Livre
Photo de Lucifer et l'Enfant

Lucifer et l'Enfant

Aux éditions : 
Date de parution : 30/09/04  -  Livre
ISBN : 9782843622441
Commenter
Nathalie   - le 20/09/2018

Lucifer et l'Enfant

Née avec le vingtième siècle, à Londres de parents anglais, Ethel Mann fit carrière dans les lettres irlandaises. Rentrée comme sténographe dans une agence de publicité, elle progresse rapidement et prend en charge plusieurs publications puis rédige elle-même des articles pour les colonnes féminines de divers journaux. Son premier roman paraît en 1922 mais c'est son troisième, une satire de la publicité qui fera parler d'elle. Elle devient anarchiste, s'implique dans le pacifisme et dans le féminisme, milite pour la décolonisation et la révolution espagnole. Dans son œuvre composite (autobiographies, nouvelles, essais, récits de voyage,livres pour enfants en tout plus d'une centaine d'ouvrages), Lucifer et l'enfant est un roman à part dont les résonances fantastiques pourraient avoir été influencées par Yeats avec qui elle correspondit.

Trahison et séduction

Le jour de la Saint-Pierre aux Liens, Jenny Flower, fillette londonienne, échappe à la surveillance de sa maîtresse d'école et s'enfonce seule dans la forêt. Elle y rencontre un homme à la tête cornue et aux pieds fourchus ; il lui dévoile plein de mystères de la nature, puis la raccompagne chez elle. Elle n'a de cesse de le revoir et ce malgré les mises en garde de sa nouvelle institutrice, la très droite Marian Drew, qui redoute l'influence de l'étranger sur la fillette, autant que celle qu'exerce Mrs Beadle, vieille femme chez qui la fillette se réfugie pour s'initier à la sorcellerie. Marian s'interpose au point de nouer elle aussi commerce avec ce mystérieux inconnu qui n'apparaît qu'au moment des sabbats. En vain, la fillette passera outre toutes les interdictions afin de retrouver la seule personne pour qui elle éprouve amour et respect, celui qui panse ses blessures d'enfant de père inconnu et confiée dès la naissance à ses oncle et tante.

Une petite précision et une réclamation

L'intrigue semblera peut-être familière aux amateurs de BD : Comès s'en est librement inspiré pour son album Iris. Au risque de paraître tatillonne, je dois déplorer que ce volume très raffiné dans sa présentation (portrait de l'auteur en vignette, reproduction des deux premières couvertures, élégance commune à toutes les parutions de cette collection) souffre de négligences au fil du texte. Et des sauts de ligne intempestifs avec des codes mystérieux (p. 128), des termes non traduits entre crochets ou des mots parasites nuisent à la fascination qu'engendre le texte, détruisent notre immersion dans une ambiance saisissante. Négligence de relecture ou confusion dans les fichiers informatiques, l'erreur est humaine mais les exigences des lecteurs, moins...

De la désolation naturaliste à la passion surnaturelle

L'engagement politique de l'auteur transparaît régulièrement dans ce texte. A la suite de Jenny, le lecteur est entraîné dans les bas-fonds de Londres où n'en déplaise à la fierté besogneuse d'Ivy, la misère s'insinue dans les recoins. Marian travaille à combattre cet état de fait, à répandre hygiène et éducation, à extraire les enfants à l'influence de leur milieu mais l'entreprise s'avère démesurée par rapport à ses moyens. Quand elle décide de concentrer ses efforts sur Jenny, elle s'investit vainement, rien ne saurait faire changer le cœur de l'enfant marqué par le signe de la sorcière. Ce tableau noir de la société londonienne est très contrasté par les scènes où, en compagnie de l'inconnu, le monde entier s'enchante aux yeux de la fillette et se remplit de poésie, relayée par des descriptions raffinées du paysage alentour. De même, la famille de Marian Drew s'avère être aux antipodes des foyers londoniens, l'enceinte du presbytère apparaît comme un enclos paradisiaque.

Libre interprétation

Au-delà de cet art d'opposer les contraires, Ethel Mannin entretient durant tout le texte comme elle l'explicite dans une note, une subtile ambiguïté. L'homme qu'elle appelle Lucifer et qui ne dément jamais ce surnom agit avec beaucoup de tendresse auprès de Jenny et assume pleinement un rôle paternel. Il se montre aussi respectueux de la promesse qu'il a faite à Marian.

La passion têtue de Jenny pourrait s'expliquer par un classique emportement adolescent, par le pouvoir dont elle se croit investie et qui la place au même rang que les personnes dignes d'estime, voire si l'on s'aventure sur la périlleuse pente de l'interprétation psychanalytique par un complexe d'Electre tardif.

Contrairement aux personnages qui se positionnent dans le camp des anges ou celui des démons, Ethel Mannin ne tranche jamais entre explication rationnelle et phénomène surnaturel. Au lecteur de choisir d'opérer ou non une " suspension volontaire d'incrédulité ". Difficile cependant de résister quand les sensations sont tellement enchevêtrées à un fil conducteur pour progresser dans un roman aussi beau, ténébreux et envoûtant que l'énigmatique marin qui le hante.

Genres / Mots-clés

Partager cet article

Qu'en pensez-vous ?