Les sequels au cycle de Fondation, d'Isaac Asimov, se suivent et heureusement, ne se ressemblent pas. Après les romans pas forcément à recommander de David Brin et Gregory Benford (qui nous avaient pourtant habitués à de l'excellente hard-SF), c'est le canadien Donald Kingsbury, l'auteur de Parade Nuptiale (un roman qui marque l'esprit du lecteur, croyez moi, et qui accessoirement a remporté le prix Locus en 1983), qui s'y colle, après avoir laissé quelques siècles aux cendres du Fondateur pour se refroidir en situant son roman très très très longtemps après. Psychohistorical Crisis est son troisième roman (le monsieur fait plutôt dans les nouvelles et les articles) et est en fait tiré d'une nouvelle, Historical Crisis, qui a été publiée dans une anthologie dirigée par Gregory Benford, Far Futures (1995). Gregory Benford lui recommanda de développer, et c'était plutôt une bonne idée.
Ah, les fams (désolée, impossible de résister)...
Imaginez une extension artificelle de votre esprit qui vous permette de stocker d'énormes quantités de données. De télécharger des livres pour les lire ensuite à volonté. De manipuler des mathématiques et de la physique avancée, ou des techniques de combat inimaginables. De faire des recherches immédiates sur n'importe quel mot, question, concept. Imaginez que vous ayez entraîné votre liaison avec cet extraordinaire extension depuis l'âge de trois ans. Et imaginez maintenant qu'on vous la retire, en même temps que tous les souvenirs et savoirs que vous aviez soigneusement archivé dedans. Bon, disons donc la majorité de vos souvenirs et connaissances... Vous avez dû commettre un crime inimaginable pour que l'on vous inflige cela, pour que les bienveillantes autorités psychialistes qui guident le destin de l'humanité prennent de telles mesures. Mais vous ne savez vraiment pas ce que vous avez bien pu faire... Et vous vous retrouvez avec un esprit à peine plus évolué que celui d'une bête. Impossible de survivre avec seulement ça sur Sublime Sagesse, au 16e siècle du second Empire. Et encore plus impossible de découvrir ce qui s'est vraiment passé.
Un rien confus
Le récit fait le va et vient entre l'an 14 810 de l'ère galactique et la jeunesse d'Eron Osa, que son ambition galopante a mené dans une situation peu enviable, presque (et c'est ce presque qui pose vraiment problème) au sommet de la chaîne alimentaire, au mépris des bidouillages à faire pour en arriver là... Il (toujours le récit) est truffé de références mathématiques* ou à des choses caractéristiques de ce siècle difficilement compréhensibles à nous autres, simples sapiens, surtout en l'absence d'un fam (l'extension évoquée plus haut), et écrit dans un style extrêmement enthousiaste plein de phrases très courtes et de points d'exclamations. On a parfois l'impression que Kingsbury a tenté de parer à l'objection qu'il a juste étiré une nouvelle qui aurait mieux fait de rester dans un format réduit faute de matière. Et bien c'est réussi. Il y a du contenu. On a même parfois l'impression qu'il y en a trop. Les personnages... Eron Osa est un infâme gamin ingrat avec les dents de lait qui rayent le plancher (de l'étage en dessous), Scogil presque une marionnette, Jama est une insupportable créature superficielle... Et pourtant, ca marche. On s'intéresse réellement à cette histoire plus qu'un chouilla tarabiscotée, dans un siècle tellement éloigné de nous que nous ne pouvons pas plus saisir son essence qu'eux ne parviennent à reconstituer et comprendre les âges sombres de l'humanité. Fourmillant d'idées, rendant parfaitement cet éloignement et le retard d'Osa, toujours coincé, malgré son intelligence, sous la tutelle de génies qu'il ne parvient pas à suivre, ce roman doit être attaqué la tête reposée sous peine de migraine, mais une fois qu'on y a découvert un chemin praticable, il fournit une promenade originale et agréable, avec même quelques sujets de réflexions sérieux à se mettre sous la dent lorsqu'on en a assez d'admirer le paysage. Moins impressionnante que Parade Nuptiale, bordélique mais attachante et montrant bien l'originalité de Kingsbury, cette suite de Fondation est la meilleure en date.