des schémas le dernier roman de William Gibson. Son mode d'emploi du post-humain est donc à cheval entre deux mondes, entre deux époques, deux registres. Comme nous en fait.
Rompue au langage corporate, Dominique Babin truffe sa prose de ce jargon bourré d'anglicismes frime et de néologismes moches, et c'est profondément agaçant. Mais si elle plonge ainsi au cœur de la "contemporainité", c'est pour mieux jeter un regard sur cet étrange bipède en mutation : nous.
Un regard lucide, qui décille notre œil pourtant aiguisé, et nous révèle le monde du post.
Humain, modernisme, "Death", ego, relation, réalité, pour Dominique Babin tout est post. Le post, est un espace-temps entre la hype et les sciences dures et pour l'heure seulement accessible à quelques pionniers, bien vite destinés à être rattrapés par la masse.
Le post au fond, c'est un peu comme une fuite en avant désespérée parce que perdue à peine entamée, pour garder un courte longueur d'avance sur l'ère du temps.
Mais par delà le clinquant de la forme, le fond est lui d'une redoutable pertinence.
Explorant des domaines aussi variés que la mort, la réalité telle que nous la vivons, les relations entre humains et le drôle de rôle qu'y tiennent aujourd'hui les machines, notre perception de nous-même, Dominique Babin tente de dresser l'inventaire non exhaustif de nos futurs possibles. L'avenir étant devenu en moins d'un siècle un matériau à haute mutabilité, elle ne se risque pas à prophétiser quoique ce soit, mais se contente de connecter entre-elles diverses sources d'informations pour nous présenter une vue d'ensemble convaincante du devenir de l'homme.
Il en résulte une nouvelle donne nécessaire de nos repères, une authentique nécessité d'adaptation à de nouveaux besoins, de nouveaux codes, qui vont déterminer notre survie dans les décennies à venir. Le terme de survie, se chargeant lui-même d'un sens plus large, n'englobant plus simplement notre pérennité biologique, mais aussi notre existence sociale.
On ne navigue pourtant pas dans cette anticipation noire des années 70. Le progrès n'est pas mauvais en soi, pas plus nécessairement que l'usage qui en est fait. Si la résultante en est largement négative, c'est parce que nous n'avons pas su nous y adapter. Car tous, nous sommes les enfants d'un système de pensé figé dans un modèle tendant à devenir de plus en plus inadapté, hérité d'une époque où le bout du monde était le village d'à côté, où les rapports humains étaient nécessairement durables et où tout à chacun pouvait faire l'économie de se construire des fonctions sociales de lui-même. Autant de schémas désormais obsolètes.
Le post tel que décrit par Dominique Babin, c'est la tentative futile de figer le flot du temps. Mais c'est surtout une commodité scientifique, qui lui permet de mieux définir, par instantanés, cette interzone floue qui sera le quotidien de mon fils, où lui-même regardera grandir l'étrange "post-humain" que sera mon petit-fils.
Nous sommes nous à l'orée de cette interzone, à mi-chemin entre les dystopies hi-tech des Cyberpunks et les avenirs radieux des technogogos. Il n'est pas ici question de résignation à notre futur, mais seulement de se rappeler que l'homme n'est au fond qu'un accident biologique. Il a par le passé su s'adapter à des conditions de vie extrême dont sa faiblesse congénitale aurait dû le priver et doit le faire encore, car contrairement à l'optimisme béat de certains théoriciens, l'Histoire n'est pas encore finie. Et la différence fondamentale entre le Temps et l'Histoire, c'est que le Temps, lui, ne s'arrêtera jamais, alors que l'Histoire aura effectivement une fin, le jour où il n'y aura plus d'hommes pour la conter.